Toutes les 41 heures, une personne est tuée ou gravement blessée dans une collision impliquant une personne qui conduit un véhicule motorisé à Montréal. Dans la majorité des cas, la victime est un piéton ou un cycliste. Lancée dans l’urgence d’agir, une nouvelle campagne de sensibilisation provoque un malaise chez des partisans d’une sécurité rehaussée sur la voie publique.

Cet été, de petits panneaux signés par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ont été installés à 42 intersections accidentogènes à Montréal. On y invite notamment les piétons à « regarder de chaque côté » et à faire « attention aux véhicules qui effectuent des virages ».

« C’est infantilisant comme message, ce sont des choses qu’on fait déjà », déplore Marion Le Bloa, résidante du quartier Rosemont qui habite près d’une intersection où des panneaux ont été installés.

Plusieurs piétons sont morts cette année à Montréal, note-t-elle, dont un homme dans la soixantaine qui a été écrasé par le conducteur d’un camion cube qui sortait d’une ruelle, alors qu’il marchait sur le trottoir près d’une épicerie du Vieux-Rosemont.

Fin juillet, une fillette de 2 ans que sa mère transportait dans une poussette a été happée à mort à l’intersection de l’avenue des Récollets et de la rue Fleury Est, dans l’arrondissement de Montréal-Nord, quand la conductrice d’un VUS a effectué un virage et les a violemment percutées, tuant l’enfant sur le coup et blessant sa mère.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

L’intersection de l’avenue des Récollets et de la rue Fleury Est, dans l’arrondissement de Montréal-Nord

« Ce ne sont pas des exemples où les piétons se sont lancés sous les roues d’un camion, dit Marion Le Bloa Comme piétons, on se fait souvent couper par des automobilistes pressés, même si on est déjà engagés et qu’on a la priorité. »

Le message sur les panneaux semble indiquer que c’est le conducteur qui a la priorité et que c’est au piéton de s’adapter.

Marion Le Bloa, résidante du quartier Rosemont

Aucune campagne d’affichage visant à alerter les automobilistes n’a été mise en place, note-t-elle. « Quand je conduis ma voiture, je ne vois rien qui me rappelle l’importance de faire attention aux piétons aux intersections. Au contraire, je vois sans cesse des excès de vitesse impunis, des comportements qui sont dangereux pour les piétons. »

Culture automobile 

Le message véhiculé sur les panneaux perpétue la primauté de la culture automobile, souligne Sandrine Cabana-Degani, directrice générale de Piétons Québec.

« Depuis des décennies, la culture automobile consiste à faire porter le fardeau de la sécurité sur les épaules de l’usager le plus vulnérable, tandis que l’automobiliste, lui, a la voie libre pour circuler comme il l’entend », dit-elle.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Sandrine Cabana-Degani, directrice générale de Piétons Québec

Au siècle dernier, rappelle-t-elle, les premiers automobilistes devaient être précédés d’un piéton muni d’un drapeau rouge dont le rôle était d’indiquer à tous qu’un véhicule dangereux circulait. Puis le concept du « jaywalking », ou traversée en dehors des zones de traverse piétonne, est apparu, d’abord aux États-Unis, puis au Canada, tandis que certains territoires, notamment le Royaume-Uni, n’ont pas de loi contre la traversée des piétons, autorisée partout sur la voie publique, à l’exception des autoroutes.

Résultat : une culture qui pense d’abord aux déplacements motorisés s’est peu à peu étendue à l’Amérique du Nord. Pourtant, la loi est claire : aux intersections, c’est le piéton qui a la priorité, dit Sandrine Cabana-Degani.

Le Code de la sécurité routière (CSR) stipule que les piétons ont la priorité aux feux verts, aux feux piétons et aux arrêts, même si on constate que ce n’est pas très respecté, cette priorité-là.

Sandrine Cabana-Degani, directrice générale de Piétons Québec

« Donc c’est sûr que c’est frustrant ensuite de voir qu’on fait encore de la sensibilisation aux piétons, alors que ces comportements de base pour assurer leur sécurité ne sont pas nécessairement respectés par les conducteurs. »

Caroline Labelle, des relations médias du SPVM, note que la signification des consignes apparaissant sur les feux de signalisation est souvent mal comprise par des piétons.

« Bien qu’il soit vrai que les piétons ont une priorité absolue lorsque la silhouette blanche fixe est visible, il n’en demeure pas moins que de regarder autour de nous avant d’amorcer la traversée de la rue est la meilleure façon de prévenir les collisions et de protéger la vie humaine », dit-elle.

Tous les postes de quartier du SPVM « font régulièrement des opérations de surveillance aux intersections connues pour présenter des risques pour les piétons et ciblent spécifiquement les véhicules. En effet, environ les deux tiers de ces collisions sont attribuables aux conducteurs ».

En savoir plus
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    Nombre de piétons morts dans une collision à Montréal en 2020, l’année la plus récente pour laquelle les données sont disponibles.
    Source : Ville de Montréal