Il y a un siècle, leurs prédécesseurs se promenaient, carnet de contraventions à la main, prêts à sévir quand un citoyen se plaignait du bruit. En 2013, le carnet a été troqué contre des détecteurs sophistiqués, et les contraventions, contre la diplomatie et la prévention. La Presse a suivi deux techniciens en contrôle du bruit à l'oeuvre lors d'un spectacle au centre-ville.

Sur le détecteur de Patrick Lemyre, à 100 pieds des haut-parleurs, les courbes de son dansent, gracieuseté du groupe québécois électropop Plaster. Un peu trop, semble-t-il, puisqu'on dépasse régulièrement la limite de 84 décibels. «Normalement, on leur demanderait de baisser le volume, mais là, on est loin des résidants, ce n'est pas si grave», dit le technicien en contrôle de bruit.

Avec son collègue Frédéric Bouchard, il est accueilli par les organisateurs de Montréal en lumière avec une franche poignée de main, entre connaisseurs de la science du son.

On est loin de la méfiance que devraient inspirer des inspecteurs municipaux. «Ça a évolué, disons, note M. Bouchard. Avant, ils se poussaient quand on arrivait. Maintenant, ils savent qu'on est là pour les aider.»

De la crise à l'accalmie

Depuis 2008, l'arrondissement de Ville-Marie, le coeur de la métropole, a décidé de regarnir son équipe de techniciens en contrôle de bruit. Depuis les fusions, en 2001, il ne restait en fait qu'un employé pour les neuf arrondissements de l'ancienne ville. Pourtant, au même moment, le nombre de résidants au centre-ville de Montréal a explosé, passant de 74 000 à 84 000, une hausse de 13% entre 2001 et 2011.

Les archives des médias au milieu des années 2000 montrent que la cohabitation entre ces résidants et les promoteurs, commerçants et tenanciers de bars était difficile. Depuis cinq ans, c'est l'accalmie. Les trois techniciens embauchés au centre-ville, auquel s'est joint un quatrième inspecteur dans Rosemont-La-Petite-Patrie, n'y sont peut-être pas étrangers.

«On a beaucoup travaillé sur la sensibilisation des promoteurs d'événements, explique Patrick Lemyre. On les invite à informer les résidants, on trouve des solutions avec eux pour limiter les impacts. C'est incroyable comme l'anxiété des résidants diminue quand on les tient au courant de ce qui se passe.»

La recette s'applique aux commerces et aux bars, bien entendu. On est loin de l'époque où les citoyens agacés n'avaient que deux solutions: faire partir le commerce ou le festival à la source du bruit, ou déménager. «On peut vivre au centre-ville sans être obligé de subir un niveau de bruit insupportable, dit M. Lemyre. Ça demande un changement de culture des promoteurs, des responsables de chantiers, des commerçants, et on sent que ça se fait.»

Changer l'orientation des haut-parleurs de quelques degrés ou en ajouter, réduire quelques fréquences agressantes, isoler un appareil de climatisation, «ça peut corriger le problème instantanément», explique M. Lemyre.

Rares contraventions

Bon an mal an, quelque 300 plaintes concernant le bruit sont acheminées à l'arrondissement de Ville-Marie. Une infime portion finit en contravention. Les trois causes les plus importantes, selon le bilan 2011: les équipements mécaniques (29%), les chantiers de construction (27%), et les événements et activités extérieures (24%). «Chaque cas est unique et demande parfois de bonnes recherches pour détecter la source du bruit», indique Frédéric Bouchard, qui s'est spécialisé dans les équipements mécaniques, notamment les climatiseurs et autres ventilateurs qui empoisonnent la vie du voisinage.

La tolérance à l'égard des nuisances sonores est plutôt limitée: leur niveau ne doit pas dépasser 38 décibels dans une chambre à coucher. À titre d'exemple, le bruit ambiant des bureaux de l'arrondissement de Ville-Marie est au départ de 40 décibels. Par des algorithmes complexes, il faut alors dissocier le bruit indésirable du bruit de fond.

«Tout le monde n'a pas la même sensibilité, dit M. Lemyre. On reçoit parfois des plaintes concernant les sirènes des pompiers, des camions qui reculent ou des remorqueuses avant le déneigement. Notre job, dans ces moments-là, c'est surtout d'expliquer pourquoi ces bruits sont inévitables.»

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Une vieille préoccupation

En 1877, Montréal ne comptait que 170 000 habitants, mais beaucoup d'entre eux trouvaient déjà la vie en ville trop bruyante. Voici quelques exemples de règlements contre le bruit adoptés au fil des ans.

1877 > Défense de sonner dans les rues (Règlement no 111) «Attendu qu'il est résulté beaucoup de danger et d'inconvénient par le fait qu'il est permis aux marchands de charbon, commerçants, comédiens ambulants et autres de se servir de clochettes [...]. Il est défendu à qui que ce soit de sonner ou de se servir d'aucune clochette [...] à moins qu'il n'ait obtenu préalablement une permission par écrit à cet effet du Chef de Police.»

1889 > Interdit de chanter sur la voie publique (Règlement no 169) «Il est défendu à tout musicien ambulant, joueur d'orgue de Barbarie ou autre instrument de musique de jouer de son instrument pour payement [...] dans aucune des rues ou places publiques, sans avoir au préalable demandé au Chef de Police et obtenu de lui la permission de ce faire.»

«Il est défendu à tout musicien ambulant de jouer [...] en cette cité avant neuf heures du matin ni après huit heures du soir.»

«Il est défendu à toute personne de chanter moyennant payement [...] dans aucune rue ou place publique.»

1913 > Halte aux sifflets de locomotive (Règlement no 486) «Il est défendu de faire entendre le sifflet d'une locomotive de chemin de fer dans les limites de la Cité de Montréal, entre 10 h du soir et 7 h de l'avant-midi.»

1929 > Pas de travaux la nuit (Règlement no 1049) «Entre 11 h du soir et 7 h du matin, en aucun endroit de la cité situé à en deçà de 500 pieds d'une maison habitée, il est défendu d'exécuter ou de faire exécuter des travaux de construction [...], de réparation d'un véhicule automobile, d'une chaudière à vapeur, d'une machine à vapeur ou de toute autre machine.»