Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a remis à la Sûreté du Québec (SQ) un autre dossier jadis piloté par son unité des Enquêtes internes, a appris La Presse. Cette fois, la SQ va réviser tout le dossier qui a mené à une sanction disciplinaire de cinq jours de suspension, infligée au policier Pascal Leclair, en 2013.

L'affaire commence en mai 2011 quand une policière du SPVM, Isabelle Côté, est la cible d'une série de lettres anonymes qui sont envoyées dans des postes de police. Une enquête criminelle a été lancée pour tenter de retrouver l'auteur de ces lettres.

En cours d'enquête, l'agent Leclair a été promu à un rôle de gestion : il est devenu patron de l'unité d'enquête qui s'occupait du dossier de Mme Côté.

M. Leclair a cependant caché une information importante à l'enquêteur au dossier : il avait un lien personnel avec la policière. Cette information a donc été cachée à l'équipe de profileurs psychologiques de la Sûreté du Québec, appelés en renfort dans cette enquête.

Ce n'est qu'en mai 2012 que l'enquêteur au dossier de Mme Côté a appris que son patron, M. Leclair, connaissait personnellement Mme Côté. La relation entre M. Leclair et Mme Côté aurait dû faire l'objet d'une divulgation d'intérêt de la part du policier Leclair : quand la chose fut connue, l'enquête a été confiée à une autre unité d'enquête.

Ce conflit d'intérêts représentait une entorse aux règles déontologiques policières, selon nos sources, dans la mesure où M. Leclair ne l'a pas révélé. Or, la division des Enquêtes internes n'a jamais inquiété M. Leclair, à ce stade de l'histoire.

Justice à deux vitesses?

Plusieurs sources de La Presse estiment que cela symbolise ce qui est perçu comme une «justice à deux vitesses» au sein du SPVM : des sanctions disciplinaires impitoyables pour les policiers syndiqués et des sanctions plus légères pour les cadres qui sont «dans la bonne gang».

Or, nos sources sont formelles : M. Leclair était un protégé de Bernard Lamothe, qui était jusqu'à récemment l'influent numéro deux du SPVM, jusqu'à ce qu'il soit lui aussi suspendu administrativement, parce qu'il fait lui aussi l'objet d'une enquête de la SQ. Des policiers croient que sa proximité avec M. Lamothe a évité à M. Leclair de subir une enquête dès que son conflit d'intérêts a été connu, ainsi qu'une sanction plus lourde, quand il y a finalement eu enquête interne.

Selon une source syndicale, Mme Côté, elle, s'est fait dire de se tenir loin de l'enquête qui la concernait directement : «Au début de l'enquête, les patrons ne voulaient pas qu'elle parle aux profileurs de la SQ, par exemple.»

Parlant des profileurs de la SQ : ils reviennent dans le dossier au printemps 2013, quand une nouvelle vague de lettres recommence à cibler la policière Côté. Et c'est à ce moment que les profileurs de la SQ apprennent ce qui est su à l'interne au SPVM depuis plus d'un an, soit que le policier Leclair, supérieur du premier enquêteur au dossier, avait un lien personnel avec la victime, Mme Côté.

Les profileurs de la SQ sont furieux. Ils estiment que cette information aurait dû leur être communiquée des mois auparavant, quand ils tentaient d'établir la liste et le profil des personnes susceptibles d'en vouloir à la policière Isabelle Côté.

Le mutisme de Pascal Leclair, selon eux, a pollué leur analyse initiale. Les profileurs sont si furieux qu'ils se retirent carrément du dossier.

Selon les sources de La Presse, la colère des profileurs de la SQ a été si bruyante dans la seconde moitié de 2013 que l'histoire du conflit d'intérêts de M. Leclair, balayée sous le tapis en mai 2012 par le SPVM, est devenue impossible à ignorer. Le dossier s'est rendu sur le bureau du patron des Enquêtes internes, Costa Labos.

Au terme d'une investigation interne, M. Leclair a été suspendu pour une période de cinq jours pour avoir omis de révéler que sa relation avec Mme Côté était plus que professionnelle. Il a purgé ces cinq jours de suspension durant la période des Fêtes en 2013-2014.

Le moment de la suspension est une autre preuve, selon des policiers, de la justice interne à deux vitesses du SPVM : M. Leclair a purgé sa peine dans une période où il est normalement en vacances. On s'étonne aussi dans les rangs de la police que neuf mois après cette sanction, M. Leclair ait été promu au grade de commandant.

Affectation prestigieuse à l'ERM

La Presse a commencé à poser des questions à propos de l'affaire Leclair le jeudi 9 mars. Le vendredi 10 mars en après-midi, le SPVM nous a fait savoir qu'il ne commenterait pas un dossier disciplinaire. Le même jour, en début de soirée, le SPVM a rappelé La Presse pour dire que le dossier Leclair avait été remis à la SQ, pour révision.

Le dossier Leclair fait partie d'une trentaine de dossiers des Enquêtes internes du SPVM que l'équipe de policiers de partout au Québec - chapeautée par la SQ - révisera, dans la foulée des scandales qui ont secoué la police de Montréal depuis un mois.

Pascal Leclair était affecté à la prestigieuse Escouade régionale mixte (ERM) dans les locaux de la SQ, une équipe qui combat le crime organisé. Il a fait ses boîtes le 13 mars dernier quand il a été renvoyé au SPVM, qui l'a suspendu administrativement le même jour. Il n'a pas répondu à notre demande d'entrevue.

Mme Côté avait promis de répondre à notre demande d'entrevue du 10 mars. Elle s'est ravisée la semaine dernière et a choisi de ne pas faire de commentaire.