Les normes québécoises concernant certains contaminants toxiques — les contaminants organiques volatils (COV) chlorés – sont insuffisantes pour protéger la santé, de l’aveu même du gouvernement. Des résidences et au moins une garderie ont été construites sur des terrains réhabilités selon ces normes déficientes.

Bien qu’ils respectent les critères en vigueur, le sol ou l’eau souterraine d’un terrain peuvent « représenter quand même un risque pour la santé des occupants, qui sont susceptibles d’inhaler les vapeurs de COV chlorés », peut-on lire dans la Fiche technique — 12 du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC). Publiée en 2020, celle-ci vise à pallier ces lacunes, mais elle est critiquée par l’industrie.

À court terme, les COV chlorés peuvent affecter les fonctions neurologiques, explique Mathieu Valcke, de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). À long terme, ils « peuvent causer le cancer, notamment au niveau des organes internes, comme le foie et les reins », ajoute-t-il.

Les COV chlorés sont des sous-produits du nettoyage à sec ou de la fabrication de peinture, entre autres. Ils peuvent contaminer les terrains où ils sont relâchés ou les terrains voisins, puisqu’ils migrent par les eaux souterraines.

Des vapeurs peuvent aussi s’infiltrer dans les bâtiments par des fractures dans la dalle ou d’autres interstices, ce dont la réglementation québécoise ne tient pas compte.

En Ontario, où ce risque est considéré, les normes applicables sont beaucoup plus rigoureuses. La limite en vigueur dans les sols résidentiels peut y être aussi basse que 0,05 partie par million (ppm) pour des COV chlorés comme le tétrachloroéthylène (PCE), le trichloroéthylène (TCE) et le dichloroéthylène (DCE), alors qu’elle est de 5 ppm au Québec. C’est 100 fois plus élevé que chez nos voisins.

La différence est encore plus marquée pour les terrains industriels et commerciaux, alors que les seuils permis au Québec pour ces trois contaminants peuvent être 1000 fois plus élevés qu’en Ontario. Des écarts importants existent aussi pour les concentrations permises dans l’eau.

En Ontario, les standards varient en fonction de facteurs tels que la texture du sol et permettent l’analyse de risque, ce qui complique les comparaisons. Même lorsque les normes sont plus permissives, elles demeurent de 2 à presque 100 fois plus restrictives qu’au Québec pour les COV chlorés dans le sol.

Réhabilitation inégale

Des dizaines de terrains dans presque toutes les régions du Québec ont été contaminés par des COV chlorés, selon le Répertoire des terrains contaminés. Il s’agit toutefois de « très approximativement 10 % » du total, selon Philippe Giasson, PDG et fondateur d’Enutech, une entreprise spécialisée en décontamination. Gilles Michaud, un autre expert, est du même avis. Il explique que c’est dû à des contaminations historiques non répertoriées ou à des activités non réglementées.

Aujourd’hui, on trouve des bâtiments résidentiels sur des sites réhabilités, par exemple à Montréal et à Sainte-Thérèse. On trouve même une garderie, à Saint-Constant, sur un terrain réhabilité en 2009 en vertu des normes que le MELCC juge maintenant insuffisantes. L’ancienne vocation du lot — un concessionnaire de voitures d’occasion — a rendu ces travaux nécessaires en raison d’une contamination au TCE et d’autres substances. Le rapport de décontamination n’indique pas les concentrations restantes, ni si le site est susceptible de présenter un risque d’intrusion de vapeurs toxiques.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Philippe Giasson, PDG et fondateur d’Enutech

En 2009, il n’y a pas grand monde qui faisait du monitorage d’intrusion de vapeur.

Philippe Giasson, PDG et fondateur d’Enutech

Avant la publication de la Fiche technique — 12 en 2020, le Québec « ne demandait pas vraiment » à ce qu’on se penche sur ce risque, explique l’entrepreneur.

Caroline Cloutier, une porte-parole du MELCC, affirme cependant que ce risque doit être pris en considération depuis 1998 en vertu de la Politique de protection des sols et de réhabilitation des terrains contaminés.

La fiche technique suggère maintenant des critères basés sur ceux en vigueur en Ontario ou aux États-Unis. Il ne s’agit que de recommandations, mais le Ministère peut exiger son application, précise Mme Cloutier.

Or, même en présence de COV chlorés, le Ministère n’exige pas systématiquement la vérification du risque, selon M. Giasson. « Ça dépend de l’analyste qui étudie le dossier », et « la procédure n’est pas claire encore », dit-il.

Solution critiquée

Dans une lettre transmise au MELCC l’automne dernier, le Conseil patronal de l’environnement du Québec (CPEQ) critique sévèrement la Fiche technique — 12. Dans certains cas, les exigences sont « ambiguës ou imprécises », peut-on y lire, ou carrément inexistantes malgré la présence de COV.

Les critères utilisés sont trop élevés, poursuit la missive signée par la PDG du Conseil, Hélène Lauzon, de sorte que la fiche « élude complètement le sol comme étant une source potentielle d’intrusion de vapeur ». De même, il « n’y aurait pas de déclencheur réel de l’obligation d’effectuer les tests et analyses permettant d’identifier les intrusions de vapeur potentielles à partir de l’eau souterraine ».

Et lorsqu’un problème est détecté, la fiche « n’apporte que très peu d’information quant aux mesures permettant de mitiger les effets des intrusions de vapeur », déplore le CPEQ.

Enfin, bien que la fiche indique « qu’il est prévu que les nettoyeurs à sec soient ajoutés à la liste d’activités visées » par la réglementation, cela n’a toujours pas été fait. « Pour ces entreprises, les COV chlorés peuvent être maintenus en place […], peu importe les concentrations détectées », dénonce le CPEQ.

« C’est une grosse partie du problème », selon M. Giasson, qui dit avoir décontaminé des sites du genre. « Ils ne sont pas vraiment surveillés. […] tous les nettoyeurs qui ont plus que 25-30 ans sont souvent à risque de montrer une contamination, ajoute le géochimiste. Le Ministère est au courant, mais on dirait qu’il ne bouge pas. »

L’addition des nettoyeurs aux activités réglementées « est toujours prévue », affirme Sara Bouvelle, une autre porte-parole du MELCC, sans préciser d’échéancier pour ce faire.