Une dizaine d’itinérants qui campent sous l’autoroute Ville-Marie, près de l’avenue Atwater, seront bientôt évincés en raison de travaux planifiés par le ministère des Transports du Québec (MTQ), qui ne semble cependant pas avoir de plan précis pour les relocaliser.

« Le MTQ veut se débarrasser de nous en plein milieu de l’hiver, c’est pas correct. Ils nous disent d’aller dans des refuges, mais ils ne nous aident pas », se désole Jacko Stuben, qui dit avoir installé son campement à cet endroit peu hospitalier il y a plus de 10 ans.

« J’ai besoin d’aide, je cherche de l’aide, mais c’est pas facile. »

Il raconte avoir reçu récemment la visite d’employés du MTQ qui ont prévenu les campeurs qu’ils devraient évacuer les lieux avant que le chantier démarre sous les voies de l’autoroute, à la fin de mars ou au début d’avril.

Éviction reportée

Le groupe de sans-abri avait déjà été menacé d’éviction en novembre dernier, mais le gouvernement avait décidé in extremis de reporter l’opération, pour lui donner le temps de trouver un endroit où loger.

Mais dans les faits, une seule personne, une dame âgée, a emménagé dans un logement le 1er février, grâce à l’aide d’un groupe communautaire.

  • Les tentes et les abris faits de bâches de plastique sont éparpillés sur le site de terre battue, en retrait de l’avenue Atwater.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Les tentes et les abris faits de bâches de plastique sont éparpillés sur le site de terre battue, en retrait de l’avenue Atwater.

  • Une femme enceinte préfère rester dans sa tente par cette froide matinée.

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    Une femme enceinte préfère rester dans sa tente par cette froide matinée.

  • Le campement de Jacko Stuben est délimité par de nombreux bacs de poubelles et de recyclage.

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    Le campement de Jacko Stuben est délimité par de nombreux bacs de poubelles et de recyclage.

  • Chaque sans-abris doit composer avec l’espace qui lui est réservé pour entasser ses biens et installer ses bâches ou sa tente.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Chaque sans-abris doit composer avec l’espace qui lui est réservé pour entasser ses biens et installer ses bâches ou sa tente.

  • Des employés du MTQ ont récemment prévenu les campeurs qu’ils devraient évacuer les lieux avant la fin du mois de mars.

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    Des employés du MTQ ont récemment prévenu les campeurs qu’ils devraient évacuer les lieux avant la fin du mois de mars.

  • Une pancarte rappelant à la dizaine d’itinérants qui campent sous l’autoroute Ville-Marie de ne pas uriner où bon leur semble.

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    Une pancarte rappelant à la dizaine d’itinérants qui campent sous l’autoroute Ville-Marie de ne pas uriner où bon leur semble.

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Les autres campeurs sont toujours sur place. Les tentes et les abris faits de bâches de plastique sont éparpillés sur le site de terre battue, en retrait de l’avenue Atwater, sous la dalle de béton de l’autoroute, qui offre une certaine protection contre les intempéries, malgré le bruit de la circulation et des trains qui passent à côté.

Chaque groupe a installé ses affaires dans son coin. On trouve ici un vieux fauteuil déchiré, là un barbecue bancal, plus loin un vélo rouillé. Des vêtements, de la nourriture et des déchets jonchent le sol gelé. Dans un coin, un seau de plastique sert de toilette.

Le campement de Jacko Stuben est délimité par de nombreux bacs de poubelles et de recyclage. Au Canada depuis 35 ans, l’homme originaire du Sri Lanka a la manie de ramasser et de conserver tout ce qu’il trouve ; il vit donc entouré d’un amoncellement d’objets hétéroclites et de déchets. Il dit avoir déjà travaillé comme exterminateur, ce qui fait que des poisons contre les insectes côtoient de la nourriture.

Juste à côté, un couple, dont la femme est enceinte, préfère rester dans sa tente par cette froide matinée. On n’entend que leur toux à travers la toile mince.

Situations complexes

« Ce sont des gens qui ne sont pas faciles à relocaliser. Certains consomment de la drogue, d’autres sont en couple et ne veulent pas se séparer pour aller dans les refuges, d’autres ont des animaux », explique David Chapman, directeur de l’organisme Résilience Montréal, qui administre un refuge de jour non loin sur la rue Sainte-Catherine, où l’on sert des repas chauds et où les itinérants peuvent prendre une douche, entre autres.

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David Chapman, directeur général de Résilience Montréal

« Je ne sais pas ce que je ferai quand on sera délogés, je vais improviser. C’est la vie ! », lance John, un jeune homme qui a planté sa tente au campement il y a quatre ou cinq mois. Pendant l’hiver, il s’est fait voler sa remorque de vélo contenant toutes ses affaires, incluant sa tente et son sac de couchage. Heureusement, un organisme communautaire l’a aidé à s’en procurer de nouveaux, et John est très fier de sa tente neuve.

« C’est le danger quand vous vivez dehors : vous risquez de vous faire voler, il peut y avoir de la violence, fait remarquer David Chapman. Mais un campement, c’est aussi une petite communauté. Les gens s’entraident et peuvent veiller les uns sur les autres quand ils sont malades. »

C’est pour cette raison qu’on ne peut pas facilement arracher ces gens à leur milieu de vie, ajoute-t-il, soulignant qu’il y a d’autres endroits sous l’autoroute qui pourraient accueillir des tentes.

S’ils sont délogés, ils vont se chercher un autre endroit où planter leur tente, où ils seront peut-être isolés, donc plus à risque.

David Chapman

Question de sécurité

Au ministère des Transports, on assure qu’il est impérieux d’évacuer le site, puisque les travaux à effectuer mettraient en danger la sécurité des campeurs. « Le Ministère n’a pas l’expertise pour trouver des logements pour ces personnes. C’est pourquoi on travaille avec le ministère de la Santé, avec le CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, et avec les villes de Westmount et Montréal pour les relocaliser », indique la porte-parole du MTQ Sarah Bensadoun.

« L’Équipe Connexion travaille avec la population d’itinérants de la région que nous desservons », explique de son côté le porte-parole du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal Barry Morgan, dans une réponse envoyée par courriel. « Les membres de cette équipe ont rendu visite plusieurs fois aux campeurs en question. Des services ont été offerts à plusieurs reprises dans le passé, et nous continuons à les proposer. Les campeurs ont le droit de refuser les services, et le font souvent. Les campeurs ont été avisés qu’ils doivent déménager. »

Puisque les itinérants refusent de quitter les lieux, qui s’occupera de leur éviction ? « Nous ne sommes pas chargés de démanteler des campements, » répond M. Morgan.

La Ville de Westmount, où est situé le terrain en question, précise que le site est sous la juridiction du MTQ. Au Service de police de la Ville de Montréal, la porte-parole Caroline Labelle souligne que « c’est donc la Sûreté du Québec (SQ) qui intervient en soutien au MTQ » à cet endroit.

Du côté de la SQ, la porte-parole Camille Savoie ne peut confirmer si le MTQ a fait une demande d’assistance. « C’est eux qui sont responsables s’ils veulent faire évincer des gens, » dit-elle.

Jacko Stuben aimerait avoir son appartement à lui où il pourrait vivre avec deux colocataires et se faire un potager dans la cour arrière. « Mais un logement coûte 1800 $ ! Comment je pourrais me payer ça ? », laisse-t-il tomber.

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Jacko Stuben, un itinérant de longue date, déplore la demande d’éviction du MTQ.

« Pourquoi on ne trouve pas des logements subventionnés et supervisés pour eux ? », demande David Chapman. « Ça serait beaucoup mieux que de dépenser de l’argent pour envoyer la police sur place à chaque fois qu’il y a une plainte. »

« Le problème ne disparaîtra pas »

La Défenseure fédérale du logement, Marie-Josée Houle, s’inquiète au sujet de l’éviction à venir, après avoir visité le campement sous l’autoroute Ville-Marie la semaine dernière.

« La situation est complexe, mais c’est quoi la stratégie du gouvernement ? », demande-t-elle. « On ne peut pas juste dire : “Vous devez quitter cet endroit, sinon on vous enlève vos choses, on détruit les outils qui vous aident à survivre et vous donnent une certaine sécurité”. »

Selon Mme Houle, il est indispensable de trouver des solutions adaptées à la situation de chaque personne dans le besoin, et non pas les envoyer dans n’importe quel refuge. « Pour respecter leur dignité, il faut en discuter avec eux pour trouver le logement adéquat, mais il y a tellement peu de logements disponibles », se désole-t-elle.

S’il n’y a pas d’autre solution pour eux que de vivre dans un campement, une récente décision de la Cour supérieure en Ontario suggère que le gouvernement doit les laisser s’y installer, et même leur fournir des installations sanitaires et de l’eau potable, note-t-elle.

« Depuis quelques années, les municipalités utilisent la police ou le harcèlement pour obliger les campeurs à déménager. Ça les fait disparaître à un endroit, mais le problème ne disparaîtra pas », fait-elle remarquer.

La Défenseure fédérale du logement a lancé en février un examen sur les campements au Canada et les violations des droits de la personne de ceux qui y résident. Le résultat de cet exercice devrait déboucher l’automne prochain sur des recommandations pour le gouvernement fédéral.