Ce n'est pas un dimanche comme les autres dans la famille Hetsroni. Barak, Reut et leurs enfants célèbrent Pourim, et l'excitation est palpable dans le petit appartement du quartier Côte-des-Neiges. Entre les livres pieux, les portraits de rabbins célèbres et les sacs-surprises qui jonchent la table de la salle à manger, les parents se préparent à sortir tandis que les petits courent dans tous les sens, déguisés en d'étranges personnages.

La fête de Pourim, qui avait lieu le week-end dernier, est un peu l'Halloween de la communauté juive. On le célèbre chaque année au mois de mars, par une suite d'activités plus ou moins pieuses, qui vont de la prière au gros party. Le matin, on va à la synagogue en famille pour se faire raconter l'histoire de Pourim (voir encadré). L'après-midi, on passe de maison en maison pour échanger des friandises. Et le soir, c'est la grande bouffe bien arrosée.

«C'est la fête la plus joyeuse de notre calendrier, résume Barak Hetsroni, hassidim de la branche loubavtich (ceux qui n'ont pas de papillottes) arrivé d'Israël il y a une dizaine d'années. On commémore la survie du peuple juif, qui avait miraculeusement échappé à un décret d'extermination par les Perses.»

Pour les adultes, cette histoire vieille de 2500 ans est avant tout synonyme d'entraide et de générosité. Pendant cette journée, chacun doit donner... et recevoir. On donne aux amis et aux voisins, mais aussi aux institutions, aux organismes de charité et à n'importe quel inconnu susceptible de vous le demander dans la rue.

«Celui-ci est pour la banque, explique Reut Hetsroni en nous montrant son plus gros cadeau, enveloppé dans du cellophane. Par contre, ces petits sacs de bonbons sont pour les petits amis de l'école. L'idée, c'est de donner quelque chose qui se boit ou qui se mange mais qu'on n'a pas besoin de préparer. Ou alors de faire un don en argent, que ce soit dans une tirelire ou par téléphone.»

Pour les enfants, par contre, Pourim est surtout la fête des costumes. C'est le moment de l'année où on laisse libre cours à son imagination... Pour autant que les parents soient d'accord.

Il faut savoir qu'on ne peut pas se déguiser en n'importe quoi, du moins dans les familles les plus orthodoxes. Contrairement à notre Halloween, qui fait dans le macabre, les costumes de Pourim doivent se référer à des modèles «positifs»: princesses, cow-boys, Indiens ou policiers, mais aussi héros de la Torah, comme Moïse, Abraham ou encore la reine Esther et Mardochée, deux personnages clés de l'histoire de Pourim.

Le jour de notre visite, Reut et Barak avaient carrément déguisé leurs garçons en symboles judaïques, dont un en chandelier juif et l'autre en Cohen Gadol, le grand prêtre du Temple sacré. On était loin, en effet, de Jason et de Dracula! «Nos enfants ne sont pas influencés par la télé ou le cinéma populaire. Alors, Dieu merci, nous n'avons pas de Batman ni de Spider-Man, résume Reut en poussant presque un soupir de soulagement. Certains enfants peuvent le faire, ça dépend des familles. Mais nous sommes stricts sur ce point.»

Beaucoup moins stricte, en revanche, sera la fin de soirée. Au repas, on troquera les bonbons contre l'alcool et on «brossera» au miracle de Pourim. Ce n'est pas une obligation mais, pour les hommes, le rituel de lehaim (trinquer) est fortement conseillé. Car un Pourim sans lendemain de veille ne serait pas tout à fait Pourim.

«On fête la victoire de la vie sur la mort, conclut Barak, sourire en coin. Normal qu'on boive. L'idée, c'est de célébrer...»

***

L'histoire de Pourim

Sous l'influence de son méchant vizir Haman, le roi de Perse Assuerus lance un décret d'extermination du peuple juif. Au même moment, la reine Esther, elle-même d'origine juive, a vent d'un complot de Haman visant son époux. Avec l'aide de son oncle Mardochée, elle parvient à déjouer les sombres desseins du ministre et à faire effacer l'édit royal. Haman sera envoyé à la potence et Mardochée sera nommé vizir à sa place. Cette histoire, consignée dans le livre d'Esther (Meguila), est racontée chaque année le 14 adar dans le calendrier juif, qui correspond généralement au mois de mars dans le nôtre. Pendant ces lectures, on agite les crécelles dès que le nom de Haman est prononcé, à la grande joie des plus jeunes, qui sont enfin autorisés à faire du bruit à la synagogue. Apparemment, certains enfants aiment se déguiser comme le méchant vizir. Mais les rabbins le déconseillent fortement.