L’administration Plante a sacrifié la fluidité de la circulation automobile sur l’autel de la sécurité des cyclistes en plaçant son « autoroute à vélos » rue Saint-Denis, selon une analyse obtenue par La Presse.

Le document préparé l’an dernier par la « direction mobilité » de la Ville compare l’impact de l’installation du Réseau express vélo (REV) rue Saint-Denis avec des scénarios où il empruntait les rues Clark et Saint-Urbain et le boulevard Saint-Laurent. Ces options ont été écartées.

« Il est recommandé de poursuivre le développement du REV sur la rue Saint-Denis », conclut le document, qui prévoit aussi que « les impacts sur la circulation seront toutefois importants ».

Le document en question a été transmis à La Presse par le cabinet de la mairesse à la suite de notre demande pour obtenir les « études de circulation » effectuées en lien avec le projet du REV.

Selon deux experts, ce document ne constitue toutefois pas une étude de circulation en bonne et due forme, comme celles que les services municipaux exigent souvent des promoteurs avant la construction de projets majeurs.

Le cabinet de Valérie Plante a pourtant confirmé que la décision avait été prise sur la base de ce document.

Le REV Saint-Denis transforme une voie de circulation automobile dans chaque direction en large piste cyclable, protégée par des infrastructures de béton. Comme la plupart des emplacements de stationnement sur rue sont conservés, une seule voie de circulation subsistera sur l’artère dans chaque direction.

Le projet s’attire les critiques de nombreux automobilistes qui doivent déjà composer avec une grande quantité de rues à sens unique et d’impasses dans les quartiers traversés par la rue Saint-Denis. A contrario, les groupes cyclistes se réjouissent de la construction de ce nouvel équipement – Vélo Québec a d’ailleurs appuyé le choix de la rue Saint-Denis pour l’implantation du REV.

Fluidité contre sécurité

Le document obtenu par La Presse établit qu’une moyenne de 20 000 à 30 000 automobilistes emprunte chaque jour la rue Saint-Denis, soit davantage que les deux autres axes considérés.

Toutefois, ce trajet serait moins utilisé par le camionnage que les deux autres, ce qui offrirait une meilleure protection pour les cyclistes, nombreux à avoir été fauchés par des poids lourds au cours des dernières années à Montréal.

Le développement d’un axe REV rue Saint-Denis « permet de […] sécuriser un passage inférieur supplémentaire pour les cyclistes, d’éviter les conflits avec les voies réservées prévues par la STM [et de] préserver les terrasses sur l’axe ».

On évalue que 80 000 Montréalais habitent à moins de 500 mètres de ce trajet.

Installer le REV dans les rues Clark et Saint-Urbain et sur le boulevard Saint-Laurent aurait permis de desservir 130 000 résidants, mais aurait eu des répercussions beaucoup plus importantes sur le nombre de stationnements disponibles et sur la capacité des restaurateurs à installer des terrasses. Surtout, les camions sont plus présents sur ces artères.

« Des travaux à répétition sur l’axe Saint-Laurent ont eu lieu ces dernières années, ce qui pourrait limiter l’acceptation sociale pour le développement de l’axe Saint-Laurent », ajoute le document.

Pas une étude de circulation

Les professeurs Nicolas Saunier et Florence Junca-Adenot, respectivement de Polytechnique et de l’UQAM, ne doutent pas de la pertinence de cette comparaison entre différents scénarios possibles. Ils affirment toutefois qu’un tel document ne constitue pas une étude de circulation et n’est pas suffisant pour soutenir à lui seul un projet de l’ampleur du REV.

Ce n’est pas, comme tel, une étude globale de circulation. C’est pour identifier quel est le meilleur axe. Après ça, il faut continuer les études avant l’implantation, normalement.

Florence Junca-Adenot, professeure au département des études urbaines et touristiques de l’UQAM

M. Saunier adopte la même analyse, affirmant que le document laisse quand même croire qu’un travail de recherche plus important a été effectué. « Ce qu’on voit est assez succinct, a-t-il dit. C’est sûr que ce document-là, au sens propre, n’est pas un rapport de circulation. »

Après des mois de travaux, la construction du REV Saint-Denis est presque terminée. La circulation reprend graduellement cette semaine. La plantation de végétaux, le marquage et l’installation de la signalisation permanente se poursuivent jusqu’à la mi-novembre.

Une étude de la Santé publique

Il y a quelques semaines, la porte-parole du Service des communications de la Ville de Montréal, Marilyne Laroche Corbeil, jointe par La Presse, a assuré que tous les nouveaux projets d’aménagement à Montréal sont analysés « en fonction des critères pertinents afin de s’assurer qu’ils répondent aux besoins identifiés, tout en étant sécuritaires et efficaces ».

« Selon le cas, un nouvel aménagement cyclable pourrait faire l’objet d’études d’impact selon son ampleur, les milieux qu’ils traversent ou le type d’impact attendu », ajoute la relationniste.

La Ville dit mener depuis septembre une étude d’impact avec la Direction régionale de santé publique de Montréal (DRSP) pour analyser « la santé et l’accessibilité » du REV, avec pour objectif « d’apaiser la circulation » pour tous les usagers, dans le cadre de sa Vision zéro.

Mme Laroche Corbeil souligne par ailleurs que l’administration « monitore les impacts sur la circulation » de toute piste cyclable, en installant par exemple des compteurs véhiculaires, afin d’apporter des mesures d’atténuation lorsque c’est nécessaire.

« Mentionnons que les études d’impact sur la circulation sont des documents très techniques réalisés par des firmes externes. La Ville se base sur les recommandations émises dans ces rapports pour améliorer ses concepts d’aménagement, qui évoluent souvent beaucoup à partir de ces conclusions », ajoute-t-elle.

Un curé ne sait plus à quel saint se vouer

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

L’église Saint-Édouard est située à l’angle des rues Beaubien et Saint-Denis, dans Rosemont-La Petite-Patrie, à Montréal.

Cercueil à travers les vélos, mariées mal garées et maintenance compliquée : le curé d’une église située sur le tracé du Réseau express vélo (REV), rue Saint-Denis, réfléchit à la possibilité de lancer des procédures judiciaires contre Montréal.

L’abbé Denis Prescott, de l’église Saint-Édouard, dans Rosemont–La Petite-Patrie, ne sait plus à quel saint se vouer. Il s’inquiète des impacts du « mur de ciment coulé » devant le bâtiment, à l’angle de la rue Beaubien. Une grande saillie de trottoir a été érigée à cet endroit plus tôt cet automne.

Après des semaines de discussions qu’il juge infructueuses avec le conseiller municipal François Limoges et les fonctionnaires de l’arrondissement, il pense à sortir l’« artillerie plus lourde ». Il a demandé aux services juridiques de l’Archevêché de Montréal s’il pouvait emprunter la voie des tribunaux. « S’ils me disent qu’on a une chance de gagner comme ça, on va y aller », a dit le curé Prescott en entrevue téléphonique.

La Ville de Montréal assure qu’elle continue à travailler pour aplanir les difficultés.

M. Prescott s’inquiète de l’absence de stationnement sécuritaire et garanti pour les corbillards et les limousines qui doivent attendre la fin des obsèques et des mariages devant l’église.

Une simple zone interdite est installée, dans laquelle un court arrêt est toléré. Si quelqu’un y est déjà immobilisé, les pompes funèbres « vont être obligées d’aller se stationner plus loin », a déploré le curé. « Je voulais qu’il y ait une possibilité d’attendre la fin des funérailles. »

Avec la suppression d’une voie de circulation dans chaque sens, « s’ils se mettent là pour sortir le cercueil, c’est dangereux pour les porteurs qu’ils se fassent accrocher par une auto dans la rue », a-t-il ajouté. Le cercueil devra ensuite traverser la piste cyclable pour atteindre le parvis de l’église.

M. Prescott s’inquiète aussi pour l’accès à une petite parcelle de terrain adjacente à l’église et qui était utilisée par les nombreux entrepreneurs qui doivent faire des travaux de maintenance sur cet édifice plus que centenaire. Avec la bande de béton du REV, il estime que la machinerie ne pourra plus y accéder.

La Ville envisage une signalisation « plus précise »

L’administration municipale a indiqué qu’elle continuait à travailler avec le curé pour répondre à ses demandes.

« À la demande de M. Prescott, nous sommes à faire des vérifications pour voir si la signalisation [de la zone interdite au stationnement devant l’église] peut être modifiée afin d’être plus précise. Toutefois, le débarcadère peut déjà être utilisé sans problème », a écrit Laurence Houde-Roy, responsable des communications.

Quant à la parcelle de terrain située à côté de l’église, Mme Houde-Roy a souligné qu’elle était aussi utilisée illégalement comme stationnement par des bénévoles. Des démarches sont en cours « pour vérifier si celle-ci peut désormais être identifiée comme un stationnement ».