Une rapporteuse spéciale sortante de l’ONU pour le logement déplore que Montréal n’ait pas sondé davantage l’opinion des campeurs du campement Notre-Dame, qui est toujours en place dans Hochelaga malgré un avis de démantèlement.

« Ce que la Ville a fait de mal, c’est qu’elle est arrivée avec une solution de refuge sans même consulter les campeurs. Si elle l’avait fait en premier, on aurait su dès le départ que c’était étrange comme solution », dit Leilani Farha, qui travaille sur l’accessibilité au logement aux Nations unies depuis 2014.

Depuis lundi, un nouveau refuge d’urgence a été mis sur pied dans Hochelaga. Il comptait mardi 35 résidants, sur une capacité de 65, dont seulement 3 provenaient du campement. La Ville espère malgré tout que les campeurs s’y déplaceront progressivement. Mais les résidants, eux, émettent un son de cloche fort différent. « Personne ici n’a l’intention de partir », résumait lundi l’un des résidants, Guylain Levasseur.

Michel Monette, directeur du CARE Montréal – qui gère le nouveau refuge d’urgence –, estime que le campement sera encore en place longtemps. « Tout le monde est resté là, ou presque. On espère que la Ville laissera les lieux se vider d’eux-mêmes. Si l’hiver commence tôt, il sera vide en novembre », dit-il.

Pour lui, le campement démontre le « problème systémique de la gestion de l’itinérance » à Montréal. « Si ces gens sont là, c’est parce qu’ils ne se retrouvent pas dans les ressources, qui sont trop strictes : pas de couple, pas d’animaux, un seul sexe. C’est géré sur de vieilles fonctionnalités », illustre M. Monette.

Un « nouveau mouvement »

Pour Leilani Farha, les gouvernements devront comprendre que le système de refuges ne répond plus aux besoins d’une grande partie de la population itinérante. « Il y a un nouveau mouvement dans le monde. En établissant ces campements, les gens réclament en quelque sorte leur droit au logement. Ils veulent des solutions à long terme », raisonne-t-elle.

Le problème, c’est qu’on ne reconnaît pas ces campeurs comme ayant droit au logement. On les voit encore comme des bénéficiaires de l’itinérance. Et ce n’est pas unique à Montréal.

Leilani Farha, rapporteuse spéciale pour le logement à l’ONU

« Je sais que Montréal tente d’être créative, et je sais aussi que les fonds manquent pour du logement social. J’espère simplement que la Ville va réellement engager avec la communauté », ajoute la responsable, citant au passage l’exemple de Barcelone. La Ville exproprie dorénavant les unités vacantes depuis plus de 12 mois – souvent des Airbnb – pour en faire du logement abordable.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Jacques Brochu a fait une banderole pour réclamer un meilleur accès au logement.

De l’importance de la « diversité »

La vice-présidente du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), Sylvie Boivin, partage le même point de vue. « Personne n’a vraiment demandé à ces campeurs quelle solution leur conviendrait. Le logement abordable demeure très relatif », illustre-t-elle.

Selon l’organisme, l’essentiel est de consulter, puis d’offrir un éventail d’options aux campeurs. « Il faut arriver avec une offre qui inclut les refuges, les maisons de chambres, les HLM, les appartements supervisés, les blocs à haut seuil d’acceptabilité. C’est comme ça qu’on rejoint plus de gens », ajoute Mme Boivin.

Après tout, chacun a le droit de choisir avec qui il veut partager son quotidien. C’est totalement légitime.

Sylvie Boivin, du RAPSIM

Au Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), la porte-parole Véronique Laflamme abonde dans le même sens. « Toutes les personnes ont des histoires différentes, mais prendre le temps d’écouter ce qu’elles ont à dire est essentiel pour décider de la bonne solution. C’est le minimum », lance-t-elle. Le campement d’Hochelaga, selon elle, n’est en rien comparable à ce que Montréal a récemment vécu. « On en est autour de 60, voire 70 résidants. C’est du jamais-vu depuis la Deuxième Guerre mondiale », note-t-elle.

« J’ai tout épuisé », dit Valérie Plante

Interpellée par La Presse, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, affirme pour sa part que le campement est « très révélateur » du manque criant de logement abordable dans la métropole. « Le hic, c’est que la Ville est en soutien dans l’habitation. Moi, je ne fais pas dans la brique et le mortier. Ce n’est pas moi qui ai les enveloppes d’Accès-Logis », justifie-t-elle.

Mme Plante presse Québec d’imaginer une « solution durable » qui passerait en effet par du « vrai logement, et non juste de l’aide d’appoint ».

« Un refuge, ça ne devrait pas être une résidence permanente. Dans la majorité des cas, les gens veulent un toit. Or, ça fait deux budgets où il n’y a pas eu d’argent neuf pour construire des logements. Même moi, avec ma cible de 12 000 logements sociaux, j’ai tout épuisé », conclut l’élue municipale, qui réclame depuis des mois déjà que Québec et Ottawa s’entendent sur une entente en habitation.

« Les campements ne sont pas une solution sécuritaire ni durable pour les personnes qui vivent dans la précarité. […] Dans les dernières semaines, il y a eu plusieurs enjeux de sécurité publique », ajoute l’attachée de presse de son cabinet, Catherine Cadotte, en soulignant qu’une arme a notamment été projetée sur le camp. « Le 26 août, une tente a pris feu et c’est un miracle que personne n’ait été blessé », ajoute-t-elle.