Dans son jean bleu et sa chemise blanche, un homme attend sous le soleil d’Hochelaga. Derrière ses lunettes, on peut lire l’inquiétude dans ses yeux clairs. À deux jours du 1er juillet, Jean-Marc Aubry, retraité de 70 ans, n’a toujours pas trouvé de logement. Il se retrouve au pied du mur.

« Vous allez casser la caméra si vous me prenez en photo », plaisante le vieil homme. Mais le cœur n’y est plus. Le sourire a quitté son visage. « Je suis anxieux. Ça me trotte dans la tête 24 heures sur 24. Je n’en dors pas la nuit. J’avais l’habitude de conter des histoires, des jokes, mais là ça ne m’intéresse même pas, je me renferme sur moi-même. »

Il ne nous invitera pas chez lui. Il vit chez un ami. « C’est lui qui m’a rescapé », lance-t-il. Pour ne pas déranger, il s’installe sur un banc dans un parc pour raconter sa quête de logement. Après deux mois de recherches et avec un budget de 600 $ pour un deux et demie, M. Aubry n’a toujours pas de logis.

Chaque jour, il arpente les rues à la recherche d’une pancarte « À louer », en vain. « Je n’en vois pas une. Y a rien. » Il n’a guère plus de succès avec les annonces des journaux. 

La minute que ça paraît, ça part. Faut être vraiment chanceux pour se trouver quelque chose à Montréal.

Jean-Marc Aubry

N’ayant pas l’internet, il lui est d’autant plus difficile de dénicher des offres.

Parfois, ses recherches prennent une tournure absurde. « Pas loin d’ici, il y a tout le temps une annonce pour un bloc appartements. J’y suis allé à la mi-mai. On m’a dit que les visites ne sont pas avant le 15 juin. J’y suis retourné le 15 juin, “ah non, c’est complet, Monsieur, les visites, c’est pas avant le mois d’août”. »

Le bec à l’eau

C’est la première fois que M. Aubry se retrouve dans une telle situation. « Jamais je n’ai vu ça de ma vie, assure-t-il. En Ontario, je n’avais pas de problème. J’y ai passé les 20 dernières années, il y en avait, des appartements. »

En 2012, il a quitté l’Ontario pour vivre avec sa mère à Montréal à la suite de la mort brutale de sa femme, emportée par un cancer. Avec les années, l’état de santé de sa mère s’est détérioré. Lui qui enchaînait les petits boulots pour compléter sa pension de retraite a finalement dû s’arrêter pour s’occuper d’elle à temps plein. Avec sa sœur, ils ont décidé de la placer dans une maison privée.

Il s’est alors cherché un nouveau chez-lui et a trouvé une chambre chez un ami. « Il me louait une grande chambre dans son appartement, j’aurais pu amener mon stock : ma TV, mon ordinateur, mon linge, mes outils. C’est tout ce que j’ai. Je n’ai pas de meubles. Mon lit, c’est tout. »

Le déménagement était prévu pour le 1er mai. Mais à deux jours du départ, son ami lui a annoncé que tout était annulé. Le propriétaire devait effectuer des réparations majeures. L’appartement devait être libéré. Le retraité s’est retrouvé le bec à l’eau.

« N’importe quoi, n’importe où »

Jean-Marc Aubry est un « rescapé temporaire », selon ses propres mots. Un de ses amis n’a pas hésité à l’accueillir dans son petit deux et demie, faute de mieux. Il lui propose même de rester jusqu’à la fin août. Mais pour M. Aubry, la situation est difficile à vivre. Son ami est un homme solitaire, alors il se sent « de trop ». « Moi, je veux partir tout de suite parce que je ne suis pas confortable, dit-il. Ça me chicote tout le temps dans ma tête d’être là et d’empiéter sur sa solitude. »

Face à l’urgence de la situation, M. Aubry s’est tourné vers des organismes comme le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). Il se dit prêt à quitter les quartiers Hochelaga et La Petite-Patrie auxquels il est attaché. « Si je ne trouve rien, je n’ai aucune idée de ce que je vais faire. C’est rendu au point où je vais prendre n’importe quoi, n’importe où. »

Ironie du sort, M. Aubry a passé sa vie à construire des logements. Il lance un appel au conseil municipal. « Ça presse ! Bâtissez ! Le monde en a besoin. Puis bâtissez des bâtisses abordables, pas à des prix de condo, s’il vous plaît. »