Engourdi, oui, mais toujours vivant. Montréal va connaître un été hors de l’ordinaire, mais la métropole a l’intention plus que jamais de défendre sa réputation de ville effervescente. Comment les Montréalais composeront-ils avec les limites de la pandémie ? À quoi ressemblera leur quotidien ? De quelle manière exploiteront-ils leur créativité ? Instantané d’une saison que l’on souhaite belle, malgré tout.

« Il faut redémarrer la machine »

Restos et bars, une île, une terrasse

Les beaux mois de l’année se comptent sur les doigts d’une main à Montréal. Les terrasses, ces lieux où coulent le bonheur et le houblon, deviennent alors très précieuses pour les citoyens. Leur retour est ardemment souhaité par le public. Mais surtout par les 1100 propriétaires de bars et de restos-bars de Montréal.

« Nous sommes présentement en mode solution, dit Pierre Thibault, président de la Nouvelle Association des bars du Québec (NABQ). On prépare notre retour. Cela dit, on ne veut pas précipiter les choses. On veut bien faire les choses et nous visons une réouverture autour de la Saint-Jean. »

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Au Jack Rouge, une devanture ayant la forme d’un camion de cuisine de rue (baptisée Le Faux Truck) permet de vendre des plats à emporter.

Même son de cloche du côté des restaurateurs.

L’inquiétude est très grande en ce moment. Au moment où l’on se parle, 50 % des restaurants du Québec sont fermés. Il faut redémarrer la machine.

François Meunier, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’Association Restauration Québec

On a beaucoup répété ces dernières semaines que les règles de distanciation seront difficiles à faire respecter après quelques verres. Pierre Thibault voit les choses avec discernement. « Je crois que sur les terrasses, il n’y aura pas de problème. Il faut faire confiance aux gens. Mais à l’intérieur des bars, ça sera autre chose. Ça va être difficile d’atteindre cet objectif. Mais bon, on n’est pas encore là. Commençons avec l’été. »

Plusieurs propriétaires de bars et restos-bars aimeraient que l’on modifie temporairement les règlements sur la consommation d’alcool, notamment pour les établissements situés sur les rues qui seront fermées cet été. C’est le cas de Christian Morin et François Desrochers, les deux propriétaires de Jack Rouge, situé boulevard Saint-Laurent. « C’est étonnant de voir que l’Ontario, qui a la réputation d’être plus stiff que nous, a des règles plus souples que les nôtres », dit François Desrochers. À l’instar d’autres propriétaires de bars, il souhaite que l’on permette aux clients de consommer sur les trottoirs ou dans les rues (lorsqu’elles sont fermées à la circulation), comme on le voit dans certaines villes européennes.

Les deux propriétaires de Jack Rouge font preuve d’une grande créativité pour accommoder leur clientèle. Ils ont créé une devanture ayant la forme d’un camion de cuisine de rue. Appelé Le Faux Truck, le concept permet de vendre des plats à emporter. Le concept vient d’être appliqué au resto-bar Les Torchés, qui appartient aussi à Christian Morin. « On aimerait que l’idée du Faux Truck se répande et que d’autres l’utilisent », dit ce dernier.

En attendant l’annonce de la réouverture des restaurants et des bars, la mairesse Valérie Plante se dit ouverte à un agrandissement des terrasses. « C’est une bonne initiative, car si on doit espacer les clients, il faudra trouver des solutions », dit François Meunier, tout en évoquant la création d’une grille de prix différente en terrasse.

Magasinage, droit au but

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L’expérience de magasinage ne sera plus la même.

Si l’on se fie à l’expérience des régions hors Montréal, la reprise commerciale, prévue le 25 mai dans la métropole, n’offrira pas une expérience de magasinage comparable à celle que l’on connaissait. Limite du nombre de clients dans les boutiques, service de type « take out » offert à l’extérieur, interdiction (dans certains cas) de toucher à la marchandise, désinfection ou retrait temporaire des articles essayés par les clients, les mesures ne manqueront pas.

C’est sûr qu’il faut s’attendre à un changement d’expérience. Mais en même temps, j’aimerais que l’on profite de cela pour renforcer notre relation avec le commerçant. Ses conseils vont devenir précieux.

Billy Walsh, président de l’Association des sociétés de développement commercial de Montréal.

Les clients qui visiteront les boutiques et les magasins de Montréal arriveront sans doute avec des objectifs très précis. « On remarque que les gens qui vont dans les magasins viennent vraiment pour acheter, dit Stéphane Drouin, directeur général du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD). Il y a moins de clients, mais plus de la moitié repart après avoir effectué des achats. »

Comme ailleurs au Québec, les boutiques d’articles de sport et de plein air risquent d’être très populaires à Montréal. « Les magasins de tissus sont également très courus, ajoute Stéphane Drouin. Il y a des endroits où l’on doit mettre des agents de sécurité à l’entrée. »

Si une bonne part de l’activité commerciale reprend partout au Québec, de nombreuses restrictions s’appliquent encore dans la métropole. Les salons de coiffure et les centres commerciaux avec une galerie marchande resteront fermés jusqu’à nouvel ordre.

Stéphane Drouin affirme que les commerçants de Montréal sont plus que prêts à accueillir la clientèle. « On a beaucoup parlé d’achat local ces dernières semaines. C’est le moment où les bottines doivent suivre les babines. »

Transports collectifs, jamais sans mon masque

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Quelque 1,5 million de masques seront distribués dans le Grand Montréal au cours des prochaines semaines.

Le couvre-visage sera de mise cet été dans le métro et les autobus de Montréal. Il faudra s’y habituer. En arrivant à la station ou à l’arrêt de votre choix, il faudra sortir le précieux objet de votre sac, à moins qu’il ne soit déjà en place.

Depuis le début de la pandémie, la Société de transport de Montréal (STM) connaît une chute de 85 % de son achalandage. La distribution de couvre-visage (1,5 million de masques seront distribués dans le Grand Montréal au cours des prochaines semaines) devrait contribuer à dissiper la crainte qu’ont de nombreux usagers.

La STM va jouer un rôle important dans cette vaste opération. « Nous avons la responsabilité d’acheter les masques pour nous, mais aussi la STL, la RTL et exo », explique Luc Tremblay, directeur général de la STM.

Comme on peut difficilement exiger la distance de deux mètres dans les transports en commun, on va distribuer ces masques durables et lavables aux Montréalais.

Luc Tremblay, directeur général de la STM

Ces masques qui coûtent 4 $ l’unité sont fabriqués au Québec et seront offerts gratuitement.

Les Montréalais verront bientôt apparaître des écrans de polycarbonate autour des chauffeurs d’autobus. L’installation de ces écrans protecteurs va s’étaler sur plusieurs mois. « Ça va prendre du temps avant d’équiper le parc au complet, qui comprend environ 2000 autobus, dit Luc Tremblay. On fait cela pour protéger nos chauffeurs, mais aussi pour permettre de nouveau l’embarquement par la porte d’en avant. »

« un autre gros été »

Mobilité

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L’été sera marqué par la création de plusieurs centaines de kilomètres de voies réservées aux piétons et aux cyclistes.

Marcher au milieu de la rue

S’il y a une chose qu’on retiendra de l’été 2020 à Montréal, c’est la création de plusieurs centaines de kilomètres de voies réservées aux piétons et aux cyclistes. Pas moins de 112 km de voies récréatives sécuritaires et 88 km de rues réaménagées seront créées pour les piétons et les cyclistes. Si l’on combine cela aux infrastructures permanentes qui étaient déjà prévues cet été, c’est donc 327 nouveaux kilomètres qui vont rejoindre les 900 autres existants. Bref, c’est au total 1200 km de voies sécuritaires qui s’offriront aux Montréalais. Une première phase sera lancée en juin et une seconde suivra plus tard durant l’été.

Ces fermetures de rues, l’élimination de plusieurs centaines de places de stationnement et la reprise des chantiers feront, en revanche, damner certains automobilistes. « Oui, ça sera un autre gros été à ce niveau, mais c’est un été qui marquera la fin de plusieurs chantiers », explique Sylvain Ouellette, vice-président du comité exécutif et responsable des infrastructures. Dans le cas de l’échangeur Turcot et du pont Samuel-De Champlain, le pire est derrière nous. »

Ralentis par la pandémie, les gestionnaires des grands chantiers de Montréal veulent maintenant mettre les bouchés doubles pour reprendre le contrôle de leur échéancier. Certains aimeraient même procéder à des « blitz ».

Ces chantiers ne devraient pas avoir trop d’impact sur la circulation en général.

Sylvain Ouellette vice-président du comité exécutif et responsable des infrastructures

Le projet du REM, les travaux de réfection de la rue Saint-Catherine, ceux de la Plaza St-Hubert, de même que le réaménagement du secteur Laurentien-Lachapelle, dans Ahuntsic, sont quelques-uns des chantiers qui seront en ébullition au cours des prochains mois. L’année 2020 sera également celle qui devrait marquer le démantèlement de l’ancien pont Champlain.

La création des voies actives sécuritaires et des corridors sanitaires mettra sans doute à l’épreuve la fragile harmonie entre piétons, cyclistes et automobilistes. « Je comprends cela, mais en même temps, on fait ça pour des raisons sanitaires. Et aussi pour la santé mentale des Montréalais, dit Sylvain Ouellette. Nous n’avons pas le choix. »

Déménagement, Purell et pizza

Pandémie ou pas, rien ne peut arrêter les Montréalais dans leurs projets de déménagement. « Je dois dire qu’on fait de très bonnes affaires en ce moment, dit Philippe Gredin, propriétaire du Plan Pas Con. En plus, les clients sont archi-préparés, ils sont aimables et reconnaissants. »

Équipés de masques et de gants, les déménageurs du Plan Pas Con, une entreprise créée en 1993, ont un agenda bien rempli jusqu’au début de juillet. « Le mythe du fameux 1er juillet, c’est fini, lance Philippe Gredin. Les déménagements sont beaucoup plus répartis. Notre rush, c’est maintenant. »

La Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) a publié le 19 mai dernier les résultats d’un sondage mené auprès de 2000 propriétaires de logements dans la province. On remarque une forte reprise des visites d’appartements. Ce redémarrage est toutefois marqué par un taux d’inoccupation de 1,1 % à Montréal.

Dès le début de la pandémie, les visites d’appartements ont été déconseillées par la Santé publique.

Il est temps que l’on fasse une mise à jour. Selon notre sondage, environ 20 % des propriétaires ont de la difficulté à faire voir leurs appartements.

Hans Brouillette, directeur des affaires publiques de la CORPIQ

Dans ce contexte, un plus grand nombre d’appartements sont loués grâce à une visite virtuelle.

La crise de la COVID-19 ralentira-t-elle le jeu de chaise musicale auquel se prêtent chaque année de nombreux locataires ? « Ça fait deux ou trois années que nous observons moins de baux signés par de nouveaux locataires, ajoute M. Brouillette. Ça devrait être la même chose cette année. »

Autres temps, autres mœurs : avec l’incontournable duo pizza-bière offert aux amis après une journée de déménagement, il faudra également penser à distribuer du Purell.

Immobilier, visite sans les mains

Depuis le 11 mai, les activités de courtage immobilier résidentiel et commercial sont de nouveau permises au Québec. Les deux mètres de distance, ainsi que les règles d’hygiène respiratoire et le lavage des mains doivent toutefois être observés.

« On demande également à toutes les parties impliquées [vendeur, acheteur, inspecteur, évaluateur, etc.] de signer un formulaire de déclaration relative au coronavirus », explique Caroline Champagne, vice-présidente de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ).

Une limite d’un visiteur à la fois est recommandée. Si un couple désire voir une propriété, deux visites sont alors nécessaires. Même si les visites libres sont autorisées, il demeure difficile d’organiser ce genre d’évènement.

On encourage fortement une première visite virtuelle de la propriété avant d’effectuer un déplacement.

Caroline Champagne, vice-présidente de l’OACIQ

Se « réapproprier » Montréal

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Comme d’autres secteurs de la ville, le Quartier des spectacles sera le théâtre d’évènements artistiques spontanés et déambulatoires.

Culture, l’art qui fait pop

Si on ne peut pas aller à l’art, l’art viendra à nous ! Voilà qui pourrait résumer ce qui attend les Montréalais cet été en matière de vie culturelle. Si une tendance se dessine, c’est bien celle des évènements artistiques spontanés et déambulatoires qui auront lieu partout dans la ville.

Le Partenariat du Quartier des spectacles agira en ce sens comme leader et conseiller, particulièrement sur le territoire qu’il dessert en temps normal. « Dès que nous avons appris qu’il n’y aurait pas de festivals, on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose, confie Monique Simard, présidente de l’organisme. On a approché tous nos partenaires. Les gens ont levé la main. »

Comment offrir des évènements artistiques tout en respectant les mesures sanitaires et en évitant de créer des rassemblements importants ? En les présentant de manière inattendue.

Le public doit s’attendre à des manifestations spontanées tournées vers l’animation.

Monique Simard, présidente du Partenariat du Quartier des spectacles

Les Montréalais auront aussi droit à des évènements déambulatoires. Le festival Montréal complètement cirque jouera un rôle important dans cette opération. Des artistes du monde du théâtre, du cirque et de la musique circuleront dans les parcs et les rues de Montréal afin d’égayer petits et grands. Le Cirque Alfonse n’a pas attendu que le train se mette en marche. Depuis la mi-mars, les artistes de la troupe organisent de petits défilés dans les ruelles d’Hochelaga-Maisonneuve.

En ce qui a trait aux bibliothèques (comptoirs de prêts seulement) et aux musées, leur réouverture aura lieu le 29 mai. Pour ce qui est de la traditionnelle fête nationale, les immenses rassemblements qui ont lieu normalement à Québec et à Montréal seront remplacés par une émission de télévision diffusée simultanément à Radio-Canada, TVA et Télé-Québec. Finalement, il est à prévoir que les ciné-parcs connaîtront un franc succès cet été.

Vacances, le retour du camping

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Après des mois de confinement, les Montréalais voudront sortir de la ville. Ceux qui sont déjà propriétaires d’un chalet peuvent s’y rendre sans problème. Pour ce qui est du camping, seuls les snowbirds, rentrés plus tôt que prévu du Sud, ont le droit d’occuper un terrain de camping avec leur véhicule récréatif ou leur roulotte.

Tout indique que de nouvelles mesures concernant l’hébergement touristique seront annoncées au cours des prochains jours. Celles-ci toucheront le camping et certains types d’hébergement. Cet assouplissement, tant souhaité, sera bien sûr accompagné d’une série de mesures sanitaires que les campeurs saisonniers et les vacanciers devront respecter.

Ces mesures encadreront toutes les formes de camping. En ce qui a trait aux locations de chalet, il était permis jusqu’à maintenant d’effectuer les démarches pour trouver et louer un chalet, mais son occupation était interdite. Le gouvernement devrait clarifier cette situation très bientôt afin de permettre aux Québécois de profiter au maximum de leurs vacances ou de leur été.

Tourisme, vacances à l’hôtel

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La saison touristique de Montréal commence normalement avec le Grand Prix. Mais cette année, les gradins et les paddocks resteront vides. Yves Lalumière, président de Tourisme Montréal, regarde la situation avec lucidité, mais aussi un air combatif. « On a tendance à sous-estimer le secteur du tourisme. Mais on voit bien aujourd’hui qu’il est très important. On avait un momentum depuis quelques années à Montréal. Je suis persuadé qu’on va le reprendre. »

L’industrie hôtelière est durement touchée par la crise de la COVID-19. Pour bien illustrer la situation, Ève Paré, PDG de l’Association des hôtels du Grand Montréal, offre ces chiffres.

Normalement, en avril, nos hôtels ont un taux d’occupation d’environ 70 %. Le rapport que nous venons de recevoir montre un taux de 3,6 %.

Ève Paré, PDG de l’Association des hôtels du Grand Montréal

Selon Mme Paré, il y a un « alignement des planètes » maudit pour les hôtels de Montréal : la fermeture des frontières avec les États-Unis, l’interdiction de tenir de grands rassemblements et les difficiles déplacements interprovinciaux. « Ajoutez à cela les taxes foncières, les ententes avec les fournisseurs et les dettes qui s’accumulent, vous avez là un tableau de la réalité des hôteliers », ajoute-t-elle.

Christiane Germain, coprésidente du Groupe Germain, propriétaire de 18 hôtels au Canada, est reconnue comme une femme positive. Mais la pandémie de COVID-19 ébranle son optimisme. « C’est une période extrêmement difficile pour nous, dit-elle. C’est un secteur qui allait bien et qui est très éprouvé. »

Il y a quelques jours, Christiane Germain a appris que son hôtel de Calgary avait une vingtaine de chambres qui étaient occupées sur une possibilité de 140. « On était tout excités. Ça donne de l’espoir. »

Après des mois de confinement, est-ce que les amis et les familles auront envie de se voir en voyageant un peu et en allant à l’hôtel ? « On le souhaite, dit Christiane Germain. C’est ce qu’on appelle le tourisme de proximité. Il faut tout prendre. »

Yves Lalumière souhaite de tout cœur que les Montréalais profiteront de cette crise pour se « réapproprier » leur ville. « Il faut faire vibrer la ville partout, aller dans les parcs, faire du vélo, encourager les commerces, aller dans les hôtels, sur les terrasses, etc. J’aime à dire que “Montréal, ça ne se visite pas, ça se vit”. Voilà une occasion en or de le prouver. »