Montré du doigt par le coroner qui a enquêté sur la mort du cycliste Clément Ouimet, l'aménagement du belvédère Camillien-Houde continue de faire pester les cyclistes qui descendent le mont Royal. Au cours des derniers jours, la Ville a procédé à des modifications destinées à dissuader les automobilistes de faire des manoeuvres dangereuses, mais la nouvelle solution a déjà montré des failles. Tour d'horizon.

VIRAGES ILLÉGAUX ET DEMI-TOUR

Au cours des dernières semaines, La Presse s'est rendue à cinq reprises au belvédère Camillien-Houde, et le constat y est frappant. Bien que l'endroit soit situé à moins de 500 mètres du vélo blanc accroché en hommage à Clément Ouimet, mort en octobre dernier après avoir heurté de plein fouet une voiture qui effectuait illégalement un demi-tour (« virage en U »), des dizaines d'automobilistes y procèdent toujours à des manoeuvres illégales. Les délinquants commettent essentiellement trois infractions : un virage à gauche à la sortie du belvédère en direction du sommet de la montagne, un changement de voie suivi d'une accélération à contresens pour atteindre l'entrée du site ou carrément un demi-tour au milieu d'un virage - les deux dernières manoeuvres sont vraisemblablement destinées à éviter un détour de quelques minutes. S'ensuivent invariablement des freinages d'urgence et un concert de klaxons. Sans compter les gestes désapprobateurs de cyclistes circulant à une vitesse dépassant souvent les 50 km/h.

DES BOLLARDS EN RENFORT

La Ville de Montréal a procédé mercredi matin à l'installation de bollards afin de contrer les manoeuvres illégales près du belvédère. Une mesure qui « devrait décourager les conducteurs récalcitrants », nous a écrit dans un courriel Youssef Amane, attaché de presse du comité exécutif. Or, dès les premières minutes suivant l'installation de ces bollards, deux voitures ont effectué des manoeuvres illégales pour les contourner à l'entrée et à la sortie du site, a pu constater La Presse. « Les conducteurs savent que ce n'est pas légal, ils entravent la voie, leurs gestes sont nerveux », énumère Jean Favreau, 62 ans, un cycliste croisé sur la montagne qui circule quotidiennement dans ce secteur depuis qu'il est à la retraite. « Même en descendant tranquillement, à 30 ou 35 km/h, c'est une zone où notre champ de vision est restreint. C'est vraiment dangereux. »

DIFFICILE MÊME POUR LES POLICIERS

Les policiers eux-mêmes sont embêtés par la configuration des lieux. En effet, lorsqu'ils assistent à une infraction au belvédère, les agents affectés au mont Royal peuvent difficilement prendre en chasse un contrevenant sans eux-mêmes exécuter une manoeuvre qui compromettrait la sécurité des cyclistes et des piétons. Ainsi, du 1er avril au 27 juin derniers, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) n'a remis que quatre constats d'infraction au belvédère, soit un de plus que l'année dernière sur la même période. « Je ne veux pas que les agents commettent une infraction pour en empêcher une autre », commente Marie-Claude Dandenault, commandante du poste 20. Selon elle, la situation n'est pas différente des autres étés. À ses yeux, l'interdiction du transit « peut juste aider », mais à moins d'une « barrière physique complète », il est vain de penser que les demi-tours dangereux seront un jour chose du passé sur le mont Royal.

UN RAPPORT ET SES QUESTIONS

Dans son rapport dévoilé la semaine dernière sur les circonstances entourant la mort de Clément Ouimet, le coroner Jean Brochu a résumé les raisons pour lesquelles autant d'automobilistes effectuent des virages dangereux dans le secteur du belvédère. Ils « ne trouvent pas de moyen facile ni d'endroit rapproché permettant de changer de direction à proximité du belvédère pour y accéder ou s'en retourner. Il est plus simple et rapide d'effectuer un virage en U sur la voie Camillien-Houde », a écrit M. Brochu. De même, « il n'y a aucun endroit prévu pour permettre à un véhicule se dirigeant vers l'ouest de revenir vers l'est au moyen d'une manoeuvre sécuritaire ». Le coroner s'est aussi permis cette question, sans toutefois y apporter de réponse : « Faut-il encore permettre l'accès du belvédère aux véhicules, [et si oui], comment trouver une façon d'en permettre l'accès et la sortie » dans les deux directions ?

CONFIGURATION DÉSUÈTE

Présidente-directrice générale de Vélo Québec, Suzanne Lareau se pose la même question. « La configuration date des années 50, on n'y a presque plus touché depuis. Ce n'est plus adapté à la réalité d'aujourd'hui », constate-t-elle. Après la mort de Clément Ouimet, la Ville a notamment renforcé la signalisation sur la voie Camillien-Houde afin de rappeler que les demi-tours y sont interdits, en plus d'y réduire la vitesse maximale à 40 km/h. « Manifestement, c'est insuffisant, tranche Suzanne Lareau. Quand on constate que ça ne marche pas, il faut passer à une autre étape. »

RIEN N'EST EXCLU, DIT L'ADMINISTRATION

La semaine dernière, l'élue responsable des transports actifs à la Ville de Montréal, Marianne Giguère, a fait valoir que le projet-pilote interdisant aux voitures le transit sur le mont Royal par le chemin Remembrance et la voie Camillien-Houde faisait « déjà une grosse différence » et éliminait « beaucoup de raisons » de faire demi-tour. Elle a souligné que la Ville n'écartait pas l'idée de réserver le belvédère aux cyclistes et aux piétons, mais qu'elle attendrait la conclusion des consultations publiques sur la fin du transit avant de prendre une décision. Le réaménagement du belvédère est par ailleurs au nombre des sujets de discussion sur le site de la consultation publique.