Alors que Québecor s’était engagée à verser 1 million de dollars à la Société des célébrations du 375e de Montréal à titre de commanditaire, son chef de la direction, Pierre Karl Péladeau, a subitement fermé les robinets en 2018. Déplorant que Québecor ait tiré « moins de bénéfices » que d’autres commanditaires, M. Péladeau refuse de faire un paiement final de 333 333 $ promis à l’organisme. 

« Nous n’entendons pas donner suite à votre demande de paiement », annonce M. Péladeau dans une lettre adressée en juin 2018 au directeur général de la Société des célébrations du 375e anniversaire de Montréal, Alain Gignac (qui est le président du conseil d’administration de La Presse). La lettre est aussi adressée à la présidente du conseil d’administration de la Société, France Chrétien Desmarais, ainsi qu’à la mairesse de Montréal, Valérie Plante, et au ministre des Affaires municipales de l’époque, Martin Coiteux. 

M. Péladeau justifie sa décision de ne pas payer la somme réclamée à Québecor en invoquant un « conflit d’intérêts » de l’homme d’affaires Andrew Molson, l’un des administrateurs de la Société des célébrations du 375e

La missive, obtenue par La Presse à la suite d’une demande d’accès à l’information adressée au ministère des Affaires municipales, ne fait pas état du montant en souffrance. Une source qui a requis la confidentialité parce qu’elle n’est pas autorisée à en parler publiquement confirme cependant qu’il s’agit d’un montant de 333 333 $, qui devait être payé en vertu d’une entente prévoyant trois versements. 

Dans un courriel envoyé à La Presse, Mme Chrétien Desmarais affirme que Québecor est « la seule compagnie » parmi ses partenaires qui n’a à ce jour pas réglé son compte avec les organisateurs du 375e.

Nous espérons toujours être payés.

France Chrétien Desmarais, présidente du conseil d’administration de la Société des célébrations du 375e de Montréal

Mise sur pied sous l’ère du maire Gérald Tremblay, la Société des célébrations du 375e avait conclu en 2015 un partenariat avec 12 grandes entreprises et institutions, dont Québecor, Bell, le Mouvement Desjardins, la Caisse de dépôt et placement du Québec, Bombardier, Saputo et Power Corporation (à l’époque propriétaire de La Presse). Chacune s’était engagée à verser un million de dollars pour soutenir les festivités du 375e ; en contrepartie, elles recevaient le titre honorifique de « Grandes Montréalaises » dans le cadre d’un programme de visibilité. 

Au moment de l’annonce du partenariat, en décembre 2015, Pierre Karl Péladeau était chef du Parti québécois. Québecor était alors sous le contrôle d’une fiducie sans droit de regard. 

Dans sa lettre écrite en juin 2018, alors qu’il était de retour depuis plus d’un an à la barre de l’entreprise, M. Péladeau justifie son refus de paiement en évoquant des « failles évidentes dans la structure organisationnelle qui coordonnait les activités » du 375e

« La société du 375e a octroyé de nombreux mandats — souvent sans appel d’offres — à des firmes associées ou contrôlées par ses administrateurs, une pratique qui soulèverait des questions de gouvernance importantes dans une entreprise privée et qui est totalement inacceptable pour une société financée à coups de dizaines de millions par de l’argent public », écrit-il. 

Andrew Molson ciblé

M. Péladeau s’en prend plus particulièrement à Andrew Molson, copropriétaire de la brasserie du même nom et lui aussi membre du conseil d’administration de la Société des célébrations du 375e. « La Société du 375e a mandaté la firme NATIONAL pour gérer ses relations publiques, souligne M. Péladeau. Or, l’un des membres du conseil d’administration de la Société, Andrew Molson, est aussi président du conseil d’administration de NATIONAL », déplore-t-il. 

Joint par La Presse, M. Molson s’est défendu d’avoir violé quelque règle de gouvernance que ce soit.

Je suis devenu un bénévole de cette Société au tout début de sa création, en sachant qu’il pouvait y avoir des conflits d’intérêts éventuellement. Ça arrive. Mais j’ai déclaré mes conflits d’intérêts.

Andrew Molson, membre du conseil d’administration de la Société des célébrations du 375e 

Dans le cas du mandat accordé à National, il souligne que le contrat avait été accordé au terme d'un appel d'offres qui avait été chapeauté par un comité spécial. « Moi, je n'ai pas fait partie de la décision », affirme M. Molson.

Pierre Karl Péladeau ajoute dans sa lettre qu’Andrew Molson est administrateur de l’Aréna des Canadiens, « qui a reçu des contrats de près de 2 millions pour organiser l’Électro Parade, la Classique montréalaise et des journées thématiques des festivals Osheaga et îleSoniq dans le cadre du 375e ». 

« Je suis aussi président du conseil du musée Pointe-à-Callières, on peut trouver des bébittes là aussi, réplique M. Molson. Je suis bénévole à plusieurs places. Je fais beaucoup, je donne beaucoup, je veux juste servir, et je vais continuer à le faire. » 

« Moins de bénéfices » pour Québecor

Dans sa lettre, Pierre Karl Péladeau soutient par ailleurs que Québecor a tiré « moins de bénéfices » du partenariat avec la Société des célébrations du 375e « que d’autres commanditaires de sa catégorie », et même que « certaines entreprises qui n’étaient même pas partenaires », ce qui constitue un « défaut aux conditions essentielles de l’entente ». 

Il ajoute que les équipes de Québecor Média ont offert à la société des services de créativité média et de publicité « d’une valeur nette dépassant les 4,5 millions pour un investissement média net d’environ 1 million déployé par la Société ». 

Avec [ces] façons de faire dignes d’une époque révolue et avec le traitement réservé à certains partenaires dont Québecor, […] je trouve particulièrement déplorable que vous réclamiez aujourd’hui des sommes pour lesquelles vous n’aurez aucune utilité alors que vous n’avez pas respecté les termes de notre entente.

Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction de Québecor 

Québecor a refusé de nous accorder une entrevue, mais a affirmé ce qui suit dans une déclaration transmise par courriel : « Québecor s’étonne que cette information, qui n’est pas du domaine public, sorte dans La Presse alors qu’Alain Gignac, qui occupait les fonctions de directeur général de la Société du 375e de Montréal, est aujourd’hui le président du conseil d’administration de La Presse. D’autant plus, il s’agit d’un dossier clos depuis près d’un an. Par ailleurs, Québecor estime avoir payé sa juste part dans l’organisation des fêtes du 375e de Montréal et considère de sa responsabilité de ne pas contribuer à des dépenses qu’elle estime inappropriées, engagées auprès de fournisseurs en conflit d’intérêts avec la Société du 375e anniversaire de Montréal et ses administrateurs, tenue sous l’administration du maire Coderre. » 

M. Gignac a refusé de discuter avec La Presse de la lettre signée par M. Péladeau, invoquant le devoir de confidentialité auquel il est tenu tant que la Société du 375e ne sera pas dissoute.

« Règles rigoureuses »

Dans un courriel transmis à La Presse, le ministère des Affaires municipales affirme s’être assuré lors de la création de la Société des célébrations du 375e que celle-ci se dote des « règles de gouvernance rigoureuses » pour assurer une saine gestion des fonds qui lui ont été confiés, notamment la création d’un « comité de finances et d’audit » et d’une « politique de gestion des conflits d’intérêts potentiels ». 

En mai 2018, la Société des célébrations du 375e a annoncé avoir réalisé un surplus de 16,4 millions, qu’elle s’était engagée à remettre à la Ville de Montréal et au gouvernement du Québec. Le ministère des Affaires municipales n’a pas été en mesure de dire si le refus de paiement de Québecor aurait un impact sur le montant attendu. Les livres comptables de l’organisme n’ont pas encore été finalisés. 

— Avec la collaboration de Pierre-André Normandin et William Leclerc, La Presse