Le contrôleur général de la Ville de Montréal, chargé de détecter les irrégularités dans les contrats municipaux, se retrouve dans une situation délicate. Il a dû demander à une partie de ses troupes de ne plus lui faire rapport directement parce qu'elles enquêtent sur un dossier impliquant... son propre frère.

L'affaire concerne l'un des terrains les plus convoités du Vieux-Montréal, un rare lot vacant utilisé comme stationnement à ciel ouvert, entre les rues Notre-Dame et Saint-Jacques, près du boulevard Saint-Laurent. Le comité exécutif voulait le vendre au Groupe Antonopoulos, propriétaire de l'Hôtel Place d'Armes, juste en face.

Mais une autre entreprise qui a participé à l'appel d'offres pour le terrain a jeté un pavé dans la mare en déposant une poursuite contre la Ville.

La firme Constructa Immobilier se dit convaincue que l'ex-maire Gérald Tremblay et des hauts fonctionnaires sont intervenus à dessein pour l'écarter du projet. L'entreprise réclame qu'on lui vende le terrain ou que la Ville lui verse 8 millions en dommages.

L'exemple Charbonneau

«Avec les témoignages entendus à la commission Charbonneau sur l'octroi des contrats, la demanderesse est justifiée de penser que des irrégularités ont pu nuire au cheminement de son dossier dans le dédale administratif et politique», écrivent ses avocats dans leur requête.

Constructa était le meilleur soumissionnaire conforme au terme d'un appel d'offres initial pour le terrain il y a trois ans, mais elle devait négocier les termes de l'entente avec la Ville.

À la même époque, le Groupe Antonopoulos, un important joueur local déçu de ne pas être sur les rangs, s'était fait assurer par un haut fonctionnaire qu'il pourrait faire une offre sur le terrain si les négociations avec Constructa échouaient.

Le 13 juillet 2010, alors que les négociations entre les fonctionnaires et Constructa étaient toujours en cours, le maire Gérald Tremblay a personnellement donné ordre aux fonctionnaires de mettre fin au processus.

Un nouvel appel de propositions a été lancé et c'est un consortium dont fait partie le Groupe Antonopoulos qui a remporté la mise. La Ville a toujours soutenu que tous ces bouleversements avaient permis d'obtenir un bien meilleur prix pour le terrain.

Mesures exceptionnelles

Mais vu les allégations contenues dans la poursuite, l'affaire a été mise sur la glace et le dossier, transmis pour enquête au bureau du contrôleur général de la Ville, Me Alain Bond.

Seul problème: le frère du contrôleur, Carl Bond, est doublement mêlé à l'affaire à titre de haut dirigeant de la Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM).

Juste avant que le Groupe Antonopoulos remporte la mise, la SHDM lui avait en effet vendu un immeuble adjacent au terrain convoité, ce qui rendait son offre un peu plus intéressante.

Par ailleurs, Carl Bond faisait partie des cinq fonctionnaires au comité de sélection qui a finalement choisi le Groupe Antonopoulos comme gagnant du nouvel appel d'offres.

Le bureau du contrôleur a donc dû mettre en place des mesures exceptionnelles. «Le contrôleur général reconnaît que son frère est au dossier», a confirmé à La Presse le porte-parole de la Ville, Gonzalo Nunez.

«C'est pourquoi Me Alain Bond a pris les mesures nécessaires pour éviter toute apparence ou possibilité de conflit d'intérêts», explique-t-il.

Un subalterne d'Alain Bond à la Division des enquêtes et des analyses du Service du contrôleur général, Yves Grimard, s'est chargé entièrement du dossier, sans droit de regard de son patron.

«L'enquêteure au dossier a été avisée qu'elle ne devait faire rapport qu'à M. Grimard, et pas au contrôleur général», assure M. Nunez.

La Ville espère toujours vendre le terrain le plus vite possible pour qu'un complexe immobilier y soit construit. Elle espère collecter 1 million annuellement en taxes lorsqu'un immeuble aura été bâti.