L'ancien maire corrompu Gilles Vaillancourt avait la mainmise sur Laval grâce notamment à la charte de la ville, qui concentre les pouvoirs au sein du comité exécutif. Même si celle-ci souhaite rééquilibrer les choses par voie législative, il lui faudra patienter jusqu'en 2020, prévient le gouvernement Legault.

Le cabinet de la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, a confirmé à La Presse que la refonte complète de la Charte de Laval, c'est-à-dire sa loi constituante, devrait attendre. Le gouvernement de François Legault « a d'autres priorités législatives » pour la prochaine année, explique-t-on.

Le projet mené par l'administration du maire Marc Demers depuis 2013 exigera beaucoup de travail de la part des parlementaires, puisqu'il s'agit de transformer une loi privée en loi publique. Cela implique la tenue d'une commission parlementaire et l'étude article par article du projet de loi.

Mais avant tout, le ministère des Affaires municipales doit procéder à l'analyse complète du dossier que lui soumettra la Ville de Laval avant de présenter un projet de loi à l'Assemblée nationale. 

« C'est volumineux. Il faut s'assurer d'avoir le temps parlementaire requis. On aurait le temps en 2020. » - Francis Côté, chef de cabinet de la ministre Laforest

Ce qui est proposé par Laval est une transformation de fond en comble de la Charte qui date de la fusion des 14 municipalités de l'île Jésus, en 1965. Une cinquantaine de modifications ont été apportées au fil des décennies. La charte accorde des pouvoirs extraordinaires au comité exécutif en comparaison de ceux conférés à l'ensemble des élus qui siègent au conseil municipal.

« Une île, une ville, un Gilles ! »

La prise de décision tant politique qu'administrative étant entre les mains du comité exécutif présidé par le maire, cela confère à ce dernier une autorité complète. La meilleure illustration de la situation est venue en 2007 du milieu des affaires lavallois, où un promoteur avait expliqué à une journaliste : « À Laval, c'est simple. La ligne est claire. Une île, une ville, un Gilles  ! »

Concrètement, les embauches de personnel, les sanctions disciplinaires et, surtout, tous les contrats étaient accordés par le comité exécutif, sous le règne de Gilles Vaillancourt. Quelques mois après être arrivé au pouvoir, le maire Demers avait fait adopter un changement réglementaire afin que le comité exécutif délègue au conseil municipal le pouvoir d'attribuer les contrats de 200 000 $ et plus. Mais cette délégation de pouvoirs ne devait être que temporaire ; cela doit être enchâssé dans une charte revue et corrigée, croit-on à Laval.

La Charte de Laval n'a pas d'équivalent ailleurs dans le monde municipal. En comparaison, la séparation des pouvoirs entre conseil municipal et comité exécutif, tant à Montréal qu'à Québec, villes elles aussi régies par une charte, est clairement établie.

« L'omniprésence » du comité exécutif avait été soulevée par l'équipe de tutelle mise en place à Laval par le gouvernement du Québec en 2013. Par la suite, une équipe de l'École nationale d'administration publique (ENAP) a accompagné la nouvelle administration municipale pour tenter de remettre le train sur les rails. Pour y parvenir, l'une des principales propositions était la refonte de la charte pour rééquilibrer les pouvoirs et assurer l'indépendance de la fonction publique. Les travaux ont été menés par le contentieux de Laval. Le projet est prêt, mais sa mise en oeuvre se bute aux priorités gouvernementales.

Deux demandes à Québec

C'est dans ce contexte que l'administration Demers a fait adopter une résolution par le conseil municipal, la semaine dernière. Il s'agit d'une demande au gouvernement pour apporter deux modifications à sa charte lors d'un projet de loi omnibus devant être adopté d'ici la fin de la présente session parlementaire.

Deux choses sont demandées au gouvernement : permettre au conseil municipal de déléguer des pouvoirs au comité exécutif par voie réglementaire et de le faire aux deux tiers des voix, plutôt qu'à la majorité simple ; déléguer des pouvoirs aux fonctionnaires, notamment pour le lancement d'appels d'offres et l'embauche de stagiaires.

« C'est en attendant la refonte de la charte qu'on espère l'automne prochain et qui va clarifier une fois pour toutes le cadre normatif et le partage des pouvoirs. » - Robert-Charles Longpré, du cabinet du maire de Laval

Les élus de l'opposition ont vivement réagi en dénonçant Marc Demers parce qu'ils croient que le contrôle que lui accorde la charte lui plaît et que les modifications demandées pourraient accentuer la situation. « J'étais au comité exécutif lorsque le projet de refonte a été présenté et la charte maintient les pouvoirs entre les mains de l'exécutif », estime le conseiller municipal David De Cotis. « L'administration Demers veut un chèque en blanc », ajoute-t-il.

M. De Cotis a fait parvenir une lettre à la ministre Laforest ainsi qu'à tous les députés mercredi. Il leur demande de ne pas avaliser les changements demandés pour éviter à Laval de revivre la « mésaventure » Vaillancourt.