De plus en plus d’usagers du transport en commun de la métropole embarquent sans payer, dénoncent des chauffeurs et leur syndicat, réclamant une meilleure surveillance. La Société de transport de Montréal (STM), quant à elle, se dit en action, mais avoue ne pas pouvoir documenter entièrement le phénomène.

« On est plusieurs à observer que ça a vraiment empiré depuis un an et demi en particulier. Sur certaines lignes de bus en particulier, c’est vraiment atroce : ça rentre de tous les bords, ça ne paie plus. C’est comme si c’était devenu le dernier souci de bien des clients », souffle un chauffeur d’expérience, qui n’a pas souhaité s’identifier par crainte de représailles de son employeur.

Au moment où « des gouvernements se battent pour faire vivre les sociétés de transport », ajoute cet employé, « c’est ironique qu’on tolère ça en même temps ». « On comprend que les chauffeurs n’ont pas à intervenir, que ça ne vaut pas toujours la peine, et qu’il y a un équilibre financier derrière, mais à un moment donné, il faudrait être conséquents et s’attaquer à ça », poursuit ce chauffeur.

Le syndicat des chauffeurs d’autobus de la STM affirme aussi que le phénomène « s’aggrave » dans certains secteurs de Montréal. En 2019, des élus avaient d’ailleurs demandé à la vérificatrice générale de Montréal d’enquêter sur les pertes engendrées par la fraude à la STM, mais cela n’a jamais eu lieu.

C’est un peu comme si les gens avaient pris une habitude. On entend que la STM ne fait rien contre ça dans les bus et le métro. Puis ils sautent le tourniquet, et ça marche. Et ils recommencent.

Pino Tagliaferri, président du syndicat des chauffeurs d’autobus de la STM

Selon lui, la solution est simple. « Ça prendrait plus d’agents dans les secteurs qu’on identifie comme problématiques. Mais surtout, qu’ils émettent des contraventions ! », martèle encore le leader syndical. « S’il n’y avait ne serait-ce qu’un peu plus de surveillance, les gens ne s’essaieraient pas souvent. Là, tout le monde sait qu’il manque d’agents de station, ça se voit », persiste M. Tagliaferri.

À ses yeux, les réductions récentes de services, dont la fin annoncée du service d’autobus « 10 minutes MAX » de la STM, « font en sorte de faire bondir l’achalandage dans les bus et dans le métro ». « La situation s’aggrave de plus en plus. On a besoin de réinvestir massivement dans nos réseaux », poursuit le leader syndical.

De surcroît, rappelle-t-il, des autobus continuent d’accueillir gratuitement les passagers en raison de pannes de leur borne de paiement, un problème d’abord rapporté par La Presse en janvier qui continue d’empirer, selon le syndicat. « La STM sort quand même les véhicules où il y a ces enjeux, elle n’a pas le choix. Mais ça contribue définitivement au problème », insiste M. Tagliaferri.

« Complexe à calculer »

À la STM, le porte-parole Philippe Déry indique que « la notion de perte financière engendrée par la fraude est complexe à calculer, puisqu’elle nécessite d’arriver à un indice de fraude fiable et représentatif ». « Un tel indice comporte nécessairement plusieurs biais statistiques et la STM ne considère pas qu’il s’agit d’un indicateur assez fiable pour être suivi ou utilisé », précise-t-il d’emblée.

Néanmoins, cet indice existait toujours il y a quelques années, et établissait le taux de fraude à « entre 1 et 2 %, ce qui n’est pas critique », poursuit M. Déry. Depuis, « rien n’indique qu’il y ait eu des changements significatifs depuis, mais nous suivons les observations de nos employés sur le terrain de près, ainsi que les résultats de nos opérations de contrôle de titres ».

Pour Jean-Philippe Meloche, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, le contrôle de la fraude « est toujours une question d’équilibre ».

« La STM doit savoir à peu près combien ils perdent avec les gens qui ne paient pas. Et éventuellement, s’ils perdent trop d’argent avec ça, ils vont réinvestir dans la coercition, la surveillance. Mais s’ils ne le font pas davantage présentement, c’est probablement parce que le bénéfice n’en vaut pas la peine, parce que le gain potentiel ne vaut pas l’argent que coûteraient plus de mesures », souligne-t-il.

On ignore à ce jour quelles pertes peuvent engendrer la fraude ou les investissements que cela demanderait pour y mettre fin. « Nous ne pouvons ségréger uniquement les coûts ou budgets liés à la prévention de la fraude. Les opérations de contrôle de titres menées par les constables spéciaux, qui représentent environ 30 % de leurs tâches, jouent un rôle important, mais aussi les investissements dans le système de contrôle des titres, l’implantation de cartes OPUS avec photo pour les clients à tarif réduit, etc. », illustre M. Déry.

Depuis l’implantation du système OPUS, en 2008, la STM estime que « la fraude a réduit de plus de la moitié ». Plusieurs facteurs ont contribué à cette réduction, dont la gestion automatisée des correspondances et celle du tarif réduit. « D’autres mesures sont également en place, notamment des opérations de contrôle des titres menées par nos inspecteurs, de façon aléatoire, mais aussi en ciblant spécifiquement certains secteurs problématiques », conclut le porte-parole.

En savoir plus
  • 7 %
    Proportion de déplacements à bord de bus qui « peuvent occasionner une perte de revenus », selon la STM, soit les trajets qui sont acquittés par des titres par passage ou par argent comptant et les trajets qui ne comportent pas de correspondance.
    source : stm