Le géant du recyclage Ricova, accusé par l’inspectrice générale d’avoir utilisé la tromperie pour vendre à l’étranger ses matières récupérées, sera placé sur la « liste noire » de la Ville de Montréal pendant cinq ans. L’entreprise et ses filiales ne pourront ainsi plus participer à tout appel d’offres jusqu’en 2027. Mais ses contrats en cours se poursuivent pour le moment.

Dans une présentation au comité exécutif, la Ville a confirmé qu’elle déclare « inadmissible pour une durée de cinq ans » l’homme d’affaires Dominic Colubriale, qui détient Services Ricova et Ricova International. Les filiales de Ricova Lachine et Ricova RSC inc. seront aussi déclarées inaptes et inscrites au Registre des entreprises inadmissibles, mieux connu sous le nom de « liste noire ».

Montréal reproche à l’entreprise d’avoir « contrevenu à l’article 14 du Règlement sur la gestion contractuelle », selon lequel « nul ne peut, directement ou indirectement, dans le contexte de la préparation ou présentation d’une soumission ou dans le cadre de la conclusion d’un contrat de gré à gré, effectuer ou tenter d’effectuer de la fraude ». En mars, le Bureau de l’inspecteur général (BIG) avait appelé à rompre les contrats de Ricova « dès que possible », au terme d’une enquête qui avait révélé des « manœuvres dolosives » de Ricova pour éviter de remettre à la Ville sa juste part des profits réalisés sur la vente des matières recyclables.

« Nous franchissons aujourd’hui une étape importante. […] Nous sommes devant une situation préoccupante, et des actions doivent être prises », a expliqué la responsable de l’environnement au comité exécutif, Marie-Andrée Mauger.

Elle affirme que le Plan de gestion des matières résiduelles de Montréal (PGMR), adopté en 2020, a entamé « une démarche de changement de la culture » en matière de recyclage, qui vise notamment à réduire la production de déchets à la source. « Il est hors de question que notre administration regarde les lieux d’enfouissement de la région métropolitaine se remplir en gardant les bras croisés », a dit Mme Mauger.

Celle-ci a aussi indiqué que la Ville « poursuit son analyse » concernant les contrats accordés à Ricova qui ont été visés par l’enquête du BIG, mais qui sont toujours en cours. Une analyse finale devra statuer sur deux contrats en particulier. L’administration assure qu’aucune interruption de service n’est à prévoir, autant au centre de tri de Lachine qu’à celui de Saint-Michel.

Vives tensions

Montréal compte également « inscrire le nom de toute personne liée à Dominic Colubriale » à sa liste noire. La Ville était également insatisfaite de la gestion des centres de tri par Ricova, dont les problèmes ont conduit à des débordements ou à l’enfouissement de milliers de tonnes de matières. L’administration Plante dénonçait que le groupe se gardait des revenus « non déclarés » de 20 $ par tonne.

Au cabinet de la mairesse Valérie Plante, on affirme qu’un « geste majeur a été posé mercredi ». « On a posé des gestes ambitieux ces dernières années, avec l’objectif de faire de Montréal la ville la plus verte en Amérique du Nord. […] Pas question que tous ces efforts soient réduits. Tout le monde doit pousser dans la même direction », a insisté l’attachée de presse Marikym Gaudreault.

Par courriel, la porte-parole de Ricova, Stéphanie Dunglas, a indiqué que l’entreprise prend note de la décision de la Ville et prendra « les recours qui s’imposent dans les circonstances ». « Nous allons poursuivre le même niveau de service aux termes des différents contrats que nous avons avec la Ville de Montréal jusqu’à ce que cette situation soit réglée », a-t-elle promis.

Le tout survient alors que le géant du recyclage Ricova a monté le ton mercredi, accusant l’administration Plante d’avoir fait de l’aveuglement volontaire dans le dossier de la gestion des centres de tri. En entrevue avec La Presse, l’avocat principal de Services Ricova, dorénavant représentée par la firme de communication stratégique Ryan Affaires publiques, a dénoncé l’attitude « accusatoire » de la Ville. « Traiter l’entreprise de fraudeuse, c’est non seulement néfaste pour la compagnie en cause, mais surtout, c’est tellement, mais tellement contraire aux faits. C’est extrêmement frustrant. On regarde nos droits, mais on espère qu’on n’aura pas besoin de faire un litige à la cour avec ça », a soulevé MJean Legault.

Le BIG a transmis son rapport à l’Unité permanente anticorruption (UPAC) pour évaluer la pertinence de mener une enquête criminelle. L’UPAC n’a toutefois pas indiqué quelle suite elle avait donnée à l’affaire, puisqu’elle ne révèle jamais ses enquêtes en cours.