Les membres du Groupe tactique d’intervention (GTI) du SPVM manieront bientôt des fusils d’assaut dotés d’une force de frappe encore plus forte que ceux qu’ils possèdent déjà. Le corps policier a lancé un appel d’offres pour acquérir des armes de calibre comparable au mythique AK-47, capables d’arrêter un camion bélier ou de percer un blindage léger.

Selon l’appel d’offres qui a pris fin cette semaine, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) souhaite acquérir 49 carabines de calibre .300 Blackout, dont les projectiles de 7,62 mm de diamètre sont plus gros et plus lourds que ceux de 5,56 mm utilisés depuis des années. Elles devront être munies d’un mode « complètement automatique » permettant de tirer des rafales. 

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De gauche à droite : une cartouche .300 Blackout, une cartouche
 5,56 x 45 mm OTAN (utilisée par le SPVM dans ses armes de type
 AR-15) et une cartouche de 7,62 x 39 mm, utilisée dans les AK-47 russes. Le projectile correspond à la partie cuivrée en tête de munition.

Avec la Sûreté du Québec (SQ) et la police de Longueuil, qui ont acquis les leurs en 2017, le SPVM deviendra le troisième corps de police québécois à s’équiper d’armes tactiques de ce calibre, dont les munitions sont du même diamètre que celles qui alimentent les AK-47 russes.

De plus en plus populaire aux États-Unis, les carabines .300 Blackout sont notamment utilisées par l’escouade spécialisée en sauvetage d’otages du FBI depuis 2017. 

Le SPVM affirme que le nouveau calibre est « en fait semblable » en matière de puissance à celui que le GTI utilise déjà. Mais trois spécialistes en armes consultés par La Presse croient que le SPVM cherche à doter son escouade d’élite d’armes d’un plus gros pouvoir de frappe. 

« Comme son diamètre est plus gros et que sa masse est plus élevée, c’est un projectile qui est capable de traverser des barrières, des pare-brise, une portière d’auto et même une porte blindée », explique Jean-François Vandry, agent instructeur au Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL), qui forme les policiers à l’utilisation de ce calibre. 

La Ligue des droits et libertés, qui a publié un article dans la revue Droits et libertés l’an dernier sur la « militarisation de la police », affirme que cet appel d’offres du SPVM pour « renouveler son arsenal alors que le débat public sur ces questions n’est pas fait » la « préoccupe grandement ». « Cela fait un an que la Ligue des droits et libertés et 24 autres organisations demandent à la Ville de Montréal de tenir une consultation publique sur les méthodes d’intervention du SPVM. La question des armes utilisées par celui-ci fait partie de ce que devrait traiter cette consultation publique. Jusqu’à maintenant, les élus n’ont pas répondu officiellement à notre demande », déplore la porte-parole Eve-Marie Lacasse. 

Stopper un camion bélier

Le SPAL, qui a fait l’acquisition de carabines .300 Blackout en 2018, a testé l’arme sur des carcasses d’auto, question de vérifier leur capacité à stopper un camion bélier lors d’une attaque terroriste. « C’est vraiment efficace. Avec les projectiles de 5,56 mm, le projectile s’arrêtait sur place ou déviait beaucoup, et ça ne perçait pas le bloc moteur, alors qu’avec la .300 Blackout, nous étions capables de faire un trou », indique M. Vandry. 

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Munitions de calibre .300 Blackout, dont les projectiles font 7,62 mm de diamètre

« Quand on parle d’arrêter une menace terroriste, le problème qu’on pouvait aussi avoir avec les cartouches de 5,56 mm, c’est que le suspect peut rester debout pendant 5, 10, 15 ou même 20 secondes après avoir été touché, [selon l’endroit] où la personne a été atteinte, ou si la balle a dévié sur un os. Avec la masse de la .300 Blackout, le suspect va arrêter plus rapidement », soutient-il. 

L’acquisition de ce type d’arme est aussi liée à un certain effet de mode, affirme Francis Langlois, spécialiste du marché des armes à feu associé à la Chaire Raoul-Dandurand, de l’UQAM. 

Les policiers font de plus en plus face à des civils qui sont équipés d’armes de type militaire et qui possèdent des gilets pare-balles ou des armures. C’est difficile pour eux de faire face à ce genre de menace avec leurs pistolets de service de calibre 9 mm ou un fusil de calibre 12.

Francis Langlois

« Il y a une tendance lourde vers une militarisation de la police, note le chercheur. Par exemple, à Trois-Rivières, certains policiers sont rendus avec des AR-15 dans leurs coffres d’autopatrouille. On peut se demander pourquoi. S’il y a des fous furieux qui entrent dans une école avec ce genre de quincaillerie, ils veulent pouvoir les contrer, c’est évident. Mais il y a aussi un effet de mode : si les autres corps policiers en ont, on en veut aussi. C’est souvent comme ça que ça marche dans l’industrie des armes à feu », dit M. Langlois. 

En raison de son poids plus élevé, le projectile de .300 Blackout « va être extrêmement puissant à courte distance, ce qui correspond au contexte urbain dans lequel le SPVM doit généralement intervenir », dit pour sa part Gabriel Pasquier, tireur sportif propriétaire de plusieurs carabines de type AR-15. « On peut voir sur l’internet des comparaisons qui montrent que la .300 Blackout fait éclater un bloc de béton, alors que la 5,56 le transperce. C’est un projectile plus dévastateur » résume-t-il. 

Autres avantages : la cartouche de .300 Blackout est conçue pour des armes munies de canons plus courts, ce qui offre un avantage tactique dans les zones confinées où il y a beaucoup de cadres de portes et d’obstacles à franchir, typiques des zones urbaines. 

Silencieux

Le projectile, plus lourd, voyage aussi à une vitesse inférieure à la vitesse du son, ce qui le rend considérablement plus silencieux que ceux de calibre 5,56 mm. « C’est un projectile qui a été conçu à la base pour être utilisé avec un silencieux », explique Steve Buddo, un tireur sportif qui connaît bien les armes d’assaut. « Dans un contexte d’intervention dans des espaces clos, ça peut être moins saisissant, ce qui peut être un avantage tactique. »

L’appel d’offres du SPVM précise d’ailleurs que les carabines devront être équipées de « silencieux » réduisant de 20 décibels « le niveau sonore à l’oreille gauche d’un tireur droitier ». « Les armes seront équipées de silencieux pour des raisons de santé et de sécurité au travail », explique le SPVM dans un courriel transmis à La Presse

L’utilisation en situation d’intervention est très faible, mais les policiers membres du Groupe tactique d’intervention (GTI) doivent, dans le cadre de leur entraînement, tirer un grand nombre de cartouches, ce qui fait augmenter les risques de perte auditive. L’utilisation de silencieux vise à réduire ce risque.

Extrait d'un courriel du SPVM

Selon M. Buddo, maintes autres caractéristiques exigées dans l’appel d’offres, notamment le fait que la crosse doit être pliable, laissent croire que le SPVM cherche en fait à acquérir des armes de marque suisse-allemande Sig Sauer, modèle MCX Rattler SBR, qui se détaillent entre 2000 et 3000 $ l’unité. C’est le même modèle que celui acheté par Longueuil, selon un appel d’offres datant de 2017 que nous avons pu consulter. 

Une foule d’accessoires s’ajoutent au bon de commande du SPVM – mires holographiques à point rouge, télescopes à grossissement variable, cache-flamme pour silencieux, valises rigides et souples pour le transport – qui feront grimper la facture de plusieurs milliers de dollars. 

Les cartouches de .300 Blackout sont aussi plus chères que celles de 5,56 mm, considérablement plus répandues en Amérique du Nord. Un appel d’offres du FBI qui a été rendu public aux États-Unis indique que chaque balle de .300 Blackout répondant aux caractéristiques du corps policier coûte environ 2,50 $US, alors qu’une cartouche de 5,56 mm peut coûter autour de 0,30 $. 

L’année dernière, la Ville de Longueuil a payé 94 394,48 $ pour acheter des munitions d’entraînement de .300 Blackout pendant deux ans pour ses policiers, selon un document des décisions du comité exécutif de la Ville consulté par La Presse

Un appel d’offres plutôt précis

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Un Sig Sauer MCX Rattler SBR, dépouillé de son silencieux et de son système de visée

La description technique précisée dans le devis du SPVM laisse croire que le corps de police a jeté son dévolu sur le Sig Sauer MCX. Voici quelques-unes de ses exigences : 

« Deux options de couleur possible devront être offertes, soit gris, mat et non réfléchissant ou de couleur sable communément appelé “flat dark earth”. »

« L’intérieur du canon devra avoir un revêtement de chrome. »

« La carabine ne devra pas avoir de pièces qui peuvent être facilement inversées ou mal installées par l’utilisateur durant l’assemblage de façon à ce que l’arme ne soit plus fonctionnelle. »

« La crosse devra pouvoir se plier sur le côté gauche. »

« Le châssis de l’arme devra avoir un rail intégré […] pour y attacher des organes de visée. »

« Silencieux fait de titane » pour réduire le niveau sonore à l’oreille gauche « d’au moins 20 dB ».

Pas d’arme d’assaut pour les patrouilleurs

L’appel d’offres du SPVM vise aussi l’achat de six « carabines de patrouille semi-automatiques » de type AR-15, dont le contexte d’utilisation n’est pas précisé. La police de Laval et celle de Châteauguay ont muni certains de leurs policiers patrouilleurs d’armes d’assaut semblables, a révélé Radio-Canada l’année dernière. Le SPVM assure cependant qu’il n’a pas l’intention de munir ses patrouilleurs réguliers de telles armes. « Nous avons des équipes spécialisées qui viennent en renfort en cas de besoin. Il n’est pas dans nos intentions de généraliser l’utilisation de ces armes aux patrouilleurs des postes de quartier », affirme le corps policier. Les patrouilleurs sont équipés depuis 2014 de pistolets Glock 19 de calibre 9 mm, extrêmement répandus au sein des corps policiers partout dans le monde.