Limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degré est toujours envisageable, mais de plus en plus improbable. C’est l’essentiel du message livré par deux climatologues de l’Université Concordia dans une étude publiée à la fin de juin dans la prestigieuse revue Science. Gros plan sur une fenêtre de possibilité qui fond comme neige au soleil.

« Ils auront raison »

« Les experts sont pessimistes quant à l’atteinte de l’objectif de 1,5 degré et, à moins d’actions entraînant un bouleversement majeur des normes, pratiques et technologies actuelles, ils auront raison. » Cette phrase lourde de conséquences est la principale conclusion de l’étude réalisée par Damon Matthews et Seth Wynes, deux spécialistes du climat à l’Université Concordia, à Montréal. Les deux experts sont catégoriques : « Le niveau actuel d’effort mondial n’est pas suffisant pour atteindre ce qui est nécessaire pour limiter le réchauffement à 1,5 degré. » Leur étude, intitulée Current global efforts are insufficient to limit warming to 1,5 degree, a été publiée dans la revue Science le 24 juin dernier.

Déjà 1,25 degré

Rappelons que, selon le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), le monde se dirige plutôt vers un réchauffement de 3,2 degrés d’ici la fin du siècle. Des projections plus récentes, qui incluent les nouveaux engagements climatiques internationaux, anticipent un réchauffement entre 2,5 et 3 degrés, mais seulement si toutes les promesses politiques sont tenues. Selon de nouvelles données, la planète s’est déjà réchauffée de 1,25 degré depuis l’ère préindustrielle et la concentration moyenne de carbone dans l’atmosphère dépasse maintenant les 415 parties par million (ppm). Cette unité de mesure, ppm, indique le nombre de molécules de CO2 pour chaque tranche de 1 million de molécules d’air. Or, plus la concentration est élevée, plus les températures sur Terre augmentent. Selon la NASA, la concentration de CO2 dans l’atmosphère n’avait jamais dépassé les 300 ppm au cours des 800 000 dernières années. Cette barrière a été franchie au début du XXsiècle et n’a cessé d’être repoussée depuis.

Des progrès insuffisants

En entrevue avec La Presse, Damon Matthews rappelle que des progrès ont tout de même été réalisés au cours des dernières années. « Nous ne sommes plus alignés sur les scénarios les plus pessimistes d’un réchauffement de 4 ou 5 degrés », dit-il. Cela a été rendu possible grâce aux efforts internationaux avec comme résultat que les émissions de gaz à effet de serre (GES) seront à peu près stables ou en légère augmentation au cours de la prochaine décennie. Des efforts insuffisants, cependant, pour limiter le réchauffement mondial à 1,5 degré. Car si la tendance se maintient, les températures vont tout de même continuer d’augmenter à un rythme de 0,24 degré par décennie. À cette vitesse, la planète se sera réchauffée d’au moins 1,5 degré d’ici quelques années.

Un problème politique et social

Si les chances de limiter le réchauffement à 1,5 degré semblent minces, elles existent toujours, signalent Damon Matthews et Seth Wynes. Rien n’indique qu’il est physiquement impossible d’atteindre l’objectif de 1,5 degré, rappelle leur étude. La possibilité est toujours là, mais « les principales forces d’inertie susceptibles d’empêcher ce résultat ne sont pas de nature climatique, mais plutôt politique, technologique et sociale », écrivent-ils. Les efforts pour y arriver sont néanmoins colossaux : pour garder en vie l’objectif de 1,5 degré, le monde doit réduire ses émissions de GES de 43 % d’ici 2030. « Il y a toujours une chance d’y arriver, c’est important de ne pas abandonner », lance M. Matthews. Si on tente d’y arriver, même s’il n’y a que 50 % de chances de limiter le réchauffement à 1,5 degré, nous aurons tout de même 80 % de chances de ne pas dépasser 1,75 degré et presque la certitude (95 %) de pouvoir limiter le réchauffement à 2 degrés, notent les chercheurs.

Une tâche « difficile et complexe »

Selon Caroline Brouillette, directrice des politiques nationales au Réseau Action-Climat, cette étude confirme qu’il est encore possible d’atteindre nos cibles climatiques de l’Accord de Paris. Si la tâche n’est pas « impossible », elle s’avère néanmoins « difficile et complexe », ajoute-t-elle. La cible de 1,5 degré, c’est le seuil critique au-delà duquel on augmente le risque de franchir des points de bascule. « La fonte irréversible des calottes glaciaires qui entraîne tout un cycle de perturbations sur le climat et la montée des eaux, c’est un exemple de point de bascule, explique-t-elle. Il faut redoubler d’ardeur pour limiter l’incertitude, pour limiter les effets les plus catastrophiques des changements climatiques. Chaque dixième de degré compte. »

En savoir plus
  • 450 ppm
    En 2014, le GIEC avait estimé à 450 ppm la limite à ne pas franchir afin de limiter le réchauffement à 2 °C.
    Source : GIEC
    420,99 ppm
    En juin 2022, la concentration de carbone dans l’atmosphère pointait à 420,99 ppm, selon les relevés de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) à l’observatoire de Mauna Loa, à Hawaii.
    Source : NOAA