Montréal intente une poursuite de 14 millions contre une partie des acteurs présumés du scandale des compteurs d'eau, a appris La Presse. La métropole entend ainsi récupérer l'argent versé au consortium Génieau à la suite de la résiliation de son contrat.

Les avocats de la Ville de Montréal viennent de déposer en Cour supérieure une requête de 95 pages dans le dossier des compteurs d'eau. La poursuite cible 14 personnes et entreprises, dont Frank Zampino, ex-président du comité exécutif sous Gérald Tremblay, et l'entrepreneur Tony Accurso. La métropole vise aussi l'entrepreneur Paolo Catania, dont l'entreprise de construction avait pris part à l'appel d'offres.

En intentant cette poursuite, Montréal dit vouloir récupérer les « dommages qui lui ont été causés par le stratagème de collusion mis en place dans le cadre de l'appel d'offres » des compteurs d'eau.

Contrat de 356 millions

Rappelons qu'un contrat de 356 millions avait été accordé à l'automne 2007 au consortium Génieau, formé par le constructeur Simard-Beaudry, qui appartenait à l'époque à Tony Accurso, et la firme de génie Dessau. Le mandat avait toutefois été résilié en décembre 2009 à la suite d'un rapport dévastateur du vérificateur général de Montréal.

Génieau avait demandé un dédommagement à la suite de la résiliation. Au terme d'un arbitrage, Montréal avait dû lui verser 10,2 millions et une pénalité de 3,1 millions, en janvier 2012. Lorsqu'on ajoute les frais de l'arbitrage, la facture s'élève ainsi à un peu plus de 14 millions.

Au moment de dédommager Génieau, la Ville de Montréal affirme qu'elle ignorait avoir été victime d'un stratagème.

Sa poursuite se base ainsi lourdement sur le contenu de la commission Charbonneau, ainsi que sur l'enquête Fronde, menée par l'Unité permanente anticorruption (UPAC).

« Rencontres interdites »

Dans sa requête, Montréal insiste sur le rôle qu'aurait joué Frank Zampino. Les avocats de la Ville soulignent que, malgré un interdit de communication pendant l'appel d'offres, l'ancien élu « a rencontré les dirigeants des deux consortiums pas moins de 82 fois ». Parmi ces « rencontres interdites », la Ville recense deux voyages à Las Vegas avec Tony Accurso, trois voyages sur son bateau Touch, ainsi qu'un voyage à la Barbade et un autre en Floride avec Paolo Catania.

Bien qu'elle n'ait pas reçu de dédommagement, Construction Frank Catania est aussi ciblée par la poursuite. Montréal lui reproche d'avoir remis une « soumission de complaisance dans l'unique but de maintenir l'artifice d'une concurrence alors que l'issue de l'appel d'offres était décidée d'avance ». En difficulté, les entreprises du Groupe Catania sont sous le contrôle du syndic Raymond Chabot.

Puisque la poursuite cible 14 personnes et entreprises, Montréal souligne dans sa requête avoir réglé à l'amiable avec plusieurs acteurs présumés du stratagème des compteurs d'eau. « Le présent recours ne vise donc que les parties qui n'ont toujours pas indemnisé la Ville de Montréal pour leur part de responsabilité solidaire dans le cadre du stratagème concernant le contrat des compteurs d'eau », écrivent les avocats.

Pluie de poursuites

Cette poursuite s'inscrit dans la foulée de la fin du programme de remboursement volontaire mis en place par le gouvernement. En juin, la mairesse Valérie Plante avait annoncé que son administration entendait poursuivre les personnes et entreprises qui ne s'en étaient pas prévalues. « Pour la Ville de Montréal, ça ne s'arrête pas là. On a bien l'intention d'intenter des poursuites contre ceux qui n'ont pas pris l'opportunité de participer au programme. L'argent qui a été pris aux Montréalais doit retourner aux Montréalais. »

En août, Montréal a ainsi intenté une poursuite de 42 millions pour tenter de récupérer les sommes qu'elle estime s'être fait détourner par l'empire Accurso. En juin, la Ville a aussi intenté un recours de 4,5 millions contre six personnes qu'elle considère comme des acteurs de la collusion.





Photo Olivier PontBriand, Archives La Presse

Tony Accurso, dirigeant de Simard-Beaudry à l'époque du contrat des compteurs d'eau

Photo François Roy, archives La Presse

Paolo Catania, dirigeant de Construction Frank Catania à l'époque du contrat des compteurs d'eau

Personnes et entreprises ciblées par la poursuite

FRANK ZAMPINO, président du comité exécutif de Montréal à l'époque du contrat des compteurs d'eau

SIMARD-BEAUDRY, entreprise de construction qui a participé au consortium Génieau ayant remporté l'appel d'offres

ANTONIO (TONY) ACCURSO, dirigeant de Simard-Beaudry à l'époque 

FRANK MINICUCCI, dirigeant de Simard-Beaudry à l'époque 

CONSTRUCTION FRANK CATANIA, entreprise de construction qui a participé au consortium ayant remis une soumission de complaisance, selon Montréal

GROUPE FRANK CATANIA, entreprise soeur de Construction Frank Catania

7593724 CANADA INC., entreprise soeur de Construction Frank Catania

DÉVELOPPEMENT LACHINE EST, entreprise soeur de Construction Frank Catania

PAOLO CATANIA, dirigeant de Construction Frank Catania à l'époque 

ANDRÉ FORTIN, dirigeant de Construction Frank Catania à l'époque

PASCAL PATRICE, dirigeant de Construction Frank Catania à l'époque

GROUPE SM, firme de génie qui a participé au consortium ayant remis une soumission de complaisance, selon Montréal

BERNARD POULIN, dirigeant de Groupe SM à l'époque 

GÉRARD LAGANIÈRE, président du Groupe SM à l'époque

Le scandale en quelques dates

Mars 2002 Montréal lance un vaste chantier sur 20 ans pour revoir la production de l'eau et reconstruire l'ensemble du réseau de distribution d'eau.

Février 2005 Montréal embauche la firme de génie BPR pour gérer le dossier des compteurs d'eau dans les entreprises, projet évalué de 40 à 60 millions.

Novembre 2007 Le projet a lourdement évolué, si bien que Montréal finit par accorder un contrat de 356 millions au consortium Géniau.

Décembre 2007 Le Devoir relève plusieurs conflits d'intérêts dans l'attribution du contrat.

Septembre 2009 Un rapport du vérificateur général de Montréal révèle de nombreuses irrégularités dans le processus d'adjudication du contrat.

Décembre 2009 Résiliation du contrat des compteurs d'eau.

Mars 2010 Génieau réclame 33,8 millions pour la résiliation de son contrat. 

Janvier 2012 Au terme d'un arbitrage, Montréal doit verser un dédommagement au consortium.