Diverses mesures, dont le déplacement et la reconfiguration du terminus Anjou, sont proposées par le comité mandaté par Québec pour réduire les coûts, révèle un rapport obtenu par La Presse. Les cinq stations additionnelles prévues au projet seraient toutefois maintenues – même si la suppression de la nouvelle station Viau est envisagée dans le document pour diminuer encore la facture.

(Québec) Le scénario à cinq stations maintenu

(Québec) Le projet de prolongement de la ligne bleue du métro subit une cure minceur. Son budget devrait être réduit de 1,2 milliard de dollars par diverses mesures, notamment le déplacement et la reconfiguration du terminus Anjou, recommande le comité mandaté par Québec pour revoir à la baisse les coûts.

Selon son rapport, que La Presse a obtenu, la facture estimée du projet passerait de 6,9 à 5,7 milliards de dollars.

Si les économies de 1,2 milliard peuvent se faire tout en conservant les cinq stations, le comité ouvre la porte à la possibilité d’en éliminer une afin de réduire encore davantage la facture. Il n’en fait toutefois pas une recommandation formelle. Le gouvernement Legault dit écarter cette option. Il s’en tient au scénario des cinq stations, selon nos informations.

La ministre déléguée aux Transports, Chantal Rouleau, avait formé en avril ce comité, baptisé « groupe d’action », afin de freiner l’augmentation des coûts du projet. L’annonce avait soulevé le scepticisme, alors que l’on soupçonnait le gouvernement de vouloir faire passer le projet à la trappe même s’il s’agit d’une promesse électorale. Le comité de la ministre a finalement trouvé une voie de passage pour le concrétiser.

En juin 2019, le gouvernement Legault avait approuvé un budget de 4,5 milliards pour le prolongement de 5,8 km vers Anjou et l’ajout de cinq stations. La facture n’a cessé de gonfler depuis, notamment en raison du coût des expropriations.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La ministre déléguée aux Transports, Chantal Rouleau (au centre), avec le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, lors de l’annonce officielle du prolongement de la ligne bleue, le 3 juillet 2019

Au moment de la formation du comité, il y a trois mois, on parlait d’un projet d’environ 6,1 milliards. Or, la plus récente évaluation présentée dans le rapport chiffre la facture à 6,9 milliards, avant que le projet ne soit révisé par le comité.

Ce comité est formé d’experts de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), de la Société de transport de Montréal (STM), du ministère des Transports, de la Ville de Montréal et de la Société québécoise des infrastructures (SQI). Ses membres se sont entendus sur plusieurs changements au projet qui sont bien accueillis à Québec, selon nos informations. Aucune décision n’a été prise par le gouvernement Legault, mais les échos sont très positifs.

« Le présent rapport présente des recommandations d’optimisation qui ont fait consensus et qui représentent des économies potentielles de 1,2 milliard de dollars sans modification de portée du projet (cinq stations jusqu’à Anjou) », peut-on lire. La facture est ainsi ramenée à 5,7 milliards. Le comité propose également d’imposer des redevances aux promoteurs immobiliers près du nouveau tronçon et de récupérer une partie des taxes foncières additionnelles, afin de tirer des revenus d’environ 300 millions permettant de financer le projet (voir autre texte). Le gouvernement aurait ainsi à payer 5,4 milliards. « Ce montant inclut environ 300 millions en taxes, pour une contribution gouvernementale nette de 5,1 milliards », ajoute le comité.

Selon le comité, les changements « n’auraient pas d’impact substantiel sur la qualité de l’expérience-client et sur les bénéfices attendus du projet ».

Déplacement du terminus Anjou

L’un des principaux changements recommandés par le comité touche la station Anjou. À l’origine, le projet prévoyait de construire ce terminus à l’ouest de l’autoroute 25, sur le terrain des Galeries d’Anjou appartenant à Ivanhoé Cambridge, le bras immobilier de la Caisse de dépôt et placement. Il comprend notamment un édicule principal, deux édicules secondaires, une arrière-gare, un garage et un stationnement souterrain incitatif de 1200 places.

Le comité propose « de retirer le stationnement incitatif et de déplacer l’ensemble des infrastructures, ce qui entraîne[rait] des économies importantes liées aux expropriations et à la construction ». Il recommande « d’abandonner la configuration à quai central en faveur d’une station à quais latéraux, qui serait située un peu plus à l’est de la position initialement prévue ».

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

La station Anjou de la ligne bleue devait à l’origine être construite sur le terrain des Galeries d’Anjou (photo).

Toujours selon le rapport, la station serait située « directement sous l’autoroute 25 », avec un édicule du côté ouest de celle-ci et un autre du côté est.

Selon le comité, cette proposition « permet de maximiser l’utilisation de terrains publics à l’est de l’autoroute et de limiter l’ampleur des zones d’excavation à ciel ouvert en maximisant l’usage du tunnelier pour construire l’arrière-gare et le garage ».

Le comité souligne que cette option implique de concevoir « un lien piétonnier convivial sur une distance de 500 mètres entre le boulevard des Galeries d’Anjou et l’édicule ouest, afin de préserver l’attractivité de la station ».

Des édicules secondaires des stations Viau et Langelier devraient être éliminés, ajoute le comité. Quant à l’édicule secondaire de la station Lacordaire, le point d’interconnexion avec le REM de l’Est, le comité propose de le rétrocéder au projet de la Caisse de dépôt. En clair, cet édicule de 46 millions serait payé par la Caisse et non par le gouvernement. La Caisse a été consultée au préalable au sujet de ce changement, selon nos informations.

Le comité recommande de réduire de 34 à 18 le nombre d’ascenseurs prévus au projet. Quatre des cinq stations compteraient trois ascenseurs ; la cinquième, Pie-IX, en compterait six.

Tous ces changements font baisser de près de 282 millions de dollars les coûts de construction. Surtout en raison du déplacement et de la reconfiguration du terminus Anjou, la facture des expropriations et des acquisitions de terrains diminuerait de 754 millions.

Terrain du centre commercial Le Boulevard

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le centre commercial Le Boulevard, à l’angle de 
la rue Jean-Talon et du boulevard Pie-IX

L’autre dossier important au sujet des terrains concerne le centre commercial Le Boulevard, à l’intersection de Jean-Talon et de Pie-IX, qui pourrait finalement rester intact. Après une longue saga, le terrain a été acquis par la STM au coût de 115 millions pour y construire la station Pie-IX de la ligne bleue, un terminus d’autobus et un entrepôt. Le comité suggère de déplacer l’entreposage de matériaux au site de l’ancienne carrière Saint-Michel et de réduire la taille du terminus d’autobus.

« Cette approche suppose des coûts additionnels de préparation du site Saint-Michel, évalués à environ 3 millions de dollars, mais permettrait de réduire l’emprise au sol du chantier et de conserver le centre commercial en opération pendant la construction et de réduire considérablement les indemnités à verser. Ce scénario permettrait de maintenir la plupart des locataires en place », explique le comité.

La révision de la taille du terminus et le déplacement du stockage de matériaux permettraient de protéger la majeure partie de l’enveloppe du bâtiment du centre commercial, au lieu de la démolition projetée.

Extrait du rapport du comité, à propos du centre commercial Le Boulevard

La réduction des frais associés aux expropriations permettrait des économies nettes de 82 millions, selon le comité.

Il recommande de créer une « société de développement (SODEV) » et de lui transférer le centre commercial, actif de la STM. L’objectif est d’éviter une revente rapide à perte. « Afin d’assurer la bonne gestion du centre Le Boulevard pour la période de transition entre maintenant et le transfert à SODEV, l’ARTM recommande de confier à la SQI la responsabilité de la gestion du centre commercial Le Boulevard, explique le comité. Cette décision de mandater un gestionnaire est urgente et critique compte tenu des courts délais à notre disposition pour informer les locataires du centre commercial de la suite du dossier. »

Le comité a également fait « une révision complète des provisions et des réserves pour risques, notamment pour tenir en compte les changements proposés dans le présent rapport ». L’opération entraîne des économies de 347,3 millions.

Éliminer la station Viau ?

La suppression d’une station est mise sur la table, sans toutefois faire partie des recommandations permettant de réaliser les économies de 1,2 milliard.

« À la lumière du mandat et des directives reçues en cours de route, et dans la perspective de donner au gouvernement des pistes permettant de respecter l’enveloppe prévue au chapitre des contributions gouvernementales [4,5 milliards], il nous apparaît approprié de signaler une autre piste d’optimisation, soit la réduction du nombre de stations », écrit-il. Le « scénario examiné » porte sur l’élimination de la station Viau.

Le comité explique que la distance entre la station Pie-IX et la station Lacordaire est d’environ 1,4 km. La station Viau se trouve entre les deux, à 800 m de Pie-IX et à 600 m de Lacordaire.

« La distance moyenne entre deux stations de métro est normalement de l’ordre de 1 km dans les zones urbaines à haute densité [centre-ville], mais de 2,0 à 2,5 km dans les zones urbaines moins denses », souligne le comité.

Les projections prévoient que la station Viau sera la moins achalandée de ce segment de la ligne bleue. Le comité fait valoir que « la présence de stations à faible achalandage a un impact négatif sur les temps de déplacement et sur les coûts kilométriques d’un projet de métro. Il faut aussi considérer que le site de la station Viau est celui qui présente le plus faible potentiel en termes de développement urbain et de densification ».

Le site prévu de la station Viau se trouve à 800 m du SRB Pie-IX et à environ 600 m du REM de l’Est. « En d’autres termes, même en l’absence de la station Viau, les usagers de ce secteur auront un accès rapide [soit en rabattement, soit en mode actif] vers le SRB Pie-IX, le REM de l’Est et la ligne bleue [à Pie-IX ou à Lacordaire] », ajoute le comité.

Il estime que la suppression de la station Viau pourrait permettre de réduire le coût du projet de 322 millions, compte tenu de l’économie déjà comptabilisée du retrait de l’édicule secondaire. Le comité signale en une phrase que « la suppression de la station Langelier a également été examinée et permettrait une économie similaire ».

Le gouvernement Legault n’a toutefois pas l’intention d’éliminer une station, selon nos informations.

Le gouvernement s’intéresse davantage à d’autres options détaillées par le comité qui n’ont pas obtenu l’accord de tous ses membres et qui ne font donc pas partie des recommandations.

Le rapport présente en effet « d’autres pistes d’optimisation qui ont retenu l’attention du groupe, mais n’ont pas suscité un consensus ou n’ont pu être étudiées à fond en l’absence de certaines informations ». Leur potentiel est néanmoins « significatif », selon lui. Il s’agit, par exemple, de reconsidérer le projet d’implantation d’un système de contrôle de train de nouvelle génération sur la ligne bleue, système qui existerait dans le reste du réseau de métro. Quelque 140 millions supplémentaires pourraient être économisés.

Des redevances pour payer la ligne bleue

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le comité chargé de réduire les coûts du prolongement du métro suggère d’imposer une « redevance de transport » aux projets de construction, de modification ou de reconstruction de bâtiments situés près de la ligne bleue.

(Québec) En plus des économies de 1,2 milliard, le comité chargé de réduire les coûts du prolongement de la ligne bleue propose de nouvelles mesures de financement afin de payer une partie de la facture du projet.

Il suggère d’imposer une redevance aux projets immobiliers près du nouveau tronçon de la ligne bleue et de récupérer une part des taxes foncières additionnelles générées par le projet. Ces « recommandations en matière de financement innovant […] sont susceptibles de représenter des revenus de l’ordre de 310 millions de dollars », fait-il valoir dans son rapport que La Presse a obtenu.

« Redevance de transport »

Le comité suggère d’imposer une « redevance de transport » aux projets de construction, de modification ou de reconstruction de bâtiments situés près de la ligne bleue.

« Nous inspirant du règlement mis en place pour la réalisation du REM, nous proposons la mise en jeu de redevances de transport applicables aux projets immobiliers situés dans un rayon d’un kilomètre de chacune des stations du prolongement de la ligne bleue. Les paramètres d’application seraient identiques à ceux du REM, à savoir les travaux de construction, de reconstruction ou de changement de vocation dont la valeur excède 782 308 $ et suppose plus de 186 m2 », écrit le comité.

Il recommande également un « financement par revenus fiscaux anticipés », ce qui consiste à capter une portion de la croissance de la valeur foncière liée à la réalisation du projet afin de payer celui-ci.

Ainsi, 15 % des taxes foncières additionnelles générées par le projet serviraient à financer la construction de la ligne bleue, propose le comité.

Le comité reconnaît que cette mesure a un « caractère inédit » et que sa mise en œuvre peut être complexe. « Il est recommandé de considérer tout mécanisme alternatif proposé par la Ville de Montréal permettant la captation d’une contribution similaire auprès des municipalités riveraines. Une réflexion plus poussée sur ce mécanisme est aussi requise pour positionner celui-ci dans le cadre financier régissant les services de transport collectif de la région métropolitaine », ajoute-t-il.

Retards

Dans l’état actuel des choses, le comité estime que la mise en service de la nouvelle portion de la ligne bleue se ferait en janvier 2029, avec sept mois de retard. Il s’agirait de coûts additionnels de 105 millions. Il suggère des mesures pour accélérer les processus d’approbation du dossier d’affaires, de qualification des fournisseurs et d’appels d’offres afin de respecter la date de livraison de juin 2028 et, ainsi, d’éviter la facture supplémentaire.

Le comité suggère également de revoir la structure de gouvernance du projet, « dans la perspective d’une efficience et d’une transparence accrues ». Des failles dans la gouvernance ont fait l’objet d’un reportage de La Presse en mai. Pas moins de 14 comités sont impliqués dans cette structure jugée complexe et déficiente.