(New York) Sous le regard enchanté de François Legault, Al Gore a rangé le premier ministre du Québec parmi les « héros » de la lutte contre le réchauffement climatique, mardi, à New York.

Emporté par sa passion bien connue pour ce combat dont il est l’un des pionniers, l’ancien vice-président américain a prononcé le mot louangeur au début d’une réunion de la coalition Beyond Oil and Gas (BOGA) tenue dans les bureaux de la Délégation générale du Québec à New York.

Le narrateur d’Une vérité qui dérange évoquait sur un ton prophétique et avec les accents d’un pasteur du Tennessee les conséquences de l’atteinte de la neutralité carbone.

« Si nous maintenons zéro émission nette, dans les 25 ou 30 années suivantes, la moitié des gaz à effet de serre produits par l’homme auront disparu de l’atmosphère », a-t-il déclaré aux participants de la réunion. « Le long et lent processus de guérison pourra commencer, et les générations futures se souviendront de cette alliance Beyond Gas and Oil et diront : “Ils ont contribué à la réalisation de l’objectif. Ils ont été des héros. Ils ont eu les yeux grands ouverts, le cœur grand ouvert, leur conscience était engagée. Et ils ont pris les mesures nécessaires.” »

Le Québec s’est joint à BOGA, une initiative du Danemark et du Costa Rica, en novembre 2021. Il est devenu en avril 2022 le premier État en Amérique du Nord à renoncer aux hydrocarbures, précédent que François Legault s’est plu à rappeler après la louange d’Al Gore. Et il a joué mardi les hôtes d’une table ronde à laquelle ont participé une quinzaine de représentants de gouvernements ou de groupes associés à BOGA.

Réputation

De toute évidence, le Québec jouit d’une belle réputation à l’étranger sur le plan de la lutte contre le réchauffement climatique, même si ses efforts sont jugés insuffisants par les groupes écologiques québécois.

« On a besoin de héros pour pousser la transition énergétique dans le monde », a commenté Leïla Cantave, responsable pour le Québec du Réseau Action Climat Canada, qui participe à la Semaine du climat de New York. « C’est un processus qui demande de la collaboration. Maintenant, est-ce que le Québec joue ce rôle ? Pas encore. »

Le Québec doit au minimum faire sa juste part et augmenter sa cible de réduction des émissions de GES d’ici 2030 à 65 %. On a aussi besoin que le Québec fasse un plus grand travail diplomatique et incite les autres provinces canadiennes à rejoindre BOGA.

Leïla Cantave, responsable pour le Québec du Réseau Action Climat Canada

En présence d’Al Gore et des autres participants à la table ronde de BOGA, dont les représentants du Brésil, de l’Afrique du Sud, du Royaume-Uni et de la Colombie-Britannique, François Legault a tendu la perche aux autres provinces canadiennes, les invitant à se joindre à BOGA.

Mais, en parlant des émissions de GES, il s’est contenté de dire que le Québec avait le taux d’émissions de gaz à effet de serre par habitant le plus bas en Amérique du Nord.

Après la table ronde de BOGA, François Legault s’est entretenu en privé avec un de ses participants, le gouverneur démocrate de l’État de Washington, Jay Inslee, qui s’est vu accorder par Al Gore le mérite d’avoir inspiré à Joe Biden ses importantes initiatives de transition énergétique.

« Nous sommes vraiment un leader »

François Legault recevra une autre fleur ce mercredi à New York. Il participera au premier Sommet sur l’ambition climatique, organisé par le secrétaire général des Nations unies, António Guterres. L’entourage du premier ministre québécois considère cette invitation comme un bel honneur, même si le premier ministre n’aura pas l’occasion de prendre la parole au cours de l’activité.

Que répond-il à ceux qui le critiquent et ne sont pas convaincus qu’il ait mérité cet honneur ?

« Je suis content », a-t-il dit lors d’une mêlée de presse mardi matin à Astoria, dans l’arrondissement de Queens. « Je pense qu’il y a seulement neuf pays [ou États fédérés] qui ont été invités. » Après avoir répété la donnée sur les émissions québécoises de GES par habitant, il a ajouté : « Nous avons le plan le plus ambitieux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Je pense donc que nous sommes vraiment un leader en Amérique du Nord. »

En réponse à une question d’un journaliste, François Legault a précisé que l’énergie nucléaire ne faisait pas partie « pour l’instant » de son plan pour combler les besoins énergétiques futurs du Québec.

« On n’a pas encore été cherché tout ce qu’on pourrait aller chercher d’électricité de disponible », a-t-il dit après avoir évoqué les négociations avec Terre-Neuve-et-Labrador au sujet de Churchill Falls, la construction d’un nouveau barrage à Gull Island et l’efficacité énergétique, entre autres.

Entente Québec-New York

François Legault s’était rendu à Astoria pour participer, en présence de plusieurs intervenants clés, dont la gouverneure de l’État de New York, Kathy Hochul, à l’inauguration de la construction de la station de conversion de la ligne de transmission Champlain Hudson Power Express.

Résultat d’une entente signée en novembre 2021 entre Hydro-Québec et son partenaire new-yorkais, la ligne permettra au Québec d’exporter 10,4 térawattheures vers la métropole américaine durant 25 ans, de quoi pourvoir à l’équivalent de 20 % des besoins de la ville de New York en électricité et de contribuer à hauteur de 28 % à la réalisation de l’objectif de réduction des GES de la ville de New York d’ici 2030.

François Legault estime à 30 milliards de dollars les retombées de cette ligne bidirectionnelle qui permettra également au Québec d’importer à bas prix les surplus éventuels d’électricité produits par les éoliennes new-yorkaises.

« C’est une de mes plus grandes réalisations », a dit le premier ministre en faisant allusion à ce projet dont la première année d’exploitation est prévue en 2026.

Le chef Picard dénonce des comportements de Québec à l’ONU

Le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) a profité de la visite du premier ministre à l’ONU pour signaler au secrétaire général des Nations unies que le gouvernement Legault faisait piètre figure en matière de relations avec les Premières Nations. Dans une lettre adressée à António Guterres, le chef Ghislain Picard souligne que Québec, malgré une motion adoptée en ce sens en 2019, « refuse systématiquement de mettre en œuvre [la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones] » sous prétexte qu’elle « équivaut à un droit de veto » pour les Premières Nations. Le chef Picard note aussi « l’objection systématique » du Québec aux projets de loi fédéraux qui « reconnaissent que les relations avec les peuples autochtones doivent être fondées sur la reconnaissance et la mise en œuvre du droit inhérent à l’autodétermination ». Québec conteste notamment la constitutionnalité de la loi C-92 qui donne pleine autonomie aux Premières Nations en matière de services de protection de la jeunesse. L’APNQL y voit une « ingérence tordue » du Québec dans ses champs de compétence.

Fanny Lévesque, La Presse