Revirement dans la saga des marchés publics : un nouveau conseil d’administration, composé d’une majorité de membres de l’extérieur, pourra être élu à la Corporation de gestion des marchés publics de Montréal (CGMPM).

La demande d’injonction, déposée le 23 août en Cour supérieure par Me Jean Lozeau, au nom de quatre revendeurs du marché Jean-Talon, ne sera pas entendue. Me Lozeau a annoncé qu’il renonçait à la présenter. En d’autres mots, il se désiste.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Me Jean Lozeau

Cette demande visait à empêcher la CGMPM de tenir une assemblée générale pour élire un nouveau conseil d’administration, à la suite de la démission en bloc de tous les membres, le 9 août.

« Étant donné que les membres du conseil d’administration ont démissionné en bloc, les pouvoirs de la directrice générale [Isabelle Laliberté] sont excessivement limités », a reconnu Me Lozeau.

« Pour permettre d’avoir des mandats clairs du côté du procureur de la Corporation, j’ai accepté de renoncer à présenter ma demande de sauvegarde et permettre la tenue d’une assemblée des membres afin d’élire un conseil d’administration. »

8 octobre

Le nouveau C.A. sera nommé le 8 octobre en assemblée générale. Il comprendra quatre membres de la Corporation (des marchands ou des producteurs maraîchers) et cinq membres provenant de l’extérieur. Une première.

Les conseils antérieurs étaient formés exclusivement de membres de la corporation.

Le règlement a été modifié, le 14 mars, en assemblée générale, pour admettre des administrateurs de l’extérieur. But avoué : assainir la gouvernance et prévenir les conflits d’intérêts.

Me Lozeau prétend qu’il aurait fallu obtenir un pourcentage de 66 % (2/3 des membres présents) – et non 64 % – pour que ce changement soit valable. La direction de l’organisme soutient que la majorité simple était suffisante.

Cette question sera éventuellement débattue sur le fond.

En attendant, Me Lozeau n’a pas renoncé à ses « autres conclusions de sauvegarde », qui visent à protéger le statut de membre de ses clients et le renouvellement de leurs baux, « jusqu’à ce qu’un jugement final soit rendu ».

Ces clients, quatre marchands de longue date du marché Jean-Talon, sont les frères Bruno et Lino Birri, Antonino Bono et François Chenail.

Des dizaines de milliers de dollars

« Ils nous ont fait dépenser du temps comme ça ne se peut pas et des dizaines de milliers de dollars », déplore la directrice générale de l’organisme, Isabelle Laliberté, en entrevue avec La Presse, au sujet des procédures judiciaires.

« Pourquoi faire des poursuites quand on ne leur a pas demandé de partir ? », demande-t-elle.

Nommée en octobre 2018, Mme Laliberté est arrivée en poste en pleine crise des marchés publics montréalais. Le contrôleur de la Ville menait une enquête sur la gestion de l’organisme, à la demande de l’administration municipale. Son rapport, remis en décembre 2018, fait état de nombreuses irrégularités et compte 17 recommandations.

« Il ne m’a rien appris, assure la directrice. On était déjà en action pour corriger les lacunes. Mais son rapport est venu mettre du poids. Le contrôleur général est une institution importante. »

Dans une déclaration déposée à la chambre commerciale de la Cour supérieure, le 5 septembre, et obtenue par La Presse, Mme Laliberté observe que plusieurs membres de la Corporation ont fait fi des règles au fil des ans : sous-location de kiosques, dédoublement de statut de membre, cession d’emplacements pour plusieurs centaines de milliers de dollars, stratagèmes pour obtenir des cartes du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) pour louer des emplacements commerciaux dédiés aux producteurs agricoles, présence d’un « loi du silence » pour empêcher la dénonciation de membres délinquants…

Elle relate aussi les faits reprochés aux quatre clients de Me Lozeau.

Lino Berri

« Moi, ça fait 40, 50 ans que je suis au marché », dit l’un d’eux, Lino Birri, un pionnier du marché Jean-Talon qui exploite un des kiosques les plus fréquentés, où tous les produits offerts sont locaux.

« On a un vécu derrière ça. Il y a une raison pour laquelle on a ces emplacements. Là, il faut venir chercher toutes les bibittes qui auraient dû être faites, et que les gens en place n’ont pas faites. Et là, on vient nous dire que c’est de notre faute. Ce n’est pas de notre faute, c’est le bureaucrate qui n’a pas changé le nom. Dans ce temps-là, on se donnait une poignée de main, et tout le monde était content. »

« On n’est pas des bandits, au marché Jean-Talon », ajoute-t-il, rappelant que les temps n’ont pas toujours été faciles et que les maraîchers et les marchands, comme lui, ont contribué à en faire le succès qu’il est maintenant devenu en introduisant au fil du temps de nouveaux produits, comme de la scarole, de la romaine, des poivrons rouges et des aubergines.

« Avant, il se vendait juste des patates, des oignons, puis de la salade en pomme, des tomates et des concombres. C’était ça il y a 50 ans. Vous ne le savez pas, je vous le dis. »

Les parties doivent revenir en cour le 15 octobre pour déterminer la suite des procédures.

En chiffres

13

Montréal possède 13 marchés publics. Les quatre principaux sont Jean-Talon, Atwater, Maisonneuve et Lachine. Il y a également six marchés de quartier et trois marchés solidaires.

1993

Le premier bail entre la Ville et la Corporation a été signé le 13 juillet 1993. La CGMPM est un organisme sans but lucratif, qui a pour mission de sous-louer les emplacements dans les marchés et de collecter les loyers. Elle remet un pourcentage de ses revenus à la Ville en guise de loyer.

2035

En 1998, le bail de 1993 a été annulé et remplacé par un nouveau contrat qui expire en 2035.

2018

Le contrôleur général de la Ville a fait enquête, il y a un an. Son rapport, remis en décembre 2018, fait état de plusieurs anomalies dans la gestion de l’organisme.

64 %

Le 14 mars, en assemblée, 64 % des membres ont adopté un règlement modifiant la composition du conseil d’administration.

350

Le président du conseil d’administration, Nicolas Villeneuve, a été la cible d’actes de vandalisme, en juillet et en août. Plus de 350 petits pommiers ont été coupés dans son verger durant la nuit, et une personne s’est introduite chez lui par effraction. M. Villeneuve a quitté son poste le 8 août. Les autres administrateurs ont remis leur démission le lendemain.