L’instance décisionnelle de Mobilité Montréal, l’organisme responsable de coordonner les chantiers de la région métropolitaine, a eu une seule rencontre dans les cinq dernières années, a appris La Presse.

À quelques jours du début des mégatravaux dans le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, plusieurs sources dénoncent l’absence de leadership à la tête de l’organisme, dont les comités techniques continuent toutefois à fonctionner.

« Il faut que ce monde-là se parle », a déploré l’ex-ministre des Transports Robert Poëti, qui croit que la tenue de réunions plus régulières à la tête de Mobilité Montréal aurait pu faire émerger des solutions à la catastrophe annoncée.

Mobilité Montréal a été créé en 2011, dans la foulée de la chute d’un paralume sur l’autoroute Ville-Marie. Pendant des années, ministres, maires et grosses pointures du monde des transports se réunissaient périodiquement en comité directeur pour vérifier la coordination des chantiers et demander des comptes aux fonctionnaires. Ensemble, ils formaient l’« instance décisionnelle » de Mobilité Montréal.

Or, une seule de ces rencontres a eu lieu depuis le début de l’année 2018, selon un document du ministère des Transports du Québec (MTQ) obtenu en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Cette unique réunion du comité directeur s’est tenue en 2020. Le comité consultatif (« aviseur »), censé formuler des recommandations au comité directeur, s’est réuni une poignée de fois pendant la même période. Les comités techniques inférieurs, composés de fonctionnaires, se réunissent plus souvent.

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L’ex-ministre des Transports Robert Poëti, lors d’un évènement organisé par la Chambre de commerce et d’industrie du Grand Lévis mercredi

Mais le travail des comités techniques n’est pas suffisant, selon M. Poëti, qui a régulièrement présidé des rencontres du comité directeur de Mobilité Montréal. « Ça prend le leadership des élus pour s’asseoir et obliger tout le monde à travailler avec l’ensemble des municipalités qui peuvent aider à trouver des solutions », a-t-il dit en entrevue téléphonique.

« Ça tourne en rond »

Plusieurs participants passés ou actuels aux réunions de Mobilité Montréal partagent la vision de M. Poëti.

L’un d’eux déplore l’absence de redditions de comptes des fonctionnaires depuis que le comité directeur ne se réunit presque plus. « Quand le politique n’est pas mis au fait que les choses n’avancent pas, ça tourne en rond, a confié cette personne. Quand [les fonctionnaires des comités techniques] sont confrontés par le politique, ça avance davantage. »

Une source qui est membre de l’un des comités de Mobilité Montréal nous confie pour sa part ne « pas avoir eu de nouvelles » de l’organisme depuis environ un an. Elle estime que le groupe a fait du bon travail pour coordonner les chantiers pendant la reconstruction de l’échangeur Turcot, au milieu des années 2010, mais constate que la gestion du chantier du pont-tunnel Louis-Hippolyte La Fontaine, elle, a été « centralisée » au MTQ.

Une autre source proche du dossier, qui connaît très bien le fonctionnement de Mobilité Montréal, le qualifie de « coquille vide ». L’organisme a rapatrié « toutes les communications des enjeux de mobilité », mais par rapport aux décisions, aux pouvoirs de coordination, il y en a très très peu.

Ces sources se sont exprimées confidentiellement parce qu’elles n’étaient pas autorisées à parler du dossier aux médias.

Au MTQ, qui tient ultimement les rênes de Mobilité Montréal, on assure que l’organisme « existe encore » et que ses différents comités sont « toujours fonctionnels ». Le comité de coordination des entraves majeures de fin de semaine, par exemple, se réunit chaque semaine et publie tous les jeudis un communiqué de presse pour indiquer aux gens les secteurs à éviter.

« Un exemple du fonctionnement de ce comité-là, pour cette fin de semaine, avec toutes les entraves qu’on va avoir, c’est que le comité de coordination a refusé toutes les autres entraves qui pouvaient venir en conflit avec celles qui se font dans l’axe du tunnel La Fontaine », précise Sarah Bensadoun, porte-parole du MTQ.

Guilbault prévoit une « réflexion »

Il est encore trop tôt pour savoir ce que compte faire la nouvelle ministre des Transports, Geneviève Guilbault, avec Mobilité Montréal. C’est elle qui aura le pouvoir de modifier la structure de l’organisme ou de forcer ses dirigeants à se rencontrer plus souvent.

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La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, en visite sur le chantier du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine jeudi

Depuis la prestation de serment de Mme Guilbault, « sa priorité à titre de ministre des Transports et de la Mobilité durable est d’amoindrir l’impact de la réfection du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine pour les citoyens de Montréal et de la Rive-Sud, a indiqué vendredi son cabinet. Bien sûr, Mobilité Montréal, comme bien d’autres acteurs, joue un rôle dans cette coordination. »

La ministre « devra prendre davantage connaissance des dossiers avant d’entamer une réflexion approfondie sur le rôle des acteurs de la mobilité dans la région métropolitaine », a-t-on ajouté.

Il reste que le dossier épineux du tunnel La Fontaine pourrait servir de test pour l’avenir de Mobilité Montréal. Geneviève Guilbault devra départager les rôles entre cet organisme et la nouvelle « cellule tactique » qu’elle a créée pour surveiller le chantier, deux entités qui comprennent plusieurs des mêmes acteurs.

Plusieurs plaident pour garder la structure en vie, malgré un leadership remis en question de toutes parts.

Marc Cadieux, le PDG de l’Association du camionnage du Québec, a fait valoir que l’organisme pouvait toujours être utile.

Mobilité Montréal, revampé et remis à jour, pourrait certainement être un outil utile pour amener tout le monde à se commettre sur des enjeux communs.

Marc Cadieux, PDG de l’Association du camionnage du Québec

Mobilité Montréal ne devrait absolument pas être démantelé, croit aussi Florence Junca-Adenot, professeure associée au département d’études urbaines de l’UQAM et ancienne présidente fondatrice de l’Agence métropolitaine de transport. « On n’a pas le choix. Il y a tous les partenaires qui sont là autour de la table. Mais il faut le faire fonctionner. »

Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, qui est membre du comité directeur de Mobilité Montréal, estime quant à lui que l’organisme « a été un outil très utile pour stimuler la collaboration et identifier d’avance les enjeux, et amener des comités techniques à creuser des solutions pour les présenter à une date donnée à un comité directeur », malgré le peu de réunions tenues au sommet ces dernières années.