Un nouveau scénario « alternatif » d’insertion du Réseau express métropolitain (REM) de l’Est au centre-ville de Montréal, qui comprend un court tunnel de 500 mètres, une arrière-gare ainsi qu’une ou deux stations souterraines, a été présenté par CDPQ Infra au cours des dernières semaines, a appris La Presse.

Le « projet de référence » initial conçu par CDPQ Infra prévoit des structures en hauteur à partir de Place Ville Marie, boulevard René-Lévesque, jusqu’à la pointe est de l’île. Des Montréalais et même des experts du gouvernement craignent qu’un tel réseau aérien ne vienne défigurer le cœur de la métropole, des inquiétudes qui se sont accentuées ces derniers jours.

Selon nos informations, la nouvelle « alternative recommandée » par CDPQ Infra propose de déplacer le début du tracé aérien d’environ un demi-kilomètre vers l’est.

Ce scénario prévoit le percement de l’arrière-gare du REM de l’Est sous le boulevard René-Lévesque, près de Robert-Bourassa, l’une des intersections les plus névralgiques du centre-ville. La station terminale du réseau de train automatisé serait aussi enfouie et connectée directement au reste du réseau de transport.

Les trains amorceraient ensuite leur course vers l’est dans un tunnel en pente ascendante, qui déboucherait entre les rues De Bleury et Jeanne-Mance.

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Vue du boulevard René-Lévesque, en direction est, à l’intersection du boulevard Robert-Bourassa, au centre-ville

Ce tronçon souterrain permettrait de « préserver » l’entrée de la ville et ses bâtiments d’importance, dont Place Ville Marie et la gare Centrale, indique-t-on dans des documents obtenus par La Presse. Cette option entraînerait toutefois la fermeture permanente d’une intersection, celle de Jeanne-Mance et René-Lévesque, là où les trains sortiraient de terre pour migrer vers une structure aérienne.

Ce « scénario optimisé » est « en analyse » par CDPQ Infra, apprend-on. Québec a chargé cette filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec de concevoir, construire et ensuite exploiter ce futur réseau de 10 milliards de dollars.

Pas de croisement avec le métro

CDPQ Infra a diffusé l’hiver dernier une synthèse de six scénarios d’insertion souterraine du REM de l’Est au centre-ville, entre autres sous la rue Saint-Antoine et l’autoroute 720. L’hypothèse d’un tunnel court sous le boulevard René-Lévesque, comptant trois stations souterraines jusqu’aux environs du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), a aussi été étudiée.

Tous ces scénarios ont été écartés en raison des obstacles jugés trop nombreux dans le sous-sol du centre-ville. Des gratte-ciel et des tronçons des lignes jaune et orange du métro pourraient s’effondrer si un tunnel était creusé, entre autres risques majeurs, a averti CDPQ Infra. Un tel chantier mettrait aussi en péril la rentabilité du projet.

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Vue aérienne, à partir du pont Jacques-Cartier, du boulevard René-Lévesque, entre le boulevard Saint-Laurent et la rue Papineau

La nouvelle « alternative recommandée » par CDPQ Infra permettrait d’éviter l’un des principaux écueils rencontrés avec les autres propositions, puisque le court tunnel de 500 mètres ne croiserait pas les lignes orange et jaune du métro sous terre. Il n’est pas clair si la deuxième station du réseau, appelée Saint-Urbain, serait enfouie ou hors terre.

Les documents consultés par La Presse font aussi état de « conditions géotechniques favorables » à ce tracé ; le court tunnel pourrait être creusé principalement dans du roc et au-dessus du niveau de la nappe phréatique. Les travaux pourraient être effectués avec de la machinerie de surface plutôt qu’un tunnelier, apprend-on, une méthode plus simple.

La pente importante du boulevard René-Lévesque à ce niveau permettrait par ailleurs de réduire au minimum la « zone de transition », soit le secteur où le train migrerait du sous-sol au mode aérien.

« Bonification et optimisation »

Nulle part il n’est fait mention du risque d’effondrement de gratte-ciel dans les documents obtenus par La Presse, même si le tracé souterrain proposé est voisin de certains des plus grands immeubles de la métropole, comme Place Ville Marie et la Tour Telus.

Selon nos informations, ce scénario alternatif a été présenté aux 15 membres du comité multidisciplinaire mis en place par Québec pour assurer l’intégration architecturale du REM de l’Est.

« Le projet est toujours en recherche d’optimisation et de bonification », a indiqué à La Presse Harout Chitilian, vice-président des affaires corporatives, développement et stratégie à CDPQ Infra, sans commenter directement le scénario d’un court tunnel.

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Harout Chitilian, vice-président des affaires corporatives, développement et stratégie à CDPQ Infra

Certaines nouvelles propositions sont amenées au comité d’experts, qui, suite aux débats et à la réflexion, pourraient être intégrées au projet de référence.

Harout Chitilian, vice-président des affaires corporatives, développement et stratégie à CDPQ Infra

Rien ne permet de dire à ce stade-ci si ce scénario recevra l’aval du comité d’experts, qui poursuivra ses rencontres tout l’automne.

CDPQ Infra a déjà apporté plusieurs modifications à la première phase du REM, un réseau de 67 km qui relie la Rive-Sud, l’Ouest-de-l’Île, la couronne nord et l’aéroport au centre-ville. Le groupe a entre autres ajouté trois stations souterraines dans Griffintown et le quartier des affaires, pour connecter le REM au métro.

Frustrations au comité

Selon plusieurs sources de La Presse qui ne sont pas autorisées à parler publiquement du dossier, des frustrations existent au sein du comité d’intégration architecturale du REM de l’Est.

La proposition controversée de construire une structure aérienne au centre-ville occuperait une bonne partie des débats entre les 15 membres depuis sa création, en mai. Certains craignent un projet d’une facture visuelle similaire à celle de la première phase du REM, juché en bonne partie sur de lourdes structures de béton et orné de caténaires.

En entrevue mercredi, la présidente de ce comité, Maud Cohen, a fait valoir que le comité commençait à peine à se plonger dans les détails plus concrets de la « grande vision » du projet.

« On aborde tout au niveau du comité, on va tout aborder, la question des pylônes, la question des caténaires, quartier par quartier. Il va y avoir le centre-ville, la rue Notre-Dame, la rue Sherbrooke, il va y avoir tout ce qui est plus au nord avec Lacordaire », a-t-elle dit.

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Maud Cohen, présidente du comité d’intégration architecturale du REM de l’Est

Tous ces éléments-là vont être abordés et vraiment traités de manière à s’assurer qu’il n’y a pas une solution unique pour l’ensemble du trajet.

Maud Cohen, président du comité d’intégration architecturale du REM de l’Est

Mme Cohen, ex-présidente de l’Ordre des ingénieurs, affirme également que les membres du comité ont toute la latitude nécessaire pour exprimer leurs réserves. Et cela, même si plusieurs représentants de CDPQ Infra et de la firme d’architecture Lemay assistent aux réunions, de même qu’un modérateur de la firme National.

« Je reviens encore sur la réputation des membres du comité, moi la première : personne n’aurait accepté [d’y participer] si on n’avait pas eu les coudées franches », avance-t-elle.

Maud Cohen précise que le comité discute à huis clos pendant une heure à une heure et demie au terme de chacune de ses rencontres. Le groupe s’est réuni (surtout virtuellement) à neuf reprises depuis mai, et doit intensifier ses travaux à l’automne.

CDPQ Infra souhaite amorcer la construction du REM de l’Est en 2023, un réseau qui comptera 25 kilomètres de rails aériens et un tunnel de 7 km à Montréal-Nord. Le projet sera soumis à des consultations du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) dans quelques mois.