Il n’est pas toujours évident pour Montréal de faire respecter sa « liste noire » des entreprises bannies des contrats municipaux. Un déneigeur délinquant qui devait être écarté des appels d’offres pour cinq ans a réussi à continuer ses activités dans Hochelaga-Maisonneuve grâce à un prête-nom et à des complices dans l’industrie, selon un rapport du Bureau de l’inspecteur général (BIG).

Louis-Victor Michon avait été épinglé pour ses manœuvres de collusion en 2016. Il avait été enregistré alors qu’il offrait 100 000 $ à un concurrent pour que celui-ci renonce à participer à un appel d’offres en matière de déneigement, selon un rapport du BIG publié à l’époque.

M. Michon avait nié toute tentative de collusion et disait avoir simplement remboursé une somme d’argent reçue de son concurrent des années auparavant. Son témoignage avait été jugé peu crédible, si bien que l’entrepreneur avait été écarté des contrats publics pour cinq ans, tant à Montréal que pour l’ensemble du Québec.

Mais un nouveau rapport d’enquête signé par l’inspectrice générale Brigitte Bishop et déposé au conseil municipal lundi révèle que M. Michon aurait continué ses activités depuis 2016 et continué d’être payé grâce aux fonds publics pendant pratiquement toute la période de son bannissement.

Coquille vide

L’entrepreneur aurait utilisé une entreprise « coquille vide » appelée Excavation Bromont. Sur papier, cette dernière était dirigée par un certain Daniel Girard, mais Louis-Victor Michon en conservait le contrôle « de facto », « par le biais d’une entente de prêt-nom ».

Toujours selon l’enquête du BIG, M. Michon aurait ensuite bénéficié de l’aide de l’entreprise KL Mainville, l’un des joueurs les plus importants au Québec en matière de camionnage en vrac. Le président de KL Mainville, Serge Mainville, est proche de Louis-Victor Michon et a reçu un prêt de deux millions de dollars du père de M. Michon en 2014, précise le rapport d’enquête.

Dès que Louis-Victor Michon s’est retrouvé sur la « liste noire » de Montréal, KL Mainville a commencé à présenter des soumissions pour des contrats de déneigements dans Hochelaga-Maisonneuve, qu’elle confiait en sous-traitance à Excavation Bromont, la coquille utilisée par M. Michon pour dissimuler son identité, affirme le rapport.

Les enquêteurs du BIG disent avoir amassé des preuves démontrant que M. Michon participait activement aux contrats remportés en 2016, 2018 et 2021, notamment « notamment en conduisant lui-même des camions, en supervisant les camionneurs affectés au transport de la neige, en effectuant la conciliation des données de transport de la neige en vue de la facturation par KL Mainville de ses services à la Ville de Montréal et en recrutant des camionneurs ».

Témoignages jugés peu crédibles

Interrogé par les enquêteurs, Serge Mainville a dit ignorer que le sous-traitant à qui il confiait tout ce travail était contrôlé en sous-main par Louis-Victor Michon, le fils de son bailleur de fonds. M. Michon a quant à lui nié avoir eu une implication importante dans l’exécution des contrats et nié avoir contrôlé Excavation Bromont. Leurs deux versions ont été jugées peu crédibles par l’inspectrice générale.

L’inspectrice Bishop recommande donc de résilier deux contrats de déneigement accordé à KL Mainville et de déclarer l’entreprise et son président inadmissibles aux contrats publics montréalais pour cinq ans. Elle recommande aussi que Louis-Victor Michon soit inadmissible aux contrats publics de la Ville pour cinq années supplémentaires. Quant à Excavation Bromont et le prête-nom Daniel Girard, elle recommande qu’ils soient écartés des contrats municipaux pour quatre ans.

Maja Vodanovic, responsable de la concertation avec les arrondissements au comité exécutif, a affirmé lundi que les deux contrats seraient résiliés mais que les services à la population seraient assurés tout de même. « Comme on est au mois de juin, on aura tout le temps nécessaire pour octroyer de nouveaux contrats pour pouvoir offrir le service que Mercier–Hochelaga-Maisonneuve mérite », a-t-elle dit.

Avec la collaboration d’Isabelle Ducas, La Presse