La Ville de Saint-Bruno-de-Montarville s’apprête à modifier le code de déontologie qui s’applique aux élus pour introduire des critères de loyauté qui pourrait limiter de façon importante leur liberté d’expression.

S’il est adopté, ce règlement prévoit quatre nouvelles dispositions « afin d’ajouter la loyauté à titre de règle de conduite ».

L’élu devra respecter « les résolutions, les politiques, les directives et les procédures prises par le conseil, malgré sa dissidence, en faisant preuve de modération à l’occasion de tout commentaire public concernant ces décisions ». Il devra également observer les décisions prises par le conseil s’il siège à des organismes ou des commissions de l’agglomération de Longueuil.

La quatrième disposition prévoit que le conseiller aura l’obligation de « s’abstenir d’influencer ou de chercher à influencer un élu d’une autre municipalité pour que celui-ci vote à l’encontre d’une décision prise par le conseil, notamment lorsqu’il siège à des commissions de l’agglomération de Longueuil ».

Le maire, Ludovic Grisé Farand, a expliqué à La Presse que ces changements résultaient d’une promesse électorale et qu’ils avaient principalement pour but d’empêcher un conseiller nommé par la Ville de « saboter » des projets en intervenant auprès d’autres instances municipales.

M. Grisé Farand note toutefois que le projet de règlement pourrait encore changer.

Après avoir déposé une première mouture, en mars, la Ville a accouché d’une deuxième mouture, plus détaillée, qui sera soumise à la séance du conseil dans quelques jours, le mardi 14 juin.

De nombreuses interrogations

Dans son libellé actuel, le règlement soulève de nombreuses interrogations.

« Je pense que ça va trop loin, que c’est exagéré, que ce n’est pas évident qu’on a tous ces pouvoirs-là et qu’on pourrait appliquer ce règlement », a réagi Danielle Pilette, professeure de gestion municipale à l’UQAM, interrogée par La Presse.

Photo Alain Roberge, archives LA PRESSE

Danielle Pilette, professeure de gestion municipale à l’UQAM

« Et surtout, surtout, le climat politique changerait, et le climat institutionnel risquerait de changer et d’être moins collaboratif et plus axé sur la méfiance et l’extrême prudence. Peut-être qu’on perdrait en vigueur démocratique. »

MCharles Turcot, avocat spécialisé en droit municipal, qui a été mandaté par un conseiller de l’opposition de Saint-Bruno pour analyser la première version de ce projet de règlement, croit qu’il « a pour but de faire taire l’opposition ».

Une fois qu’un conseil se prononce sur une question, il faudrait que le débat public soit terminé. Je ne pense pas que ce soit ça, l’essence de notre système démocratique.

MCharles Turcot, avocat spécialisé en droit municipal

MTurcot est aussi d’avis que ce projet va trop loin : « C’est définitivement contestable. Qu’est-ce qu’un tribunal déterminerait ? Je l’ignore, mais c’est sûr qu’il y aurait un point à faire valoir devant un tribunal, si un élu est muselé de la sorte. »

De son côté, le conseiller de l’opposition Vincent Fortier croit que « c’est une dérive autoritaire ».

photo tirée du site du MONTARVILLOIS

Vincent Fortier, conseiller de l’opposition

« On veut mettre une règle déontologique dont l’objectif clairement avoué, c’est d’empêcher des élus qui ne font pas partie de la majorité du maire d’exprimer leur idée politique. Pour moi, c’est scandaleux », affirme-t-il.

« C’est une règle que je considère comme liberticide », ajoute le conseiller, qui est professeur d’éthique au cégep. « Je vois là-dedans une instrumentalisation d’une règle déontologique à des fins partisanes. L’unique objectif est de faire taire ceux avec qui on est en désaccord. Et ça, sur le plan démocratique, c’est extrêmement préoccupant. On utilise le droit pour régler des conflits politiques. »

Le maire soutient toutefois que son objectif n’est pas de brimer le droit d’expression des élus. « Ils peuvent dire ce qu’ils veulent », assure-t-il.

Le complexe sportif

L’idée de modifier le code d’éthique et de déontologie des élus s’explique en grande partie par un débat qui agite Saint-Bruno autour d’un projet de complexe sportif. La Ville tient jusqu’à samedi un référendum pour déterminer l’emplacement de ces futures installations. Deux choix sont sur la table : le site de l’école secondaire du Mont-Bruno, dans le centre-ville, et un terrain situé dans le parc industriel Marie-Victorin.

illustration tirée d’un rapport du groupe bc2

Proposition d’aménagement du complexe multisport, déposé en 2019

Le maire Grisé Farand ne cache pas sa préférence pour le site du parc industriel. Mais les deux conseillers de l’opposition estiment que cet emplacement ne respecte pas le schéma d’aménagement et de développement, qu’il est trop loin du centre et mal desservi par le transport collectif.

Comme il est situé en zone industrielle, si cet emplacement est choisi par la population, il faudra changer le zonage, et ce changement doit être ultimement approuvé par l’agglomération de Longueuil, dont Saint-Bruno fait partie. Le maire ne veut surtout pas que des conseillers, opposés à ce choix, lui mettent des bâtons dans les roues en tentant d’influencer des élus de l’agglomération.

M. Grisé Farand précise que ce règlement, rédigé par des avocats, vise à lui donner des outils pour pouvoir porter plainte à la Commission municipale du Québec (CMQ) si un élu y contrevenait.

« Le code de déontologie est divisé en deux sections, explique-t-il. Vous avez les valeurs et vous avez les règles de déontologie. La CMQ n’agit pas lorsqu’une valeur n’est pas respectée. On l’a vu dans le passé. Elle agit seulement lorsqu’une règle est bafouée. Alors, nous, ce qu’on s’est dit, c’est : à quoi ça sert d’avoir un code d’éthique si vous ne pouvez pas le faire respecter ? Donc, on vient harmoniser les valeurs avec les règles déontologiques. »

Danielle Pilette, de l’UQAM, estime cependant que cet article est difficilement applicable.

« Le grand risque, c’est comment cela serait appliqué et par qui, précise-t-elle. Quel genre d’enquête on pourrait avoir pour démontrer, par exemple, qu’un élu a tenté d’influencer un autre élu d’une autre municipalité ? Est-ce qu’on va le faire suivre ? Est-ce qu’on va enregistrer ses conversations ? Quels moyens concrets on va prendre pour appliquer ça ? C’est là qu’est le véritable problème. »

Elle ajoute : « Je pense que ça encouragerait à la délation. On va peut-être se retrouver dans une culture municipale très malsaine. Pour moi, le risque, c’est d’altérer la culture municipale. »

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    Source : ville de Saint-Bruno-de-Montarville