Plutôt discrètes au cours des récentes années, les « mouches à feu » semblent beaucoup plus abondantes cet été. Un spectacle fort apprécié, notamment dans certains îlots de verdure de Montréal, ou encore en banlieue. Au grand bonheur des observateurs.

Les pluies abondantes auraient provoqué une multiplication des limaces et des escargots qui figurent régulièrement au menu des larves de lucioles, favorisant du même coup l’éclosion d’adultes, indique André-Philippe Drapeau-Picard, préposé à l’information entomologique à l’Insectarium de Montréal.

L’entomologiste amateur a reçu plusieurs appels sur la présence de lucioles. Il a même assisté à un de leurs spectacles au boisé Vimont, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. Selon lui, les soirées lumineuses – qui achèvent leur paroxysme ces jours-ci – devraient se poursuivre encore quelques semaines, avec une intensité variable selon les espèces en cause.

Pour l’entomologiste Étienne Normandin, la recrudescence des lucioles cet été est attribuable à une combinaison de facteurs, surtout la chaleur et une grande humidité ambiante. « Les lucioles, comme la plupart des insectes du groupe des coléoptères, demeurent plutôt discrètes par temps sec. Elles restent au ras du sol. Mais quand la litière du sol est humide, que la chaleur et l’humidité ambiante sont élevées, les lucioles se manifestent en grand nombre », explique le chercheur.

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On peut identifier en partie les espèces de lucioles par le type de clignotements qu’elles émettent. Ci-dessus Lucidota atra, une espèce répandue au Québec.

9 espèces clignotantes au Québec

Les lucioles ne sont pas de vraies mouches. Elles font partie d’un groupe, les lampyridés, qui compte autour de 2200 espèces luminescentes, dont 19 sont présentes au Québec.

Les mouches à feu vivent à l’état larvaire durant un an ou deux, parfois plus, dans le bois pourri ou la litière du sol, à se nourrir notamment d’escargots, de vers de terre – ou encore de larves de maringouins pour les espèces aquatiques ou semi-aquatiques. Toutes les larves et même les œufs de lucioles émettent de la lumière, explique M. Normandin. Ce n’est pas le cas des adultes chez les espèces diurnes, qui se localisent, elles, grâce à des phéromones.

Au Québec on compte seulement neuf espèces « clignotantes ».

Leur lumière orangée, verte ou blanche, selon les espèces, est le résultat d’une réaction de diverses enzymes avec l’oxygène qui ne produit pas de chaleur. Un insecte DEL, quoi !

L’intensité, la couleur, la durée ou la vitesse du clignotement varient d’une espèce à l’autre. Dans certains cas, le spectacle luminescent ne dure qu’une partie de la soirée. Cette forme de sémaphore permet aux insectes de se localiser dans le noir à des fins de reproduction. Chez les lucioles, seuls les mâles volent. Les femelles répondent aux invitations lumineuses du mâle par leur propre signal, d’une intensité plus faible toutefois. C’est pourquoi d’ailleurs la pollution lumineuse leur nuit considérablement, car elle diminue la capacité de localiser l’âme sœur.

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Ellychnia corrusca est une espèce de luciole présente au Québec. Insecte diurne, elle n’émet pas de lumière à l’état adulte.

Bestioles toxiques et femme fatale

Si les larves de mouches à feu sont gourmandes, les adultes, eux, font plutôt dans le régime minceur et mangent peu ou pas durant ce stade de leur existence, qui ne dure que quelques semaines. Ce destin est d’ailleurs écourté chez les mâles, qui meurent peu après l’accouplement.

Heureusement, les lucioles peuvent vivre leur destinée dans une paix relative, ayant peu de prédateurs. C’est que les larves et les adultes sont toxiques.

André-Philippe Drapeau-Picard raconte qu’un propriétaire de lézard avait donné une luciole à son animal préféré, qui en est mort empoisonné. Certains soutiennent que le clignotement lumineux vise aussi à aviser les éventuels prédateurs qu’ils feraient mieux de ne pas les inscrire à leur menu. Certaines lucioles femelles vont même attirer les mâles pour les dévorer, non pas pour s’offrir quelques protéines additionnelles, mais plutôt pour assimiler leurs toxines afin de mieux se protéger des prédateurs.

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Chez les mouches à feu, larves et adultes sont toxiques. D’ailleurs, à la manipulation, elles émettent une odeur désagréable, comme c’est le cas avec les coccinelles. Certaines larves de luciole sont des prédateurs importants de limaces.

Une fascination touristique

Citées dans des ouvrages datant de plusieurs siècles, les mouches à feu exercent une fascination qui a pris de l’ampleur au cours des récentes années, notamment en Asie. En 2021, la Society for Conservation Biology estimait que plus d’un million de touristes se déplaçaient dans le monde pour voir les lucioles. Parmi les 12 pays les plus prisés figure le Japon, qui consacre des parcs à l’insecte et où de nombreux circuits d’observation sont organisés.

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Comme en fait foi cette estampe datant de 1891, le Japon, notamment, voue un culte aux lucioles. Plusieurs parcs y sont consacrés et les circuits d’observations sont nombreux.

Plus près de nous, le parc national Great Smoky Mountains, dans le Tennessee, organise une loterie annuelle en avril pour distribuer les places de stationnement afin de limiter le nombre de visiteurs durant la saison des mouches à feu. Le spectacle y est d’autant plus prisé que dans ce cas plutôt rare, des milliers de lucioles émettent leur clignotement simultanément.

Président de l’Association des entomologistes amateurs du Québec, Étienne Normandin verrait d’un bon œil ce type d’organisation chez nous. Pour l’heure, dit-il, il reste des tonnes d’informations à glaner sur ces insectes qui sont en déclin partout dans le monde, en raison d’habitats dégradés ou de pesticides. Son organisation invite d’ailleurs le public à participer à un projet d’identification des lucioles au Québec.

Consultez le site de l’Association des entomologistes amateurs du Québec