« Ils sont stressés. Ils ont peur. » Des signaleurs routiers craignent le pire en vue des entraves dans le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine qui accentueront la pression sur le réseau routier du Grand Montréal. Observant déjà une hausse des accidents, leur association réclame plus de sécurité entourant l’exercice du métier.

« Ça inquiète beaucoup notre monde. Il y a beaucoup de travailleurs qui se demandent s’ils vont accepter d’aller travailler sur le mégachantier du tunnel, ou même aux alentours. Ils veulent qu’on leur garantisse la sécurité. Ils sont stressés, ils ont peur. C’est une crainte réelle et répandue », affirme le président de l’Association des travailleurs en signalisation routière du Québec (ATSRQ), Jean-François Dionne.

L’an dernier, 161 signaleurs routiers ont été impliqués dans un accident au Québec. Il s’agit d’un bond par rapport à 2020, année durant laquelle 104 travailleurs avaient été blessés. Quelque 80 signaleurs avaient été blessés en 2019, environ 75 en 2018 et une soixantaine en 2017. En 2016, 47 accidents seulement étaient survenus. « Chaque année, on franchit des hausses et on surpasse des records. Juste la semaine passée, on a eu trois accidents, et un mort. Ça arrive de plus en plus fréquemment », s’indigne M. Dionne.

Sur les réseaux sociaux, ils sont plusieurs signaleurs, ces derniers jours, à manifester leur indignation. « Il est déplorable qu’en 2022, nous allons encore au travail protéger des travailleurs, en ne sachant pas si nous-mêmes allons revenir », a notamment dénoncé sur Facebook la signaleuse Nathalie Diamond, de Mont-Carmel, en réaction à la mort de Marc Séguin. Ce signaleur routier de 58 ans est mort après avoir été heurté par un véhicule la semaine dernière à Carignan, en Montérégie.

C’est nous les premiers répondants sur un chantier. C’est nous les moins payés, pis le monde se fout de nous tous les jours.

Carole Charest, signaleuse routière, sur Facebook

Dimanche, l’ATSRQ a organisé une manifestation en l’honneur de Marc Séguin. La marche avait culminé devant les bureaux de Radio-Canada, où la nouvelle ministre des Transports, Geneviève Guilbault, était attendue en soirée.

« La sécurité de nos signaleurs, c’est une responsabilité collective. Parfois, des chantiers, des cônes orange, il y en a beaucoup. On arrive et on est impatients, on est pressés, on n’a pas envie de trop suivre la signalisation et la vitesse diminuée, mais c’est très important », a réagi dimanche Mme Guilbault sur le plateau de Tout le monde en parle, en se disant ouverte à une rencontre avec les signaleurs routiers.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Québec et la CNESST en appellent à la patience et la compréhension des automobilistes autour des chantiers.

Une sécurité à augmenter

En avril, le Bureau du coroner jugeait que la mort du signaleur Pascal Cauchon, survenue en 2021 sur un chantier dans le Centre-du-Québec, appelait à une série d’« interventions » afin d’assurer la sécurité de ces travailleurs. L’ATSRQ a d’ailleurs demandé la tenue d’une enquête publique dans la foulée.

Lisez « Mort d’un signaleur sur un chantier : le coroner appelle Québec à implanter plusieurs mesures »

Avec l’arrivée du mégachantier du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, dès le 31 octobre, Jean-François Dionne craint le pire. « On demande au gouvernement d’être honnête. C’est bien beau de nous promettre la sécurité des travailleurs, mais s’il n’y a pas de personnel pour nous protéger, ça ne change rien », fustige le président, pour qui la sécurité aux abords des chantiers est trop souvent « inexistante ».

On se fait dire par les policiers qu’ils n’ont pas le temps d’aller sur les chantiers, qu’ils ont d’autres priorités, que la pénurie de main-d’œuvre frappe partout. Pendant ce temps-là, nos travailleurs sont victimes de propos déplacés, se font lancer des choses, sont frôlés par des automobilistes.

Jean-François Dionne, président de l’ATSRQ

Mis à part une surveillance accrue des chantiers, son association demande des « amendes et pénalités plus élevées » pour les automobilistes sur les chantiers, afin d’encourager la population à user de civisme et ralentir. M. Dionne voudrait aussi voir plus de radars photo à l’entrée et à la sortie des secteurs en travaux.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

L’an dernier, 161 signaleurs routiers ont été impliqués dans un accident au Québec.

L’expert en planification des transports de l’Université de Montréal Pierre Barrieau craint aussi certaines dérives. « On sait qu’il y a une relation entre la congestion et les actes de haine au volant, ou en anglais le road rage. À partir de là, on peut supposer qu’effectivement, ça va augmenter », dit-il. « Il faudrait faire porter des caméras corporelles aux signaleurs, pour filmer la personne qui commet l’agression et sa plaque d’immatriculation. Il faut surtout que les agresseurs paient pour leur acte disgracieux », poursuit M. Barrieau.

La CNESST prête à intervenir

À la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), le porte-parole Nicolas Bégin dit comprendre que la multiplication des chantiers suscite des craintes chez les signaleurs.

« L’agression verbale ou physique, malheureusement, elle fait partie des dangers qu’encourt un signaleur. Maintenant, est-ce qu’il y aura plus d’incidents avec la congestion ? On souhaite évidemment que non, mais s’il y a besoin d’intervenir davantage, on le fera. On est très présents sur les chantiers, et on sera prêts à faire les interventions qui s’imposent », assure M. Bégin en entrevue.

D’ici là, il invite les employeurs à se préparer. « Sur n’importe quel chantier, ça prend des mesures de prévention adaptées. Informez vos employés sur les différents types de violence, dotez-vous de mesures de soutien quand il arrive un évènement, ayez un programme d’aide aux employés, donnez-vous des mécanismes d’enquête et d’analyse de chaque évènement », énumère M. Begin.

« Il ne faut jamais hésiter à interpeller la CNESST si un signaleur sur un chantier ne se sent pas en sécurité. On fera toujours les vérifications pour que sa sécurité soit assurée », insiste le porte-parole. Aux automobilistes, il appelle au « gros bon sens ». « La situation actuelle appelle à une patience, une collaboration, et surtout une compréhension », conclut M. Bégin.

En savoir plus
  • 900
    Nombre approximatif de membres faisant partie de l’Association des travailleurs en signalisation routière du Québec. Bon an, mal an, on compte entre 1500 et 2500 signaleurs au Québec, selon la période de l’année.
    source : atsrq