Des obstacles « bloquants », des « risques pas tenables ». Construire le REM de l’Est sous le centre-ville de Montréal serait une aventure promise au désastre, affirme en entrevue avec La Presse le grand patron de CDPQ Infra. Sur une autre note, le nouveau projet de prolongement sur la Rive-Sud, entre Châteauguay et Boucherville, suscite l’intérêt de la filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Un « risque » pour « le bas de laine des Québécois »

Affaissement de gratte-ciel, effondrement de lignes de métro, chantier incertain et interminable : construire le REM de l’Est sous le centre-ville de Montréal serait une aventure si risquée qu’elle mettrait en danger le bas de laine des Québécois.

C’est la conclusion à laquelle en arrive Jean-Marc Arbaud, le grand patron de CDPQ Infra, filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec, après que ses équipes ont étudié six scénarios souterrains pour éviter de construire des structures aériennes le long du boulevard René-Lévesque. La Presse a obtenu ces documents encore inédits dans le cadre d’une entrevue accordée jeudi par l’état-major du projet.

Chaque fois, des obstacles qualifiés de « bloquants » se dressent – des égouts séculaires aux lignes de métro creusées à différentes profondeurs, en passant par des zones de sol dangereusement meuble.

Si le scénario souterrain lui était imposé, « CDPQ Infra ne pourrait pas faire le REM de l’Est », conclut M. Arbaud. « On ne peut pas mettre à risque le bas de laine des Québécois sur un projet. C’est ça, la réalité. »

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Marc Arbaud, président et chef de la direction de CDPQ Infra

« Jamais on ne pourrait recommander à la Caisse ou à n’importe qui d’aller de l’avant avec un tel projet, étant donné les risques », a-t-il continué. « C’est mettre un risque sur l’ensemble de la société, sur l’image même de Montréal. »

Gratte-ciel en danger

Différents tracés de tunnel, plus ou moins longs, ont été étudiés. CDPQ Infra a même envisagé la réaffectation d’une partie de l’autoroute 720 pour la consacrer au REM. En vain, selon l’organisation. Les problèmes sont si nombreux et si importants qu’une telle aventure serait promise au désastre.

Il y a plein d’exemples dans le monde où ce genre d’obstacles a conduit à une catastrophe. Ce sont des risques pas tenables.

 Jean-Marc Arbaud, président et chef de la direction de CDPQ Infra

En entrevue, M. Arbaud a évoqué le Big Dig de Boston, un interminable projet de tunnel autoroutier qui s’est étiré sur 25 ans et dont la facture a été multipliée plusieurs fois avec les années. « C’est quasiment le même genre de configuration. […] C’est à ça que ça ressemble, le sous-sol de Montréal. »

Scénarios souterrains au centre-ville étudiés par CDPQ Infra
  • Un tunnel en profondeur qui commencerait juste à l’est du pont Jacques-Cartier forcerait l’élimination de la station Dufresne, dans le centre-sud, en plus de se heurter à des obstacles difficiles – voire impossibles – à déplacer. Les problèmes d’instabilité au centre-ville pourraient être dangereux.

    IMAGE FOURNIE PAR CDPQ INFRA

    Un tunnel en profondeur qui commencerait juste à l’est du pont Jacques-Cartier forcerait l’élimination de la station Dufresne, dans le centre-sud, en plus de se heurter à des obstacles difficiles – voire impossibles – à déplacer. Les problèmes d’instabilité au centre-ville pourraient être dangereux.

  • Si le REM devient souterrain encore plus tôt, juste après la station Davidson, CDPQ Infra pourrait sauver la station Dufresne. L’excavation sous les rails du CP devient toutefois problématique puisqu’elles sont situées sur un sol meuble, près du fleuve.

    IMAGE FOURNIE PAR CDPQ INFRA

    Si le REM devient souterrain encore plus tôt, juste après la station Davidson, CDPQ Infra pourrait sauver la station Dufresne. L’excavation sous les rails du CP devient toutefois problématique puisqu’elles sont situées sur un sol meuble, près du fleuve.

  • Un tunnel court qui débuterait à l’ouest du pont Jacques-Cartier créerait une infrastructure infranchissable de 500 mètres (la distance nécessaire pour que le rail passe des airs à la terre) en pleine ville.

    IMAGE FOURNIE PAR CDPQ INFRA

    Un tunnel court qui débuterait à l’ouest du pont Jacques-Cartier créerait une infrastructure infranchissable de 500 mètres (la distance nécessaire pour que le rail passe des airs à la terre) en pleine ville.

  • Un tunnel qui passerait sous la rue Saint-Antoine devrait croiser la ligne jaune du métro de Montréal, une manœuvre difficile en raison de l’épaisseur de la couche de roc à cet endroit.

    IMAGE FOURNIE PAR CDPQ INFRA

    Un tunnel qui passerait sous la rue Saint-Antoine devrait croiser la ligne jaune du métro de Montréal, une manœuvre difficile en raison de l’épaisseur de la couche de roc à cet endroit.

  • Un tunnel qui commence dans l’axe de l’avenue Viger avant de prendre le nord pour se mettre dans l’axe du boulevard René-Lévesque rencontrerait les profondes installations souterraines du centre-ville de Montréal.

    IMAGE FOURNIE PAR CDPQ INFRA

    Un tunnel qui commence dans l’axe de l’avenue Viger avant de prendre le nord pour se mettre dans l’axe du boulevard René-Lévesque rencontrerait les profondes installations souterraines du centre-ville de Montréal.

  • La possibilité de consacrer une partie des infrastructures de l’autoroute 720 au REM a même été mise à l’étude. Cette option forcerait une réduction importante de la capacité de cette artère, en plus de mener au sacrifice de la station Cartier.

    IMAGE FOURNIE PAR CDPQ INFRA

    La possibilité de consacrer une partie des infrastructures de l’autoroute 720 au REM a même été mise à l’étude. Cette option forcerait une réduction importante de la capacité de cette artère, en plus de mener au sacrifice de la station Cartier.

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Harout Chitilian, son bras droit, a renchéri : « Même si, en théorie, des éléments des scénarios peuvent paraître faisables, les risques associés à ces scénarios pourraient faire exploser le projet. » Toute évaluation financière d’une solution de rechange serait hautement imprécise et pourrait grimper rapidement, a-t-il poursuivi.

En plus du risque de se retrouver avec un éléphant blanc, le risque de drame soudain existe réellement, selon la documentation de CDPQ Infra.

Si on passe entre les deux lignes de métro, le risque que ça s’effondre, il est là.

Jean-Marc Arbaud, président et chef de la direction de CDPQ Infra

Les ingénieurs de M. Arbaud ont identifié des risques de catastrophe le long du boulevard René-Lévesque, indiqués par une zone qui inclut plusieurs gratte-ciel, dont la tour Telus. M. Arbaud n’a toutefois pas voulu identifier d’immeubles en particulier.

Moins spectaculaire, mais tout de même important : avec des stations très profondes – voire éliminées dans certains scénarios –, CDPQ Infra estime que l’achalandage global du REM de l’Est baisserait de 14 à 26 % si son tronçon au centre-ville devait être enfoui.

Des trains plus étroits ?

CDPQ Infra voudrait que les consultations publiques sur le projet se concentrent sur la meilleure façon d’intégrer les structures aériennes à la trame urbaine plutôt que de remettre en question leur existence. Depuis la présentation du projet en décembre, l’organisation fait valoir que ce défi a été relevé par plusieurs villes sur la planète.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Valérie Plante, mairesse de Montréal

La mairesse Valérie Plante semblait s’être résignée à l’idée de voir le boulevard René-Lévesque accueillir ces structures, mais ses troupes au conseil municipal ont adopté le mois dernier une résolution qui remet en question le scénario aérien. La Ville voudrait qu’un nouveau groupe d’experts se penche sur le scénario souterrain.

M. Arbaud entend les craintes et les oppositions des uns et des autres depuis décembre, mais fait confiance à l’analyse de ses ingénieurs. Surtout, il fait valoir que le scénario aérien au centre-ville de Montréal ne ressemblera absolument pas à l’infrastructure massive du REM de l’Ouest.

« Personne n’a vu, pour l’instant, ce qu’on peut amener, ce qu’on peut faire », a-t-il dit. « Si on prend des trains un peu plus étroits, un peu plus longs, avec les mêmes capacités de passagers, on diminue [l’ampleur des structures]. Il y a des façons de traiter les structures pour les rendre un peu plus légères. »

Le processus de consultations publiques sur le REM de l’Est débutera au printemps. Les audiences du BAPE devraient avoir lieu l’an prochain. Le projet compte 23 nouvelles stations et 32 kilomètres de rail, pour une facture de 10 milliards. Le premier métro léger du REM de l’Est devrait quitter la gare en 2029.

Nouveau prolongement du REM sur la Rive-Sud : « Un fond d’intérêt positif », selon CDPQ Infra

« Il y a un fond d’intérêt, et un fond positif, à démarrer le projet » de prolongement du Réseau express métropolitain (REM) sur la Rive-Sud, soutient CDPQ Infra. Les dirigeants de la filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec précisent que les travaux sont toujours en cours et qu’une recommandation finale ne pourra être faite avant quelques mois.

En entrevue avec La Presse, le premier ministre François Legault a déclaré que la Caisse était « très intéressée » par un nouveau tronçon en Montérégie, dans un axe est-ouest. Il a parlé d’un « trajet Châteauguay-Boucherville », dont une branche dans l’axe du boulevard Taschereau passant par la station de métro Longueuil–Université-de-Sherbrooke et le cégep Édouard-Montpetit.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Trains du REM effectuant jeudi l’une de leurs premières sorties sur rail sur le tronçon de Brossard

Pour le vice-président de CDPQ Infra, Harout Chitilian, M. Legault « a repris ce que ses conseillers, ce que les fonctionnaires lui ont dit » concernant l’état des « discussions récurrentes » entre les représentants du gouvernement et ceux de la Caisse au sujet du REM. « Il a amené ça à un niveau tel qu’il présuppose justement que ce processus qui démarre sur une note positive va continuer », a-t-il ajouté. « Donc, moi, je ne vois aucune contradiction entre ce qu’il dit et le processus qui est en cours. Mais c’est un processus qui va devoir se faire et qui va prendre du temps. »

Legault espère « une annonce bientôt »

M. Chitilian a rappelé que les études avaient démarré en novembre et qu’il avait fallu 18 mois « pour arriver à une solution ferme » concernant le prolongement dans l’est de Montréal. Rappelons que François Legault a dit espérer « être capable de faire une annonce bientôt » au sujet d’un prolongement sur la Rive-Sud.

Faudra-t-il d’abord réaliser le prolongement dans l’est de Montréal avant de passer à la Rive-Sud ? « Régler l’un avant de faire l’autre, je ne dirais pas ça », a répondu le grand patron du REM, Jean-Marc Arbaud.

Néanmoins, le président de CDPQ Infra a souligné l’ampleur des ressources humaines et techniques requises pour développer le réseau de train électrique, et précisé qu’« il y a une limite à ce qu’un marché, une société est capable de réaliser » au même moment.

« Ce qu’on fait pour le REM, en termes de cadence de réalisation, ce n’est pas très différent du projet du Grand Paris », a soutenu M. Arbaud, qui a succédé à Macky Tall en janvier. Le Grand Paris Express est un chantier majeur d’infrastructures – « le plus grand projet urbain d’Europe » – qui comprend un immense réseau de métro de 200 kilomètres et 68 stations. Les travaux de construction ont débuté en 2015 et doivent se terminer vers 2030.

Comme La Presse l’a révélé au début du mois, la Caisse a par ailleurs rejeté l’idée d’un prolongement entre Brossard et Chambly–Saint-Jean-sur-Richelieu. C’était un autre tracé que le gouvernement lui avait demandé d’étudier sur la Rive-Sud, un tronçon que la Coalition avenir Québec avait promis en campagne électorale. Le parti de François Legault s’était également engagé à prolonger le REM vers Boucherville, à Laval et dans l’est de Montréal.