La grève illégale des grutiers et leur refus de faire des heures supplémentaires certains week-ends de mai et de juin ont jeté à l'eau des semaines d'efforts pour rattraper les retards sur l'échéancier de construction du nouveau pont Champlain. Dix-sept jours de travail ont été touchés, ce qui rend virtuellement impossible la livraison de l'ouvrage le 21 décembre prochain.

Selon une source proche de l'équipe de construction du nouveau pont Champlain, faute de grutiers, les administrateurs du chantier ont dû mettre temporairement à pied jusqu'à 40 % des 1100 monteurs d'acier, charpentiers, manoeuvres et les autres travailleurs de métiers pendant la deuxième semaine de la grève illégale des grutiers.

Précédemment, les grutiers ont refusé de faire des heures supplémentaires de week-end le 5 mai (à l'occasion d'une grande manifestation au centre-ville de Montréal), ainsi que les 2, 9 et 10 juin. S'ajoutent à cela 12 jours de débrayage illégal et 1 journée de redémarrage (le 26 juin), pendant laquelle les travaux sur l'ensemble du chantier ont dû être réorganisés.

« L'échéancier du 21 décembre apparaît de plus en plus comme un mirage inatteignable », affirme cette source, qui a requis l'anonymat parce qu'elle n'est pas autorisée à parler du dossier publiquement.

La Commission de la construction du Québec (CCQ) corrobore le calcul et confirme que le refus des grutiers de faire des heures supplémentaires les week-ends a eu un impact sur le chantier avant même le début du débrayage. 

« Selon nos vérifications, les activités sur le chantier du nouveau pont Champlain ont été perturbées par un refus d'effectuer des heures supplémentaires de la part des grutiers durant deux fins de semaine en juin, en plus d'une grève illégale, déclenchée à partir du 14 juin. »

- Mélanie Malenfant, porte-parole de la Commission de la construction du Québec 

« D'autres événements liés aux contestations des grutiers pourraient aussi avoir perturbé le travail sur ce chantier », a indiqué la porte-parole.

Depuis le début du mouvement de contestation des grutiers, le Consortium Signature sur le Saint-Laurent, maître d'oeuvre du chantier, a maintes fois refusé de commenter - et même de reconnaître publiquement - le fait que les grutiers étaient en grève, et a plutôt renvoyé les médias vers le gouvernement fédéral.

« C'est la première fois que j'entends ce chiffre de 17 jours », a affirmé Brook Simpson, attaché de presse du ministre des Infrastructures et des Collectivités, Amarjeet Soji. Je ne peux pas le confirmer, mais nous continuons à évaluer l'impact des événements des derniers jours. L'important, pour nous, c'est que les travailleurs soient maintenant de retour à l'ouvrage », a-t-il dit. 

172 millions supplémentaires 

En raison de retards de plus en plus évidents provoqués ces derniers mois par plusieurs imprévus sur le chantier, le gouvernement fédéral a consenti à investir 172 millions de dollars supplémentaires au début de 2018, lesquels s'ajoutent au budget initial de 4,2 milliards, expressément pour accélérer les travaux et assurer que l'échéancier du 21 décembre soit respecté. La somme devait notamment servir à ajouter des quarts de travail en heures supplémentaires de week-end et de nuit. Cette somme de 172 millions a été accordée après que le Consortium eut déposé une poursuite de 125 millions contre Ottawa, car il alléguait que des restrictions de transport de pièces lourdes sur le réseau de transport québécois lui imposaient des coûts imprévus.

Lors de récentes visites de La Presse sur le chantier en mai, les ingénieurs Frédéric Guitard et Daniel Genest ont indiqué que l'essentiel des retards des derniers mois avait été rattrapé grâce à ce mode de production accéléré.

Selon le contrat signé en 2015, de lourdes pénalités seront imposées au Consortium s'il livre l'ouvrage plus tard que le 21 décembre 2018. Ces amendes peuvent atteindre 100 000 $ de retard par jour les sept premiers jours, et grimpent à 400 000 $ par jour après la première semaine.

Un ingénieur qui a une connaissance du projet et qui a requis l'anonymat croit que le Consortium utilise peut-être la grève des grutiers pour justifier ses retards et éviter de payer ces amendes.

La FTQ-Construction, qui représente une majorité de grutiers sur le chantier du futur pont, a refusé de faire des commentaires, mais affirme que bien d'autres facteurs que la grève ont pu ralentir le chantier. « Il y a eu des jours de pluie. Il y a bien des choses qui peuvent provoquer des retards sur un chantier », a dit le porte-parole Philippe Lapointe. 

Dans un rapport publié au début du mois de juin, le vérificateur général du Canada, Michael Ferguson, a exprimé de sérieux doutes sur la capacité du Consortium à livrer l'ouvrage à temps. « À notre avis, le projet ne sera pas mené à bien dans le respect du budget original. Même si des ressources supplémentaires étaient affectées aux travaux de construction ou si de nouvelles méthodes de construction étaient utilisées, le respect de l'échéance révisée du 21 décembre 2018 semble très ambitieux », a-t-il écrit.