Après une enquête de la Commission de la construction du Québec (CCQ), après la sortie du premier ministre Philippe Couillard qui a dénoncé un « reportage sans fondement » qui « crée de la tension dans la société », après les protestations de dirigeants de mosquées, le réseau TVA a admis hier, dans son bulletin de 22 h, avoir diffusé des informations erronées, selon lesquelles des femmes avaient été exclues d'un chantier de construction à la demande de deux mosquées voisines.

« TVA Nouvelles a obtenu de nouvelles informations selon lesquelles il appert que les versions obtenues auprès des intervenants et présentées en ondes ont évolué dans les dernières heures, de sorte que nous ne sommes plus en mesure d'affirmer qu'il y a eu une demande afin que les femmes ne se retrouvent pas sur le chantier pour la prière. La situation semble plutôt découler d'un important imbroglio entre les divers intervenants », a dit en ondes la journaliste Marie-Pier Cloutier, à l'origine du reportage controversé d'abord diffusé mardi.

« Cette mise au point était nécessaire afin d'informer ceux qui auraient pu être affectés par les témoignages rapportés », a ajouté la chef d'antenne Sophie Thibault, sans toutefois présenter d'excuses.

Depuis mercredi, plusieurs intervenants autour du chantier en question mettaient en doute les informations présentées par le réseau TVA. Mais la station maintenait sa version des faits, affirmant qu'elle était corroborée par plusieurs personnes. Au départ, la journaliste affirmait même qu'une clause demandant l'exclusion des femmes sur le chantier à l'heure de la prière du vendredi était inscrite « noir sur blanc » dans le contrat de l'entrepreneur.

L'histoire a soulevé d'intenses protestations sur les réseaux sociaux. Les mosquées mises en cause disent même avoir reçu des menaces et des messages haineux.

Les mises au point faites hier suffiront-elles à réduire le tumulte causé par ce reportage, qui a attisé les sentiments antimusulmans d'une frange de la population ?

Aktar Ahmed, président de la mosquée Baitul-Mukarram, l'un des deux lieux de culte visés par le reportage de TVA, le souhaite. Tout en se disant très heureux des conclusions de l'enquête de la CCQ, M. Ahmed se demandait en après-midi hier si les torts causés à la communauté musulmane pouvaient être réparés. 

« Nous pensons à la possibilité de poursuites judiciaires. Nous attendons de voir ce qu'il va se passer aujourd'hui, s'il y aura des manifestations », dit Aktar Ahmed.

Le Conseil de presse du Québec a indiqué hier après-midi avoir reçu « plus qu'une plainte » au sujet du reportage de TVA, sans en préciser le nombre.

LA MEUTE RECULE

Trois groupes qui avaient prévu manifester aujourd'hui devant les deux mosquées au coeur de la controverse ont suspendu leur mot d'ordre à leurs sympathisants, dont La Meute et Storm Alliance, indique le Service de police de la ville de Montréal.

Les représentants de La Meute et de Storm Alliance, groupes identitaires d'extrême droite, ont cependant indiqué qu'ils croyaient toujours que des femmes avaient été victimes de discrimination. « Même si nous avons l'intime conviction que c'est vrai, nous ne pouvons pas risquer la réputation de La Meute sur des rumeurs, nous avons besoin de preuves et nous irons à la recherche de ces preuves », indique le porte-parole Sylvain « Maikan » Brouillette sur la page Facebook du groupe, en assurant qu'il fera « la lumière sur les évènements, afin de se faire [sa] propre idée ».

« Soyez assurés que si nous avions la preuve que des femmes ont été victimes de discrimination basée sur le sexe, nous agirions sans hésiter », a-t-il poursuivi. 

« Pour l'heure, notre objectif est déjà atteint. L'annonce de notre participation à la manifestation a créé un débat dans les médias et le gouvernement a réagi promptement », a mentionné Sylvain Brouillette, de La Meute.

Storm Alliance demande de son côté à ses membres qui voudront manifester aujourd'hui de ne pas porter leurs « vêtements officiels » du groupe. « Le tout a été tourné en diner de con et tout ceux qui vont se présenter vont être étiquetté de raciste, islamophobe et même d'imbécile pour avoir cru à une soi disant fausse nouvelle malgré tout les témoignages qui corroborent les faits », écrit le leader Dave Treg sur Facebook. « L'heure est plutôt à l'analyse et à l'accumulation des preuves pour répliquer en force. Avec le temps les langues vont se délier et la vérité va faire surface. »

« AUCUNE TRACE » D'UNE TELLE DEMANDE

Plus tôt dans la journée, la présidente de la CCQ, Diane Lemieux, avait pourtant été claire, en point de presse : « D'aucune manière nous ne pouvons conclure que les autorités des mosquées aient formulé, formellement ou informellement, des demandes à l'effet d'exclure des femmes de ce chantier », a-t-elle affirmé.

La CCQ a passé deux jours à mener des vérifications à la suite du reportage de TVA.

Les dirigeants des mosquées avaient nié dès le début avoir formulé une telle demande. La Commission des services électriques de Montréal, qui gère le chantier, a confirmé mercredi qu'aucun de ses contrats ne comprenait des clauses sur la présence de femmes.

Il n'existe « aucune trace » d'une telle demande ni « aucune déclaration des gens rencontrés » qui puissent corroborer cette information, a renchéri hier Mme Lemieux.

Des signaleuses ont effectivement quitté le chantier, a-t-elle dit, mais cette décision ne visait pas à exclure les femmes spécifiquement et elle ne découle aucunement d'une demande de la communauté musulmane. À la suite des rencontres avec les personnes concernées, la CCQ conclut qu'il y a sans doute eu des incompréhensions et des problèmes de communication entre les différents intervenants sur le chantier.

« Ce sont des questions délicates, on a attribué des intentions, on a mis le feu », a déploré Diane Lemieux.

« APPEL AU CALME » DE LA MINISTRE

La ministre du Travail, Dominique Vien, qui accompagnait Mme Lemieux en point de presse hier, a appelé les manifestants à la prudence, à la lumière des conclusions de la CCQ. « J'invite au calme, a-t-elle dit. Je pense qu'avec l'information que nous véhiculons aujourd'hui, ça a le mérite d'être clair. »

En matinée, le conseiller municipal du secteur où se trouvent les deux mosquées, Lionel Perez, se disait très préoccupé par la perspective d'une manifestation de La Meute.

En soirée, les représentants de la mosquée Baitul-Mukarram ont annoncé que M. Perez serait présent à une conférence de presse qu'ils tiennent aujourd'hui à 14 h, tout comme le ministre de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion, David Heurtel.

Lionel Perez estime que la controverse devrait servir d'appel à la prudence sur la question des accommodements religieux. « Ça devrait nous rappeler à quel point c'est un enjeu sensible, a-t-il dit. Et quand c'est un enjeu aussi sensible, on a tous collectivement une obligation de faire très attention à la façon dont on relate l'information, on doit s'assurer d'avoir une vision complète et de relater la bonne information. »