Un glissement de terrain de grande ampleur est survenu dans le nord du Québec, à la fin d’octobre, emportant quelque 16 millions de mètres cubes de terre et de végétation, et ravivant les craintes à l’égard des changements climatiques.

Une section d’environ 900 mètres sur 900 mètres de sol, soit près d’un kilomètre carré, s’est ainsi affaissée dans un affluent de la petite rivière de la Baleine, situé environ à mi-chemin entre les communautés inuites de Kuujjuarapik et Umiujaq, sur les rives de la baie d’Hudson.

Situez le lieu approximatif sur une carte

« C’est un très gros glissement de terrain », a indiqué à La Presse Eric Drolet, directeur régional du ministère de la Sécurité publique pour le Nunavik, Chaudière-Appalaches et la Capitale-Nationale.

Des images aériennes publiées sur les réseaux sociaux, que La Presse a pu authentifier, montrent de grandes étendues de terre grisâtre de part et d’autre du cours d’eau, qui lui est rempli de débris.

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Le glissement de terrain est survenu à la fin d’octobre au Nunavik.

L’évènement, qui serait survenu entre le 29 et le 31 octobre, n’a apparemment pas eu de conséquences humaines, le secteur étant inhabité.

En revanche, il perturbera la chasse et la pêche pratiquées par les communautés inuites ainsi que par la communauté crie voisine de Whapmagoostui.

« Nous devons délimiter une zone où l’accès sera interdit », par mesure de sécurité, a expliqué à La Presse Joshua Kawapit, porte-parole de la communauté de Whapmagoostui. « Ça va affecter l’utilisation du territoire », dit-il

Accès difficile

L’hiver qui s’installe déjà à cette latitude rend l’accès au site du glissement de terrain, à environ 20 kilomètres à l’intérieur des terres, plus difficile.

« La neige commence à tomber, ça va être difficile d’aller voir sur le terrain, ça ne sera probablement pas avant le printemps », selon Eric Drolet, qui explique que des analyses sont faites pour l’instant à partir d’images prises par satellite et par de la télédétection par lidar, qui permet de représenter le relief d’un secteur.

L’Administration régionale Kativik, le gouvernement local responsable du Nunavik, mobilise quant à elle « plusieurs ressources pour parvenir au lieu exact où a eu lieu le glissement de terrain », a indiqué sa porte-parole, Rocío Valencia.

« Nous n’avons qu’une quantité préliminaire d’information à ce stade-ci », a-t-elle ajouté, précisant que les autorités des trois communautés concernées ont tenu une rencontre jeudi, et transmettront davantage d’information à la population dès que possible.

Changements climatiques

Il est encore trop tôt pour identifier avec certitude ce qui a provoqué ce glissement de terrain, mais il s’agit d’un phénomène appelé à augmenter avec les changements climatiques, préviennent les experts.

L’augmentation des « évènements de précipitations abondantes » provoquées par le réchauffement du climat mondial est susceptible de causer une hausse de l’activité de glissement de terrain, explique Pascale Roy-Léveillée, titulaire de la chaire de recherche en partenariat sur le pergélisol au Nunavik de l’Université Laval, aussi rattachée au Centre d’études nordiques.

« Souvent, les glissements de terrain surviennent dans des situations où on a eu une abondance de précipitations, une infiltration d’eau, une érosion un peu plus agressive », explique-t-elle, ajoutant que les sols de la région de Kuujjuarapik et d’Umiujaq sont particulièrement sensibles à ces phénomènes, étant composés d’argiles marines.

« Ce sont des dépôts marins de sédiments très, très fins », qui datent de la dernière glaciation, lorsque le secteur se trouvait sous le niveau de l’eau de la mer de Tyrrell, « une version agrandie de la baie d’Hudson », explique Mme Roy-Léveillée.

Ces sols ont le potentiel de se « liquéfier » lorsqu’ils sont déstabilisés, poursuit-elle.

Le nord du Québec connaît en outre des étés plus chauds, des hivers plus courts et des automnes et des printemps davantage pluvieux depuis les années 1950, indique Angelica Alberti-Dufort, spécialiste en transfert des connaissances chez Ouranos, un consortium sur la climatologie régionale et l’adaptation aux changements climatiques. « Les projections climatiques montrent que ça va se poursuivre dans le prochain siècle », affirme-t-elle.

En plus de favoriser directement la « subsidence », soit l’affaissement du sol, ces phénomènes promettent aussi de provoquer le dégel du pergélisol, qui est une autre cause de glissements de terrain, explique Mme Alberti-Dufort.

Avec les changements climatiques, de façon générale, c’est quelque chose qui va arriver plus souvent.

Angelica Alberti-Dufort, spécialiste en transfert des connaissances chez Ouranos

Un autre gigantesque glissement de terrain était survenu en avril 2021 près de Kuujjuarapik et Whapmagoostui, cette fois le long de la Grande rivière de la Baleine ; une section de sol de 1,8 kilomètre sur 500 mètres s’était affaissée dans le cours d’eau.

Évalué à 45 millions de mètres cubes, ce glissement de terrain était alors considéré comme le deuxième plus important de l’histoire du Québec, après celui de Portneuf, en 1894.

En savoir plus
  • + 1,5 °C
    Réchauffement observé entre 1948 et 2016 dans le nord du Québec, contre 0,5 °C dans la vallée du Saint-Laurent
    source : Ouranos
    130 km
    Déplacement vers le nord de la limite du pergélisol au Québec depuis un demi-siècle
    source : Centre d’études nordiques