Des sous-traitants ont été obligés de verser une quote-part (« cote ») de 5 à 15 % à l'entrepreneur général Les Constructions Lavacon inc. pour certains travaux effectués lors de l'agrandissement de la bibliothèque de Pierrefonds. C'est ce que révèle une enquête du Bureau de l'inspecteur général (BIG) de Montréal qui conclut à des gestes suffisamment graves et répréhensibles pour transmettre le dossier à l'Unité permanente anticorruption (UPAC) ainsi qu'à l'Autorité des marchés publics (AMP).

Selon le rapport d'enquête du BIG qui a été déposé lundi à la séance du conseil municipal de Montréal, « les moyens utilisés par Les Constructions Lavacon inc. constituent une manoeuvre frauduleuse ». L'inspectrice générale Brigitte Bishop recommande donc aux élus montréalais d'exclure Lavacon de tout contrat ou sous-contrat public pour une période de cinq ans.

Me Bishop recommande également à la Ville de prendre des mesures de contrôle supplémentaires dans les documents d'appel d'offres afin d'assurer l'intégrité et la transparence de la facturation. Il s'agit de contrer des façons de faire similaires car « l'inspectrice générale croit que Les Constructions Lavacon inc. n'est pas la seule entreprise qui pourrait utiliser le stratagème mis au jour par son enquête ».

DES PRIX GONFLÉS

À l'hôtel de ville, la mairesse Valérie Plante n'a pas tardé à réagir avec indignation. « Voler l'argent des Montréalais comme ça, c'est inacceptable ! »,  a-t-elle lancé en marge de l'assemblée du conseil municipal. « C'est exactement le type de comportement qu'on ne veut plus à Montréal », a ajouté Mme Plante en promettant d'agir en tenant compte des recommandations.

Le BIG souligne que l'entrepreneur a tiré profit de la situation au détriment de la Ville. Lavacon ne payait pas « la véritable valeur des travaux exécutés par les sous-[traitants] tout en demandant le plein paiement à la Ville de Montréal ».

« Lavacon s'est placé dans une situation de conflit entre ses propres intérêts et ceux de la Ville de Montréal puisqu'il a retiré des avantages financiers à ce que les travaux des sous-traitants soient faits au coût le plus élevé possible. » - Le rapport d'enquête du BIG

Concrètement, Lavacon a conclu des ententes de « partage des frais » avec ses sous-traitants qui se sont engagés à lui remettre un escompte, c'est-à-dire une part de 5 à 15 % de la valeur des travaux effectués pour chaque directive de changement, communément appelés des extras.

Ainsi, lors d'une directive de changement, le sous-traitant remettait son estimation des coûts des travaux à Lavacon, qui la transmettait à la Ville pour autoriser la dépense. Le bon de commande alors envoyé au sous-traitant était « coupé d'un montant correspondant à l'escompte inclus dans l'entente ».

« À aucun moment, les responsables du projet pour la Ville de Montréal n'ont été mis au courant d'une telle entente et il leur aurait été impossible d'en connaître l'existence puisque les sous-traitants relevaient de la responsabilité de l'entrepreneur général », peut-on lire dans le rapport du BIG.

LE JUSTE PRIX, SELON LAVACON

L'enquête administrative a été déclenchée à la suite d'une dénonciation. Les enquêteurs ont analysé plus de 50 directives de changements émises entre août 2017 et mai 2018. Ils ont rencontré 10 des 30 sous-traitants de Lavacon.

Quatre d'entre eux ont reconnu avoir haussé leurs prix pour s'assurer d'un profit. L'un d'eux a dit aux enquêteurs : « C'est sûr que nous autres yé caché dans notre soumission [...] on perd pas 10 % nous autres ». Un autre sous-traitant explique qu'il doit être « créatif » en augmentant légèrement le prix de presque tous les articles sur sa soumission. Ainsi, le total permet de payer son pourcentage à l'entrepreneur général.

Quant à Luigi Pallotta, qui dirige Les Constructions Lavacon depuis sa création en 1988, il estime que la Ville paie toujours le juste prix. Selon ce que rapporte le rapport du BIG, M. Pallotta indique que l'escompte ne concerne pas la Ville.

« Mon sous-traitant et moi, on n'est pas d'accord de faire bénéficier cet escompte-là... à la Ville... parce que ça nous appartient à moi et mon sous-traitant. » - Luigi Pallotta, cité par le BIG

M. Pallotta n'a pas rappelé La Presse.

L'entrepreneur a obtenu le contrat de 20,3 millions lors d'un second appel d'offres public lancé en janvier 2017. Neuf autres entreprises avaient déposé une soumission.

Le chantier de construction de la bibliothèque de Pierrefonds est terminé depuis la fin de l'automne. Il reste quelques ajustements à apporter, ce qui devrait mener à l'ouverture officielle au printemps. Le projet a bénéficié d'une aide financière du gouvernement du Québec de 4 millions.

DES RÉALISATIONS D'IMPORTANCE

Dans le secteur public, Lavacon a plusieurs réalisations d'importance. Il a notamment bâti l'agrandissement des urgences de l'hôpital Charles-Le Moyne à Longueuil, le réaménagement des services alimentaires de Maisonneuve-Rosemont, la construction des résidences de l'École nationale du cirque et l'agrandissement de l'École des métiers de la construction de Montréal.

Le dossier que le BIG soumettra au nouvel organisme de surveillance, l'Autorité des marchés publics (AMP), sous l'autorité de l'ancien inspecteur général Denis Gallant, risque de stopper Lavacon dans ses projets. C'est maintenant l'AMP qui a le pouvoir d'inscrire une entreprise au Registre des entreprises non admissibles (RENA). Le dossier d'enquête de Lavacon a démarré lorsque M. Gallant était encore à la tête du BIG.

Le dossier sera également analysé dans une perspective criminelle par l'Unité permanente anticorruption (UPAC).

- Avec la collaboration de Pierre-André Normandin, La Presse