Des motards sympathisants des Hells Angels exploitent une partie des camions de recyclage de Ricova, l’entreprise qui jouit d’un quasi-monopole sur le recyclage de Montréal, a appris La Presse.

Ils s’affichent ouvertement sur les réseaux sociaux avec des vestes des Destroyers de la Montérégie, un club sympathisant des Hells, et tentent d’y recruter des chauffeurs et des éboueurs pour leurs véhicules aux couleurs de Ricova.

C’est le cas de Jocelyn Bolduc, un membre des Destroyers qui possède une société de « récupération de déchets », selon le registre des entreprises. Ricova, comme de nombreuses sociétés dans son secteur, fait affaire avec des sous-traitants qui fournissent et exploitent les camions de collecte en son nom.

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Jocelyn Bolduc

Dans un article récent d’un journal local concernant un accident routier dont il a été victime, M. Bolduc affirme gérer un parc d’une dizaine de camions à chargement arrière. La Presse n’a toutefois pas pu établir si Ricova est son seul client.

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Jocelyn Bolduc, membre des Destroyers de la Montérégie, exploite des camions de recyclage de Ricova.

Jusqu’à jeudi dernier, M. Bolduc affichait clairement son allégeance aux Destroyers sur Facebook. Une photo le montre avec une casquette et un écusson de soutien aux Hells Angels de Trois-Rivières. Même scénario dans le cas de Jonathan Chevrier, lui aussi photographié en veste de cuir noir avec ce club. Ils n’ont pas rappelé La Presse, mais plusieurs de leurs photos ont rapidement disparu de l’internet.

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Jonathan Chevrier

Dans leur cercle virtuel, trois autres personnes disent travailler pour Ricova et affichent leur soutien aux motards criminels.

Dans un courriel, Ricova a fait valoir que MM. Bolduc et Chevrier ne sont pas des employés de l’entreprise. Il s’agit de « travailleurs autonomes dont le mandat ne les met pas en contact avec la clientèle de Ricova ».

Lors de notre entente contractuelle avec eux, nous avons fait les vérifications d’usage, dans les paramètres autorisés par les lois.

Ricova

« En ce sens, ces vérifications ne peuvent porter sur la vie privée ou les loisirs des personnes agissant [à titre de] travailleurs autonomes. Nous ne pouvons donc commenter l’usage que font ces personnes de leurs temps libres », a continué l’entreprise dans sa déclaration écrite.

Sur son site internet, Ricova dit pouvoir compter sur un parc « de plus de 125 camions ».

Un club sympathisant

Les Destroyers sont un club sympathisant des Hells Angels, selon des sources policières.

Un club sympathisant est une organisation dont les membres ne sont pas destinés à devenir des Hells Angels, mais qui leur expriment leur soutien. Les membres d’un club sympathisant peuvent être invités à des rassemblements des Hells Angels et doivent obtenir leur approbation pour afficher leurs couleurs.

Les Destroyers de Lanaudière ont fait les manchettes, en janvier 2021, lorsque des policiers ont interrompu un rassemblement tenu à leur local de Sainte-Émélie-de-l’Énergie, en plein confinement. Quatre personnes ont reçu des amendes de 1500 $ en vertu de la Loi sur la santé publique.

Le chapitre montérégien du club n’avait pas encore fait surface dans les médias. Il est toutefois bien présent sur les réseaux sociaux, où les Destroyers de la Montérégie s’affichent sans problème.

Sur Facebook, on voit certains d’entre eux dans un local marqué aux couleurs du club ou en groupe, tous vêtus de leur veste réglementaire, devant une limousine.

Dans son courriel, Ricova a fait valoir qu’elle devait avoir des motifs sérieux pour couper les ponts avec un employé ou un sous-traitant.

« S’il s’avérait qu’un de nos employés, ou un travailleur autonome remplissant un mandat que nous lui avons confié, soit [reconnu] coupable d’une infraction criminelle, nous réévaluerions le lien d’emploi ou la relation d’affaires, à la lumière de cette nouvelle information et toujours dans le cadre de ce que les lois en vigueur nous permettent de faire », a indiqué l’entreprise.

Série de problèmes

Ricova a pris le contrôle d’une grande partie du recyclage montréalais après la faillite de Rebuts solides canadiens (RSC), survenue début 2020. RSC – filiale d’un groupe français – n’a pas survécu à la crise du recyclage, qui a plombé les prix de revente des matières recyclables pendant des années. Ricova a racheté ses actifs, dont ses contrats avec la Ville de Montréal.

Depuis, elle exploite les deux centres de tri de la métropole – à Saint-Michel et à Lachine – et fait la collecte dans plusieurs arrondissements.

Mi-janvier, on a toutefois appris que le centre de tri de Lachine avait d’importants problèmes de performance, au point où Montréal refuse d’en prendre possession : la machinerie semble incapable de gérer adéquatement les sacs de plastique. Les ballots de papier qui sortent de l’installation en sont lourdement contaminés.

Deux semaines plus tard, Radio-Canada a révélé qu’une partie de ce plastique se retrouvait en Inde – une destination pour certains ballots de papier montréalais –, où il serait utilisé comme combustible de fortune.

Il y a 10 jours, la Cour supérieure a donné un premier feu vert à une poursuite civile qui allègue que Ricova – une société établie au sud de Montréal – a fait passer des contrats par une entreprise homonyme au Panamá. Ricova affirme ne pas avoir de lien avec cette société panaméenne.

Ricova en voie de rafler le contrat de Laval

Après Montréal, Ricova est en position de tête pour se voir accorder la responsabilité de trier le recyclage de toute la ville de Laval, a constaté La Presse. Selon le système électronique d’appels d’offres publics du Québec, l’entreprise a soumis le meilleur prix en réponse à un appel d’offres de la municipalité, le mois dernier. Le contrat, d’une durée de 31 mois, n’est toutefois pas encore officiellement accordé. « Les résultats actuels sont très préliminaires, a indiqué le maire de Laval, Stéphane Boyer, par l’intermédiaire de son attaché de presse. Des analyses de conformité sont nécessaires avant de prendre une décision sur la suite des choses. » Ricova a proposé de trier le recyclage de Laval en échange de 2,1 millions de dollars, alors que la Ville s’attendait à payer de 10 à 20 millions. Laval avait tenté d’obtenir l’autorisation d’accorder directement son contrat à Tricentris, OBNL municipal, mais les tribunaux et le gouvernement avaient refusé.

Philippe Teisceira-Lessard, La Presse