Il s'est frotté aux Hells Angels, il a répondu présent lors de la tragédie de Lac-Mégantic, il a eu à jongler avec les demandes parfois contradictoires d'une panoplie d'élus municipaux en région, et il a géré la réponse montréalaise au tsunami de plaintes déclenché par le mouvement #moiaussi : Sylvain Caron, choisi pour devenir le nouveau chef de police de Montréal, n'est pas homme à craindre les gros défis, confirment ceux qui l'ont côtoyé.

L'administration de Valérie Plante a confirmé mercredi que le policier de 57 ans était son choix pour le poste de directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Elle suit ainsi la recommandation de l'administrateur Martin Prud'homme, qui a recommandé, en quittant son poste, la nomination d'un de ses deux adjoints, issus de l'extérieur du SPVM, comme chef.

Dès qu'il a eu vent de la nouvelle, l'ex-maire de Sorel-Tracy Marcel Robert s'est rappelé les bonnes années qu'il a passées avec M. Caron, qui était son chef de police local au début des années 2000.

« Il n'était pas vieux à l'époque, la jeune quarantaine, et c'était déjà un rassembleur, qui savait bien s'entourer. Fort compétent, mais fort agréable aussi, ce qui n'est pas inutile pour ce genre de poste. Il avait un profond respect des élus, du processus décisionnel. Chacun faisait sa job », s'est exclamé l'ancien maire lorsque joint par La Presse en soirée. 

« S'il est à l'image de ce qu'il était à Sorel, vous avez un fichu de bon chef dans les mains ! » - Marcel Robert, ex-maire de Sorel-Tracy

Sylvain Caron avait gravi les échelons pour diriger la cinquantaine de policiers municipaux de Sorel-Tracy pendant la guerre des motards. Les Hells Angels avaient un bunker dans la municipalité qui causait bien des soucis.

« Notre gros dossier, c'était l'omniprésence des motards, une plaie. Ça donnait une image négative et les rapports de force étaient omniprésents. Il y avait un autre club-école qui voulait bâtir une deuxième forteresse chez nous, et avec nos policiers et nos services juridiques, nous avions réussi à les empêcher », se souvient M. Robert.

Après la fusion de son corps de police municipal avec la Sûreté du Québec, M. Caron a continué à progresser au sein de sa nouvelle organisation. Il est devenu commandant pour toute la région de l'Estrie, et a dû aider le quartier général à déployer les mesures d'urgence lors de la tragédie de Lac-Mégantic, en 2013.

L'ART DE MOBILISER

Comme commandant en Estrie, il était devenu habile pour jongler avec les demandes des différents maires, préfets de MRC et comités de sécurité publique, se souvient son ancien patron, Marcel Savard.

« Il faisait une très bonne job sur cet aspect-là, s'assurer que les élus soient satisfaits, qu'ils reçoivent les services qu'ils demandent dans leur ville et qu'ils comprennent les décisions que nous étions parfois obligés de prendre. Même quand il avait des dossiers plus difficiles à faire passer, il réussissait tout le temps. N'importe qui est capable d'annoncer de bonnes nouvelles. Tout le monde te trouve fin. Mais quand les nouvelles sont moins bonnes, c'est un art de sortir d'une réunion avec les gens mobilisés. Sylvain a cette capacité-là », affirme M. Savard.

Cette capacité à annoncer aussi les mauvaises nouvelles a servi à M. Caron lorsqu'il est passé au quartier général de la Sûreté comme directeur général adjoint, en période de restriction budgétaire. Il ne s'est pas fait que des amis en comprimant les dépenses.

« J'entre en fonction dans un contexte de décroissance budgétaire important. Nous allons composer avec le fait de devoir continuer à offrir le meilleur service possible dans le contexte des compressions actuelles. Comme dans toutes les organisations, nous devrons faire preuve de créativité et revoir nos façons de faire », avait-il déclaré à La Voix de l'Est.

Dans la même entrevue, il disait ne pas avoir planifié sa carrière pour finir au sommet. « Atteindre la direction de la SQ n'a jamais été une finalité », assurait-il. Au quartier général, il a été responsable successivement de la surveillance du territoire, des enquêtes et de l'administration.

En mars dernier, il a pris sa retraite de la SQ pour suivre son chef Martin Prud'homme, qui venait d'être nommé administrateur provisoire du SPVM. Il est devenu l'un de ses adjoints et a rapidement ordonné des changements majeurs.

DES RENFORTS APRÈS #MOIAUSSI

Il a renfloué les rangs du Groupe tactique d'intervention (le SWAT) et il a éliminé la « supervision directe des enquêtes », une série de barèmes de temps et de critères de performance impopulaires que certains enquêteurs accusaient de dénaturer leur travail.

« On était rendu avec une approche mathématique à un problème humain. On calculait le temps que ça prenait pour tout, et on était rendus avec des fermeurs de dossiers professionnels qui visaient les statistiques. Sylvain a mis la hache là-dedans. Il est capable de passer à côté des chiffres et des règles écrites et de voir le côté humain du travail d'enquête », affirme un collègue qui l'a côtoyé au SPVM, mais qui n'est pas autorisé à parler publiquement.

La vague de dénonciations en matière sexuelle qui a suivi le grand mouvement #moiaussi avait créé d'immenses arrérages de dossiers ouverts et non résolus du côté des enquêtes pour agression sexuelle au SPVM. M. Caron a rapatrié des enquêteurs d'ailleurs pour s'attaquer à cette montagne de dossiers, même s'il devait pour cela s'attirer la grogne d'autres unités d'enquête qui perdaient des effectifs.

« Il a passé beaucoup de temps à la SQ, mais il n'est pas trop SQ dans la tête, il vient quand même d'un corps de police municipal à la base. » - Un vétéran du SPVM qui a demandé à ne pas être identifié

Son ancien patron à la SQ, Marcel Savard, croit qu'il devra faire attention à deux écueils qui se dressent sur sa route.

« Martin Prud'homme lui a demandé publiquement d'assurer la stabilité et la continuité. Mais il ne peut pas faire UNIQUEMENT cela pendant cinq ans. Il faut une orientation et une vision pour amener la police de Montréal à se moderniser, évoluer vers la police de 2030. La stabilité, ce n'est pas assez », dit-il.

Il ajoute que M. Caron devra aussi prendre soin d'affirmer sa propre personnalité et de montrer qu'il ne fait pas que suivre les recommandations de Martin Prud'homme, afin de bien asseoir son leadership. « Mais avec la personnalité qu'il a, il est capable », dit-il.

ENCORE DES ÉTAPES À FRANCHIR

Aussitôt le rapport Prud'homme remis, un comité de sélection s'est réuni afin de rencontrer les deux candidats recommandés par Martin Prud'homme pour lui succéder. Le bras droit de la mairesse, Benoit Dorais, le président de l'Association des maires de banlieue, Beny Masella, le chef de l'opposition, Lionel Perez, le directeur général de Montréal, Serge Lamontagne, ainsi que la directrice des ressources humaines, Diane Bouchard, ont pris part aux délibérations.

Saluant la qualité des deux candidats, le comité a décidé de recommander la nomination de Sylvain Caron.

Plusieurs étapes restent à franchir avant que ce dernier soit officiellement chef du SPVM. La Commission de la sécurité publique de la Ville de Montréal doit entendre celui-ci lors d'une séance vendredi après-midi. Pour la première fois, le chef de police devra répondre aux questions des citoyens, l'administration Plante ayant décidé d'ouvrir la séance au public. «  Les citoyens montréalais intéressés à prendre part à la séance pourront poser leurs questions directement au candidat désigné  », indique la Ville.

Une fois l'audition de M. Caron terminée, la Commission de la sécurité publique devra ensuite décider si elle recommande sa nomination à la mairesse. Sa candidature devra ensuite être approuvée par le ministre de la Sécurité publique, qui aura le dernier mot. La nomination du chef de police de Montréal relève en effet de Québec en vertu de la loi.

« ON A MANQUÉ UNE OCCASION »

« C'est un excellent candidat. Il s'est démarqué par son expérience du terrain et le fait qu'il connaît le milieu municipal. On pense que c'est un très bon choix pour Montréal », a commenté Lionel Perez, qui a fait partie du comité de sélection.

L'opposition déplore toutefois la précipitation de l'administration à pourvoir le poste. M. Perez estime que Montréal aurait pu prendre davantage de temps pour permettre à d'autres candidats de se manifester. « Le processus était déficient. On a manqué une occasion. Ce n'était pas ouvert », a déploré le chef d'Ensemble Montréal.