La majorité des jeunes de Montréal-Nord ne font pas ou font peu confiance à la police, selon un nouveau rapport commandé par l’arrondissement.

Le document, qui dresse un portrait de la violence dans le quartier, suggère qu’un quart des jeunes se sentent moins en sécurité en 2021 qu’en 2020. La criminalité a suivi une tendance à la hausse à Montréal-Nord dans les années précédentes, alors qu’elle diminuait dans le reste de l’île.

Il y a une « présence significative du sentiment d’insécurité dans la communauté » et un « manque de confiance dans les figures d’autorité », diagnostiquent les professeurs Victor Armony et Mariam Hassaoui, sous l’égide du Centre international pour la prévention de la criminalité (CIPC). Le rapport est daté de ce mois-ci et compte 86 pages. La Presse l’a obtenu en réponse à une demande d’accès à l’information. D’après un sondage effectué auprès de 250 jeunes de l’arrondissement et intégré à l’analyse, 53 % des jeunes de l’arrondissement ne font pas confiance (ou ne font que « peu » confiance) à la police. La proportion monte à 54 % chez les jeunes hommes (racisés ou pas) et à 55 % chez les jeunes racisés (hommes ou pas).

Les jeunes ont une « perception mitigée de la protection offerte par la police » et « l’école n’est pas toujours perçue comme un lieu sécuritaire », selon le document.

De plus, « 56 % des réponses données par les filles indiquent qu’elles ne se sentent pas suffisamment en sécurité (“peu” ou “pas du tout”) quand elles se trouvent seules dans un espace public de Montréal-Nord », continue l’analyse.

Le rapport indique aussi : « Trois filles sur quatre ne trouvent pas de ressources pour leur sécurité : 76 % des réponses données par les filles indiquent qu’elles ne trouvent pas suffisamment (“peu” ou “pas du tout”) de ressources (des organismes locaux, des conseillers/conseillères, des activités) qui leur permettent de se sentir en sécurité. »

Rupture

« La question qu’on s’est posée, c’est comment prévenir et réduire la violence chez les jeunes de 12 à 25 ans à Montréal-Nord », a indiqué Mariam Hassaoui, professeure à la TELUQ, en entrevue téléphonique. « Nous avons consulté plus de 300 personnes à Montréal-Nord. »

Elle évoque des constatations « assez impressionnantes et assez choquantes ».

Pour Victor Armony, coauteur de l’étude et professeur de sociologie à l’UQAM, les données sur la dégradation du sentiment de sécurité des jeunes de Montréal-Nord sont « graves ».

C’est « une donnée inquiétante », a-t-il continué. « On constate une détérioration qui est cohérente avec le reste de nos résultats. »

Mme Hassaoui ajoute que la rupture entre jeunes et autorités ne touche pas seulement les forces de l’ordre, mais aussi l’ensemble des services publics.

Ce que les femmes nous disaient, c’est que même dans les CLSC, il y avait un jugement qui était là. Un malaise. [...] Il y a un manque de confiance de la part des institutions : de l’école, des CLSC, des services sociaux.

Mariam Hassaoui, professeure de sociologie à la TELUQ

« Un élément important qui est ressorti, notamment chez les jeunes hommes que nous avons consultés, c’est cette idée d’être continuellement pris pour des criminels, des suspects, des gens qui ne veulent rien faire et qui sont dangereux », a-t-elle ajouté.

« Une consultation assez complète »

Malgré le nombre important de rapports, études et descriptifs de la situation sécuritaire à Montréal-Nord déjà publiés, M. Armony a fait valoir que l’étude qu’il cosigne pourrait étayer la compréhension de la situation qui prévaut dans l’arrondissement.

« Je pense qu’on a fait une consultation assez complète de la vie communautaire et sociale à Montréal-Nord », a-t-il dit. Il vante notamment l’approche intersectionnelle adoptée, qui prend en compte le genre et l’appartenance ethnique dans l’analyse.

Les deux experts – et leur collègue Michelle Côté du CIPC – recommandent de mieux encadrer le travail de rue à Montréal-Nord, de mieux faire connaître les services sociaux aux familles issues de l’immigration et de mieux former les policiers sur les enjeux de discrimination.

Des organismes d’aide à la population se retrouvent en compétition les unes avec les autres pour les subventions, ce qui peut mener à du clientélisme, a indiqué M. Armony. Le manque de prévisibilité financière et le taux de roulement du personnel dans ces organisations nuiraient aussi à leur travail. Le rapport recommande de corriger la situation.

Avec William Leclerc, La Presse