L’opposition officielle à la Ville de Montréal a demandé mercredi la mise en place d’une « patrouille du web » avant la fin de l’année par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Ensemble Montréal compte déposer une motion en ce sens au prochain conseil municipal, mais un expert dénonce une mesure selon lui contre-productive.

Le responsable de la sécurité publique au comité exécutif de la Ville de Montréal, Alain Vaillancourt, a salué la sortie de l’opposition « qui semble vraiment adhérer à notre plan d’action ». Sans dire s’il allait appuyer la motion, il a promis une annonce « d’ici quelques semaines » à ce sujet.

La motion, proposée par le porte-parole de l’opposition officielle en matière de sécurité publique, Abdelhaq Sari, demande à ce que le conseil municipal « mandate le SPVM de mettre en place d’ici la fin de l’année 2022 son engagement […] de créer une “patrouille du web”, un outil collaboratif où plusieurs intervenants seraient mobilisés afin d’assurer une vigie des réseaux sociaux ».

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Abdelhaq Sari

La motion demande également à ce que la Ville et le SPVM « s’engagent à sensibiliser les adolescents aux dangers des réseaux sociaux et aux enjeux de cybercriminalité, de cyberintimidation et de cyberharcèlement, et à soutenir des mesures visant à les diminuer ».

Les mesures proposées incluent la promotion d’outils de prévention, d’information et de soutien existants, de même que le développement d’« espaces sécuritaires d’expression » pour les victimes de cybercriminalité ou de harcèlement en ligne. Une campagne de sensibilisation dans les espaces municipaux, les écoles et les centres communautaires est également avancée, en plus de la création d’une « semaine de sensibilisation au bon usage des médias sociaux ».

M. Sari a souligné en conférence de presse qu’il est toutefois important que les jeunes ne perçoivent pas ces mesures comme de la surveillance. Il compte pour ce faire sur des messagers de confiance, qui ont vécu les conséquences de la violence.

« Beaucoup de disputes naissent en ligne pour ensuite se transporter dans les rues », a affirmé Philippe Thermidor, conseiller d’arrondissement d’Ensemble Montréal cité dans le communiqué et présent à la conférence de presse de l’opposition mercredi. « Ça impose une sensibilisation et une prévention constante. »

La bonne cible ?

Ni M. Thermidor ni M. Sari n’ont été en mesure d’étayer le lien de causalité avancé entre la violence en ligne et la violence par armes à feu, ou d’en donner des exemples. Ils s’en sont plutôt remis au SPVM, qui n’avait pas répondu aux questions de La Presse au moment de publier ce texte.

Le professeur Ted Rutland, un expert en sécurité publique de l’Université Concordia, estime toutefois que la motion rate la cible. « [Ils] essaient de nous faire croire que la violence est causée par des interactions en ligne, et ce n’est absolument pas le cas », a-t-il affirmé en entrevue. « Toutes les études sur la violence, incluant la violence armée, parlent beaucoup plus du contexte social et économique des individus. »

S’il approuve les mesures de sensibilisation par les groupes communautaires, le professeur Rutland dénonce l’idée d’une « patrouille du web ». Il miserait plutôt sur la création de bons emplois pour les jeunes marginalisés, le suivi psychologique des victimes, et l’embauche de travailleurs de rue afin de lutter contre la violence armée.

« C’est des décennies de recherche qui montrent que ce sont des choses comme ça qui font la différence », a-t-il soutenu. « Plus de surveillance par la police et plus de répression, ça fait très peu de différence. »

« Le SPVM fait déjà beaucoup d’actions au niveau du web, de la cybercriminalité […], mais on va venir les renforcer par rapport à ce qu’on a vu sur le Forum », a quant à lui assuré M. Vaillancourt, du comité exécutif.

Dans la foulée du Forum montréalais pour la lutte contre la violence armée, en mars, le SPVM a dit envisager « l’élaboration d’une structure permettant une vigie des réseaux sociaux et des plateformes d’échanges utilisées par les jeunes impliqués dans les groupes criminalisés ». La vigie « aurait pour objectif d’occuper l’espace numérique grâce à un principe de “patrouille du web” » composée de policiers, de travailleurs sociaux, ou d’intervenants communautaires.

« Les médias sociaux jouent un rôle de plus en plus important dans les enquêtes en matière d’armes à feu », indique le SPVM dans son Rapport d’activités 2021. « En 2021, il y a eu une augmentation de 68 % des dossiers de ce type traités par notre Module cyberenquête. »