Quand il est question de revitaliser une artère commerciale, comme la rue Saint-Denis, l’avenue Duluth ou le boulevard Saint-Laurent, on pense que ça prend un plan directeur et une stratégie structurante. Mais, des fois, ce qui suffit, c’est une bonne idée et le hasard d’une belle rencontre. 

Prenez la portion du boulevard Saint-Laurent, entre les rues Sherbrooke et Prince-Arthur. Ce haut lieu de la restauration branchée n’est plus qu’une succession de locaux inoccupés : 12, en tout. 

Qui aurait cru que Oatbox, un fabricant de granola, allait redonner un élan à ce bout de rue ? C’est pourtant ce qui se produit grâce à la rencontre improbable de ses fondateurs avec Lorne Lieberman.

Un bâtiment très spécial

Oatbox est une petite entreprise techno fondée en 2014 qui vend des déjeuners – granola, gruau, barres de céréale, thés, cafés –, sous forme d’abonnement mensuel. Et Lorne Lieberman est un gros acteur immobilier, propriétaire de plusieurs immeubles à Montréal, dont le 3451, boulevard Saint-Laurent, qui a hébergé pendant 20 ans le restaurant Globe, fermé en 2014. 

« Ce bâtiment [3451, boulevard Saint-Laurent] est très spécial pour notre famille, dit Lorne Lieberman. C’est là que mon grand-père et ses enfants ont ouvert leur première usine de vêtements après avoir survécu à l’Holocauste. C’est aussi le premier bâtiment commercial que mon grand-père a acheté après son arrivée au Canada, dans les années 50. » 

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Start-up prometteuse

M. Lieberman ne voulait pas d’un autre restaurant dans son local du boulevard Saint-Laurent. Mais il a fait une offre à Oatbox, classée parmi les 10 entreprises en démarrage montréalaises les plus prometteuses dans La Presse, en 2016. Au début de la trentaine, ses quatre cofondateurs, Marc-Antoine Bovet, Pierre-Luc Laparé, Jean-François Kabbani et Julie Zyromski, ont fait connaissance à HEC Montréal. 

Marc-Antoine Bovet et Pierre-Luc Laparé possèdent une autre entreprise, Golf Avenue, qu’ils ont fondée quand ils étaient encore aux études. De son côté, Julie Zyromski a suivi des cours à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec après avoir décroché son diplôme en marketing, avant de faire une maîtrise à l’Université des sciences gastronomiques à Pollenzo, en Italie.

« Mes parents m’ont toujours dit : “Fais ce dont tu as envie, ce qui te rend heureuse.” La bouffe, ça me rend heureuse ! », résume-t-elle.

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Contenu de la boîte

Marc-Antoine et Pierre-Luc ont eu l’idée de créer Oatbox parce qu’à l’époque ils avaient tendance à négliger le déjeuner. Ils possédaient l’expertise du commerce en ligne, avaient trouvé le nom et dessiné le logo. Mais encore fallait-il mettre quelque chose dans les boîtes !

Et c’est là que Julie Zyromski est entrée en jeu. Jean-François Kabbani s’est joint à l’équipe comme directeur des technologies de l’information.

« Maintenant, je fais des dîners et j’ai une compagnie de déjeuners », lance Julie, qui ne savait pas quoi faire de sa peau à son retour d’Italie.

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Comptoir Oatbox ?

Au départ, la jeune entreprise s’est installée dans les locaux de Golf Avenue, à Saint-Laurent. Mais elle s’est rapidement trouvée à l’étroit en raison de son succès. Il fallait dénicher un endroit où fabriquer les produits, faire les envois postaux et loger les 16 employés. « On squattait les bureaux de nos amis. On a passé un an et demi avec l’autre entreprise. Ça devenait trop intense », explique Julie.

Il y a deux ans, Oatbox a déménagé dans un local du quartier Saint-Michel, qui appartient à Lorne Lieberman (Lieberman Realty). C’est là que l’entreprise fabrique ses produits et les expédie aux clients. Les proprios ont ensuite eu l’idée d’ouvrir un comptoir Oatbox qui a pignon sur rue. Et M. Lieberman leur a fait une offre impossible à refuser.

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Marc-Antoine Bovet, cofondateur d'Oatbox

Esprit d’entreprise

« Je ne sais pas pourquoi, M. Lieberman nous aimait vraiment beaucoup. Il nous a dit qu’il avait un local, qui avait besoin de beaucoup de rénovations, mais qu’il était prêt à mettre de l’argent dedans, à nous aider à le transformer pour notre entreprise. Il est super fin. Je n’en revenais pas », raconte la cofondatrice.

Ce local, c’est bien sûr celui qui a longtemps hébergé le Globe, boulevard Saint-Laurent. 

Pourquoi Oatbox ? « C’est une entreprise formidable, construite sur la passion, qui a un potentiel de croissance considérable, répond M. Lieberman. En tant que famille, nous voulions les aider parce que nous aimions leur esprit d’entreprise et leur volonté de conquérir une catégorie de commerce unique. »

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Une porte de garage

En plus de payer la facture des rénovations, Lieberman Realty a engagé une compagnie pour faire les plans, les études de faisabilité et le budget : Issa Design. Il fallait aménager une cuisine, des bureaux, couler des dalles de béton, construire des cloisons, refaire un plancher et des salles de bains… À l’époque du Globe, les camions passaient par l’arrière du bâtiment, rue Saint-Dominique, pour livrer la marchandise. Aujourd’hui, ce sont les bureaux d’Oatbox sur deux étages, ouverts sur la rue grâce à une énorme porte de garage vitrée. 

Cuisine et studio

« Tout était à refaire. Ici, c’était le garage, où il y avait les poubelles. C’était ouvert sur la cage d’escalier. On a refait la dalle de béton au rez-de-chaussée et dans le sous-sol [c’était ben épeurant !]. Il n’y avait pas de ventilation, pas de chauffage, pas de gicleurs, pas de fenêtres », énumère Julie.

Aujourd’hui, le local, immense et baigné de lumière naturelle, est divisé en deux sections : la partie avant est celle qui devait accueillir le comptoir Oatbox, et la partie arrière est réservée aux bureaux et à la cuisine qui sert de laboratoire pour tester les nouveaux produits et de studio pour faire des photos. Des sofas et une grande table de bois permettent aux employés de se réunir. Le vendredi midi, Julie cuisine pour tout le monde. 

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Pourquoi ? « Parce que je suis fine ! répond-elle. Ça fait partie des avantages. »

En cours de route, le projet de comptoir est tombé à l’eau parce que la personne qui devait s’en occuper s’est désistée deux mois avant le début des travaux. 

« Finalement, on a annulé ce projet, glisse Julie. On avait trop de projets en même temps. Le propriétaire [M. Lieberman] a été vraiment cool. Il nous a dit : “Je vous donne un an sans vous réclamer de loyer pour la partie avant.” Il est très gentil. Vraiment très généreux. »

En attendant d’occuper le local en entier, Oatbox a trouvé un locataire : une jeune entreprise montréalaise de produits de beauté. « Nous, on est en ligne et on est heureux comme ça. Pour l’instant. Et on est bien ici. »