La salle de spectacle La Tulipe devra baisser le son pour ses voisins, vient de décider la Cour supérieure, en infligeant un revers à ce lieu culturel du Plateau-Mont-Royal.

La salle de spectacle avait déjà évoqué sa fermeture en cas de défaite judiciaire, récoltant de nombreux appuis, mais la justice affirme qu’elle peut tout à fait continuer à fonctionner si elle prend les moyens pour réduire le bruit qui sort de son enceinte.

« Il n’y a pas de droits acquis à une nuisance », a tranché le juge Azimuddin Hussain, en condamnant l’entreprise à payer des dommages à son voisin de l’avenue Papineau. « Le bruit représente un inconvénient anormal et les [propriétaires de la salle] sont donc responsables. »

Le cours normal des affaires de La Tulipe ne sera pas interrompu si La Tulipe fait les ajustements nécessaires pour se conformer.

Le juge Azimuddin Hussain, dans sa décision

La Tribu, gestionnaire et propriétaire de la salle, a refusé lundi tout commentaire : pas moyen de savoir si, de son point de vue, cette décision signe l’arrêt de mort de La Tulipe. La salle a déjà récolté des milliers de dollars en contraventions et engagé « une fortune » en frais dans cette affaire.

L’entreprise était poursuivie par Pierre-Yves Beaudoin, un investisseur immobilier qui a acheté, en 2016, un immeuble qui constituait auparavant une dépendance de la salle de spectacle. Le mur qui sépare les deux édifices voisins est mal isolé.

Murs et planchers vibrent

Cette même année, une « erreur » d’un fonctionnaire de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal avait permis la transformation partielle de l’immeuble de M. Beaudoin en appartements. L’homme d’affaires y a lui-même emménagé en 2017 et a rapidement commencé à se plaindre de bruit excessif.

« La musique émanant de La Tulipe fait vibrer murs et planchers des logements » de l’édifice, qu’il habite avec 16 locataires, indique la décision. « Le bruit trouble le sommeil de monsieur Beaudoin et le rend plus irritable » et « trouble sa quiétude lorsqu’il travaille à son domicile : sa concentration est minée ».

M. Beaudoin demandait à la Cour supérieure d’ordonner « de faire cesser le bruit provenant des appareils sonores de la salle de spectacle et bar », ainsi que des dommages de 40 000 $.

Travaux à venir

Selon des expertises acoustiques réalisées dans l’immeuble de M. Beaudoin, le niveau sonore dans sa chambre dépasse de quelques décibels le niveau maximal établi par le règlement municipal pour la période allant de 19 h à 23 h.

Mais « l’écart n’est pas énorme », note le juge Hussain.

Les propriétaires de la salle ont déjà entamé les démarches pour faire effectuer des travaux d’insonorisation de l’immeuble. Ils sont en attente d’un permis de construction municipal.

Les travaux sont délicats, puisque le bâtiment – construit en 1913 et ayant appartenu à Gilles Latulippe pendant 30 ans – jouit d’un classement patrimonial.

La Cour supérieure a ordonné aux propriétaires de la salle de respecter leur engagement de faire insonoriser la salle de spectacle. Ils devront commencer les travaux dans le mois qui suivra la réception du permis de construction de la Ville de Montréal.

Entre-temps, le juge Hussain « ordonne » aussi à La Tulipe de cesser de dépasser les limites sonores prévues au règlement municipal. Ses dépassements passés lui coûteront 1250 $. « Monsieur Beaudoin a souffert de certains troubles et inconvénients en lien avec le bruit de La Tulipe », précise la décision.

« On n’émettra pas de commentaire », a indiqué son avocate, MCharlotte Dion.

« Épisode kafkaïen »

Les propriétaires de La Tulipe avaient pris la parole fin 2021, dénonçant « un épisode kafkaïen ». « Nous crions à l’injustice. Ça suffit. »

« Il est incroyable de penser qu’on veut nous empêcher de présenter des spectacles dans un lieu qui n’a que la culture et le spectacle pour vocation », continuaient-ils.

Madame la mairesse Valérie Plante, Monsieur le Maire d’arrondissement Luc Rabouin, s’il y a lieu, vous porterez l’odieux de cette fermeture due à une bévue de l’administration municipale et à votre inertie dans le dossier.

Les propriétaires de La Tulipe, dans un mot en 2021

Cette sortie avait déclenché une vague de solidarité dans le monde culturel et politique. « Je réitère mon engagement auprès des propriétaires d’assurer la pérennité de La Tulipe », avait dit M. Rabouin. « Pour nous, c’est une institution culturelle importante. On en reconnaît la valeur et on veut s’assurer qu’elle reste dans le Plateau. »

« La salle est là depuis 20 ans. Un nouveau voisin arrive en sachant qu’il déménage à côté d’une salle de spectacle et il fucke le chien parce qu’il entend de la musique. Du niaisage », avait dénoncé l’animateur Guy A. Lepage sur les réseaux sociaux.

L’histoire jusqu’ici

2004

La salle de spectacle La Tulipe s’installe dans un théâtre centenaire, avenue Papineau.

2016

Un investisseur achète une ancienne dépendance du théâtre et y installe des logements, dont le sien. Il se plaint rapidement du niveau sonore trop élevé dans ce bâtiment contigu.

2021

Face à une poursuite, les propriétaires de la salle de spectacle dénoncent la situation sur la place publique et menacent de devoir fermer leurs portes.