C’est comme une oasis de verdure cachée dans le flot interminable des camions quittant le port de Montréal pour filer vers l’autoroute 25. Des platebandes en paillis bordent la large piste multifonctionnelle qui traverse un aménagement paysager tout en bosses et en reliefs entre la rue Notre-Dame et la rue Lecourt, dans l’ancienne emprise de la rue Curatteau. Les écrans antibruit transparents noient le rugissement des camions dans le bruit ambiant du secteur, qui reste élevé, mais leur présence protège des assauts directs des 80 et quelque décibels des poids lourds. C’est une jolie découverte pour le quartier, une belle réussite pour le ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec (MTMDQ). L’asphaltage est neuf, le terrain est d’une propreté immaculée. Et c’est… fermé.

À l’angle des rues Curatteau et Notre-Dame, de lourdes barrières de métal en interdisent le passage, recouvertes de bâches pour dissimuler le secteur aux regards. Depuis la première fois qu’il a pu y jeter un œil, il y a de cela plusieurs mois, Daniel Chartier, architecte paysagiste à la retraite et résidant du quartier Mercier-Est, passe souvent en automobile juste pour voir si on l’a finalement ouvert.

Il ne sait pas depuis combien de temps les travaux d’aménagement sont terminés, mais il nous montre une photo datant d’avril dernier. La piste multifonctionnelle est déjà asphaltée et le marquage a été fait, mais elle est interdite de passage en raison des travaux d’aménagement en cours de part et d’autre. Les mois ont passé. « Pour avoir géré des chantiers d’aménagement de parcs pendant 37 ans pour la Ville de Montréal, je dois dire que les délais des chantiers dépassent l’entendement. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Entrée fermée de la piste cyclable neuve à l’intersection des rues Notre-Dame et Curatteau

« À un moment donné, dit-il, je pensais qu’on attendait pour faire une coupure de ruban officielle pour la campagne électorale. Mais non. »

Pénurie de bollards ?

Au ministère des Transports et de la Mobilité durable, la porte-parole Caroline Larose précise que « les travaux sont presque terminés ». En fait, il ne manque que des bornes de protection, aussi appelées bollards.

« Ce sont des poteaux métalliques qui doivent être installés à l’entrée de la piste et qui sont essentiels pour empêcher les automobilistes de s’y engager et assurer la sécurité des usagers. Par contre, le consortium Renouveau La Fontaine nous dit qu’il a des problèmes de fourniture de ces bollards, et c’est ce qui retarde la finition des travaux », explique Mme Larose.

Si jamais ce problème d’approvisionnement devait se prolonger indûment, ajoute-t-elle, le MTMDQ « pourrait recourir à une solution temporaire avec la collaboration de la Ville de Montréal. On pourrait installer des glissières de béton, par exemple ».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Une des barrières de métal qui interdit l’accès a été écartée.

Pendant que les représentants de La Presse visitent les lieux, une femme arrive sur son vélo au coin de Notre-Dame et Curatteau, elle en descend, écarte une des barrières de métal qui interdit l’accès et s’y glisse avec sa monture. Quand on lui demande si elle est au courant de l’existence de ce passage, elle fait un sourire entendu, remonte sur son vélo et poursuit son chemin en direction nord vers la rue Lecourt et la rue Curatteau, à l’ombre des murs antibruit.

Daniel Chartier sourit. « Le secret est éventé. »

De Notre-Dame à Sherbrooke

À l’ère de la mobilité durable, et des embouteillages locaux provoqués par les travaux au pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, l’ouverture de cette piste, avec ou sans bollards, s’ajoutera à d’autres pistes déjà aménagées par le MTMDQ à l’ombre de l’autoroute dans le cadre des travaux d’optimisation réalisés entre 2017 et 2019. Elle achèvera ainsi un corridor cyclable et piétonnier de plusieurs kilomètres, exceptionnellement paisible, le long d’une autoroute extrêmement bruyante, à partir de la rue Notre-Dame jusqu’à la rue Sherbrooke.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Circulation sur l’autoroute 25 en direction sud

Ce sera aussi le point d’orgue d’une bataille qui a duré 35 ans pour les résidants de la rue Curatteau, qui ont vécu des décennies dans le vacarme de l’autoroute 25. La rue est aujourd’hui complètement déconnectée du réseau artériel de Montréal et du réseau autoroutier, qui déversaient des centaines d’automobiles et de camions dans le quartier, en quête d’un raccourci pour contourner les bouchons de l’autoroute. Les premières manifestations remontent aux années 1980, les premiers murs antibruit à la fin des années 1990. C’est seulement en 2017 qu’on a fermé la bretelle en provenance de l’autoroute et reconstruit une grande partie des écrans antibruit.

La rue Curatteau est aujourd’hui presque complètement « pacifiée » et, piste cyclable ou pas, on peut y pédaler ou y marcher en toute sécurité entre de hauts murs de béton vert-de-gris et une rangée de maisons unifamiliales où, de jour, le trafic automobile se résume à une voiturette de Postes Canada.

Aux yeux de M. Chartier, toutefois, le MTMDQ n’a fait le travail qu’à moitié à l’intersection des rues Honoré-Beaugrand et Souligny, dont la traversée demeure insécurisante à vélo ou à pied, en raison de la vitesse et de la densité du trafic. « Mais ça prend du temps à se faire entendre quand on est voisin d’une autoroute, soupire-t-il. Ça peut encore être corrigé. »