Les promoteurs des deux projets de trains légers de la province – le REM de l’Est et le tramway de Québec – ont dévoilé des simulations vidéo à quelques jours d’intervalle, des images qui donnent une idée de l’intégration urbaine, mais laissent aussi plusieurs questions en suspens.

À Montréal, CDPQ Infra souhaite construire la deuxième phase du Réseau express métropolitain (REM) en bonne partie sur des structures aériennes, notamment au centre-ville. Selon l’expert en planification des transports à l’Université de Montréal Pierre Barrieau, les nouvelles images de ce projet de 32 kilomètres « laissent plusieurs questionnements », même si les promoteurs semblent « avoir poussé l’exercice aussi loin qu’ils le peuvent ».

La simulation montre quelques centaines de mètres du tracé, dans le quartier des affaires, là où le train sortirait de terre pour migrer sur une structure de béton blanc. Ces images ne donnent pas nécessairement une idée globale de ce à quoi pourrait ressembler le réseau, croit M. Barrieau. On n’y voit par exemple ni graffitis ni personnes en situation d’itinérance, qui abondent dans le secteur.

« Pas très réaliste »

La vidéo préparée par la firme d’architectes Lemay permet néanmoins de bien voir la nouvelle configuration du boulevard René-Lévesque, qui passerait de huit à quatre voies de circulation. Elle présente aussi plusieurs aménagements, comme une piste cyclable, des places publiques et de la verdure, qui devraient être ajoutés par la Ville de Montréal en amont du projet de 10 milliards de dollars.

Ces images sont « un peu de la poudre aux yeux », avance Shin Koseki, titulaire de la Chaire UNESCO en paysage urbain de l’Université de Montréal.

Proposer des espaces qui n’ont pas été réfléchis par une équipe de conception relevant d’un gouvernement ou d’un autre, ce n’est pas très réaliste.

Shin Koseki, titulaire de la Chaire UNESCO en paysage urbain de l’Université de Montréal

La professeure au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM Florence Junca-Adenot va plus loin. Elle croit que les images sont carrément « malhonnêtes ». « C’est faux de présenter ça comme ça. Les représentations ne sont même pas à l’échelle. On donne l’impression que la hauteur fait quelques mètres, alors qu’ils disent eux-mêmes que ça fera sept étages de haut », soutient-elle.

Efforts « indéniables »

Sylvain Gariépy, président de l’Ordre des urbanistes du Québec, reconnaît que des efforts « indéniables » ont été faits pour rendre la structure plus délicate que celle de la première phase du REM. Il remarque toutefois un effet de « mur » dans la zone de transition de 300 mètres entre les modes souterrain et aérien, et se questionne sur le réalisme des végétaux ajoutés numériquement dans la zone d’ombre qui sera créée par la structure.

L’urbaniste aurait aussi souhaité voir une simulation plus vaste, qui aurait inclus les tronçons est et nord-est du REM de l’Est. « On aborde très peu la question hors centre-ville, et ça m’interpelle. »

Joint par La Presse, Jean-François Arcand, architecte et associé principal de la firme Lemay, qui a réalisé la vidéo, défend le réalisme de la simulation. Il affirme que celle-ci « utilise une technologie de jeux vidéo qui fait appel à l’intelligence artificielle ».

« Cela permet au public d’avoir une vue réaliste des concepts proposés et de bien saisir comment leur création s’insère dans les milieux environnants, a-t-il précisé. Tous les grands projets sur lesquels nous travaillons aujourd’hui bénéficient de cette approche inspirée des meilleures pratiques de l’industrie. »

« Plus cohérent » à Québec

Dans le cas du tramway de Québec – qui a aussi présenté des images de son projet remodelé lundi dernier –, les experts consultés par La Presse parlent d’un projet a priori plus conséquent.

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

Travaux préparatoires du projet de tramway sur le chemin des Quatre-Bourgeois, à Québec, le 8 mars dernier

« Le discours est beaucoup plus cohérent, d’autant que pour le tramway, la Ville se porte garante de l’aménagement. C’est une intention plus réaliste », avance Shin Koseki. Il dit aussi percevoir « un plus grand effort de communication » autour du projet, malgré les nombreux déboires qu’il a lui aussi subis ces derniers mois.

Même son de cloche chez Florence Junca-Adenot. « Un tramway, ça s’intègre plus facilement dans les rues centrales d’un centre-ville. C’est plus lent, ça partage la chaussée, c’est donc moins envahissant. C’est la technologie qui fait la grosse distinction, au-delà des rendus visuels », ajoute-t-elle, rappelant que « dans le monde, les tramways s’intègrent plutôt bien dans les centres-villes ».

Pierre Barrieau constate également que le travail semble beaucoup plus mature dans la capitale, à ce stade-ci.

On peut presque parler de plans pour les devis. C’est donc beaucoup plus clair pour nous permettre de nous positionner qu’à Montréal, où il semble trop tôt pour donner un jugement ferme.

Pierre Barrieau, expert en planification des transports à l’Université de Montréal

Sylvain Gariépy croit quant à lui que la démonstration faite par Québec est « plus complète ». « On nous présente le réseau dans toutes les conditions climatiques possibles, ainsi que des images de l’intérieur et de l’extérieur du tramway. »

Le tramway, piloté par la Ville de Québec, a obtenu le feu vert du gouvernement Legault plus tôt cette semaine. Le réseau de 19,3 km (dont 1,2 km en souterrain) sera financé par Québec, Ottawa ainsi que la Ville, et sa facture est estimée à 3,96 milliards.

À Montréal, Québec a mandaté CDPQ Infra, filiale de la Caisse de dépôt, pour développer le REM de l’Est sous la forme d’un « partenariat public-public ». Les études environnementales prévues ont été reportées du printemps à la fin de 2022.

Visionnez la vidéo complète du REM de l’Est Visionnez la vidéo complète du tramway