Le plan de continuité de la mission transport, en cas de fermeture du pont Champlain, est né du sentiment d'urgence suscité à l'automne 2013 par la défaillance d'une poutre de béton. En raison de la conception du pont, ces poutres de rive sont impossibles à remplacer. Les gestionnaires fédéraux du pont ont donc eu recours à une poutre d'acier, baptisée «super-poutre», pour soutenir la poutre de béton endommagée. L'opération, inédite, a été couronnée de succès.

En cas d'échec, la fissure apparue dans cette poutre de rive aurait pu entraîner la mise hors service de plusieurs voies de circulation du pont Champlain pour une période prolongée.

Une fois l'alerte passée, le ministre des Transports de l'époque, Sylvain Gaudreault, a chargé le MTQ et l'Agence métropolitaine de transport (AMT), responsable des transports en commun métropolitains, de cerner des mesures susceptibles d'être rapidement mises en place pour atténuer les impacts d'une éventuelle fermeture du pont.

Depuis 2011, le MTQ, l'AMT et des représentants des municipalités, des sociétés de transport collectif et de l'industrie du camionnage collaborent déjà, au sein de comités techniques, pour implanter diverses mesures visant à réduire la congestion causée par les travaux routiers, dans la région métropolitaine. Ces comités ont tenu plusieurs rencontres de travail axées précisément sur l'hypothèse d'une fermeture du pont Champlain avant la mise en service d'un nouveau pont de remplacement, prévu pour 2018.

Le plan d'urgence décortiqué

1. 180 km de files d'attente

Le premier matin suivant une fermeture complète du pont Champlain, c'est la longueur que totaliseraient les embouteillages aux abords des ponts, sur les autoroutes et sur les réseaux municipaux des deux côtés du fleuve Saint-Laurent, selon les simulations réalisées par le MTQ. Ces résultats ne tiennent pas compte des changements qui surviendraient (forcément) dans les habitudes de déplacement des gens et dans le transport des marchandises par la suite. À titre indicatif, 180 km, c'est la longueur moyenne des embouteillages qu'on observe chaque semaine (1), le vendredi en fin de journée, à São Paulo, au Brésil, une ville de plus de 11 millions d'habitants. En mai dernier, à la suite d'une grève des chauffeurs d'autobus, on y a établi un nouveau record: 344 km de bouchons; 180 km, c'est aussi la distance entre Montréal et Hérouxville, en Mauricie.

(1) Source: BBC News, sept. 2012.

2. Suspension du péage sur l'A30?

Le détour proposé aux automobilistes et aux camionneurs provenant du sud du Québec ou des États du nord-est des États-Unis passe par l'A30 Ouest, jusqu'à Vaudreuil-Dorion, et l'A40, en direction de Montréal. Ce détour de près de 50 km serait obligatoire uniquement pour les camions transportant des matières dangereuses, interdites dans le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. Plusieurs intervenants consultés par Québec ont demandé que le péage en vigueur sur le pont de l'A30 soit suspendu pour tous les types de véhicules en situation d'urgence. En considérant les débits actuels de circulation sur l'A30, une telle mesure représenterait, au bas mot, un manque à gagner de 40 000 à 50 000$ par jour pour son exploitant privé. Selon nos sources, Québec ne s'est pas encore engagé dans cette voie.

3. Transports en commun à prix réduit

Les mesures envisagées pour atténuer la congestion découlant d'une fermeture complète du pont Champlain passent d'abord par une réduction du trafic automobile et le transfert massif des automobilistes vers les services de transports en commun. Afin de stimuler ce transfert modal, plusieurs intervenants ont suggéré une réduction «sensible» des tarifs des transports en commun.

En raison du poids des recettes provenant des usagers, qui représentent 50% des revenus de la Société de transport de Montréal et près de 40% des revenus du Réseau de transport de Longueuil, ces réductions de tarifs causeraient un manque à gagner pour les transporteurs, qui devrait être compensé par Québec. Une réduction générale de 25% des tarifs de ces deux sociétés seulement représenterait une perte de revenus d'environ 150 millions par année.

4. Cohabitation camions et autobus

Des camions devraient cohabiter avec des autobus et des équipages de covoiturage sur certaines voies réservées aux autobus déployées à Montréal et sur la Rive-Sud. Ce serait notamment le cas sur l'autoroute 25, entre l'échangeur Anjou et le tunnel La Fontaine (en direction du tunnel seulement) et sur la rue Souligny, à Montréal, pour favoriser l'accès au port de Montréal. Le plan prévoit aussi le partage de la voie réservée aux autobus de l'autoroute 20, l'une des plus importantes propositions du plan de continuité du pont Champlain en matière de transports en commun. La voie réservée prévue sur l'A20 s'étendrait sur plus de 20 km sur la Rive-Sud, de la sortie du pont-tunnel jusqu'à la rivière Richelieu, à Beloeil.

5. Distribution des marchandises à revoir

Deux études récentes portant sur les déplacements des camions tendent à démontrer que ceux-ci se déplacent sensiblement aux mêmes heures que le reste de la circulation dans la région métropolitaine. En situation de congestion quasi permanente, la cohabitation entre automobiles et camions pourrait être mise à rude épreuve, particulièrement lors des heures de pointe. Pour s'adapter aux conditions de circulation, toute la chaîne logistique concernant la distribution des marchandises pourrait devoir adopter de nouvelles façons de faire. Dans certains domaines particuliers, comme la distribution des médicaments ou des denrées périssables, les livraisons sont réalisées en continu. Le risque de ruptures de stock sera accru par la congestion. Les livraisons de nuit pourraient devenir la norme par la force des choses, malgré leur lot d'inconvénients.

6. Camionnage de nuit

En 2009-2010, une expérience pilote menée dans l'île de Manhattan, en collaboration avec des géants de la distribution, a démontré que le camionnage de nuit permettait de réaliser jusqu'à cinq livraisons en une heure ou deux, entre 19 h et 6 h du matin. Aux heures normales d'ouverture, il faut entre cinq et six heures pour le même travail. La nuit, les camions ont pu se déplacer à une vitesse moyenne jusqu'à 75 % supérieure à leur vitesse habituelle de jour. La généralisation d'une telle pratique engendrerait toutefois des coûts importants. Des entreprises devraient créer des quarts de nuit afin de réceptionner les marchandises, les terminaux maritimes devraient étendre leurs heures d'ouverture et des commerçants indépendants passeraient des nuits blanches à attendre les marchandises.

7. Stationnements

Des milliers de places de stationnement incitatif devront être créées dans la couronne de la banlieue, afin de permettre aux usagers d'accéder aux points d'embarquement des autobus le plus loin possible des noyaux de congestion qui se formeront inévitablement aux abords des ponts. C'est ce qu'on prévoit notamment sur l'autoroute 20, qui serait bordée de trois stationnements, à Beloeil, Saint-Bruno et Sainte-Julie. Sur l'autoroute 10, de nouveaux stationnements sont projetés aux carrefours des autoroutes 30 et 35. La route 116 est aussi appelée à devenir un axe important de transports collectifs. Une voie réservée aux autobus y est déjà prévue d'ici 2016, et de nouveaux stationnements pourraient y être construits près du chemin Chambly et à l'aéroport de Saint-Hubert, à Longueuil.

8. Navettes fluviales

Les navettes fluviales suivraient le même itinéraire qu'un service touristique présentement offert par les Navettes maritimes du Saint-Laurent entre le Port de plaisance de Longueuil et le quai Jacques-Cartier, au Vieux-Port de Montréal. C'est un service de passagers (piétons et cyclistes) et non un service de traversier transportant des automobiles. Les navettes actuelles peuvent accueillir jusqu'à 196 passagers. Le trajet d'une rive à l'autre se fait en moins de 30 minutes. Un projet de navette publique avait déjà été envisagé en 2011, après une fermeture d'urgence du pont Mercier, mais il avait été écarté en raison du coût et de la difficulté d'aménager des infrastructures d'accueil et de stationnement adéquates de chaque côté du fleuve.