Un rapport d’experts en génie civil pour le compte du ministère des Transports doute du bien-fondé du prolongement de la ligne pleine qui interdit de changer de voie sur les autoroutes, comme l’a proposé le ministre François Bonnardel au lendemain de l’accident mortel qui a coûté la vie à quatre personnes sur l’autoroute 440, à Laval. Cette mesure annoncée par le gouvernement Legault vise à sécuriser le tronçon à court terme.

Selon les conclusions de l’étude pilotée par des chercheurs de Polytechnique Montréal et de l’Université McGill, que La Presse a obtenue, le prolongement d’une ligne a « l’inconvénient de restreindre la navigation, ce qui peut entraîner une certaine frustration ou distraction du conducteur ». Son application systématique est même « fortement découragée », en viennent à conclure les ingénieurs Luis Miranda-Moreno, Paul St-Aubin et Nicolas Saunier.

« On ne voit pas forcément les gains, et nous avons constaté qu’il y a de la gêne pour les conducteurs avec la ligne », explique en entrevue avec La Presse Nicolas Saunier, ingénieur et professeur en génie civil à Polytechnique.

Analyse de bandes vidéo

Les conclusions de l’étude ont été présentées à la direction du ministère des Transports du Québec (MTQ) en 2011, dans un document d’une centaine de pages, afin de se pencher sur l’efficacité des lignes pleines qui se multipliaient sur le territoire au début des années 2000. Des lignes de marquage qui sont apparues à l’entrée et à la sortie des autoroutes, sans explications. C’était à la demande du MTQ, ont précisé les chercheurs.

Afin de parvenir à tirer des conclusions et d’énoncer des recommandations au MTQ, les chercheurs ont notamment analysé des journées complètes de circulation sur bande vidéo, avec et sans ligne pleine prolongée sur différentes autoroutes. Mais étant donné les limitations importantes des caméras du MTQ et le manque de données existantes, ont expliqué les chercheurs, ils ont construit un outil de collecte de données.

Ils en ont tiré six grandes conclusions, dont une sur la gravité des accidents.

La présence de la ligne n’a pas de répercussions tangibles sur la gravité des accidents. Que les sites soient avec ou sans ligne, les configurations d’accidents sont similaires en gravité sur tous les sites.

Extrait du rapport d’experts en génie civil

« Rôle marginal » pour la sécurité

Au fil de ses travaux, l’expert Nicolas Saunier a noté qu’il y avait une croyance chez les corps policiers voulant que la ligne prolongée allait mieux « encadrer » ou « contrôler » les usagers de la route grâce à des contraintes supplémentaires. Mais, estime-t-il, en l’absence de gains clairs, il n’y a pas forcément de raisons de recommander son utilisation.

Ce marquage peut avoir un effet négatif sur le débit et sur la sécurité dans certaines situations. L’application sans distinction […] est fortement découragée.

Extrait du rapport d’experts en génie civil

Selon l’ingénieur de Polytechnique, d’autres études seraient nécessaires pour définir la configuration d’une ligne qui permettrait clairement de réduire la probabilité de collision et les interactions dangereuses entre les véhicules. Pour l’instant, son équipe n’a pu que conclure que le marquage supplémentaire ne joue qu’un « rôle marginal » en matière de sécurité.

« En l’absence des conclusions de l’enquête sur les causes de l’accident [sur l’autoroute 440], j’ai peur qu’on soit dans les solutions d’annonces politiques, s’inquiète M. Saunier. Il n’y a pas de preuves de l’effet positif de ce type de marquage. Ça donne l’impression qu’un accident s’est produit et qu’il faut annoncer une mesure. Moi, je dis : OK, faisons-le à la limite, ajoutons le marquage, mais effectuons un suivi, une étude sur l’impact du marquage. »

D’après l’analyse du modèle statistique, les répercussions du marquage sur la fréquence de collision est positive pour les bretelles d’entrée et négative pour les bretelles de sortie. Cependant, dans la plupart des cas, les répercussions ne sont pas statistiquement significatives. En d’autres mots, cela suggère que dans l’ensemble, ce marquage joue un rôle marginal en matière de sécurité.

Extrait du rapport d’experts en génie civil

Au ministère des Transports, on n’a pas indiqué si le rapport des experts ingénieurs avait été soumis au ministre avant l’annonce d’un nouveau marquage au sol sur la voie de desserte menant à l’autoroute 440 Ouest. En 2011, il avait été présenté à la direction du soutien aux opérations du MTQ.

Trois blessés hors de danger

Les trois personnes dont on craignait pour la vie après l’accident de lundi sur l’autoroute 440 Ouest sont maintenant hors de danger, a annoncé la Sûreté du Québec (SQ) hier matin. L’accident a fait quatre morts et une quinzaine de blessés. Selon les premiers éléments, un véhicule lourd aurait embouti un véhicule de promenade, provoquant les collisions subséquentes. Plusieurs hypothèses sont analysées par les enquêteurs, notamment une distraction du camionneur, peut-être due à l’utilisation d’un cellulaire.