La plus petite des grenouilles du Québec doit une fière chandelle à un ancien réparateur de photocopieur qui milite depuis des années pour assurer sa protection. Si la rainette faux-grillon de l’Ouest est maintenant l’un des emblèmes des espèces menacées au pays, c’est en partie grâce au travail acharné de Tommy Montpetit, qui a décidé de lui consacrer sa vie.

Le 28 avril dernier, la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) a adopté un règlement de contrôle intérimaire visant à protéger ses milieux naturels d’intérêt ainsi que les 3313 hectares d’habitat de la rainette faux-grillon sur son territoire. Une décision historique pour cette espèce menacée dont la survie est de plus en plus incertaine. Pour Tommy Montpetit, directeur de la conservation de l’organisme Ciel et Terre, c’est la concrétisation d’un rêve commencé il y a 28 ans.

En novembre 1994, Tommy Montpetit a 24 ans. Avec son diplôme d’études professionnelles en électromécanique obtenu quatre ans plus tôt, il travaille comme réparateur de photocopieur. Mais entre deux réparations, sa tête et, surtout, son cœur sont ailleurs. Dans les bois et les milieux humides de la Rive-Sud de Montréal, où il passe la majorité de ses temps libres.

Le 17 novembre 1994, il écrit au maire de Longueuil de l’époque, Claude Gladu, pour lui faire part de ses inquiétudes. La ville pousse alors comme un champignon. On détruit des boisés et des milieux naturels pour y construire des maisons. Des habitats de la rainette faux-grillon sont remblayés. Il reçoit une réponse quelques jours plus tard signée par le chef de cabinet du maire, un certain Massimo Iezzoni. On lui précise qu’une personne communiquera avec lui pour faire un suivi.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Tommy Montpetit s’aventurant dans un milieu humide de Longueuil, à la fin du mois de mars dernier

Au cours des 10 années suivantes, Tommy Montpetit consacre une bonne partie de ses temps libres à plaider sa cause. Le soir, après sa journée de travail, il assiste à des assemblées de conseils municipaux. Il écrit des lettres pour sensibiliser les décideurs à l’importance des milieux naturels. Il lit beaucoup. Les lois municipales, provinciales, les schémas d’aménagement des villes. Il devient membre de plusieurs groupes environnementaux.

La petite grenouille a trouvé son champion.

Un farfelu… stratège politique

« Au début, il passait pour un farfelu », raconte le journaliste Louis-Gilles Francœur, qui a couvert l’environnement pour le quotidien Le Devoir pendant 30 ans. « Même moi, auprès de mes chefs de pupitre, il y avait une certaine perplexité quand je leur disais que j’écrivais là-dessus. Une petite grenouille ! Mais Tommy a été un très bon stratège sur le plan politique. Et il parlait à tout le monde dans le milieu. C’est une personne que j’admire beaucoup pour sa détermination et sa résilience. »

Même son de cloche du côté de Thomas Mulcair, qui a connu Tommy Montpetit alors qu’il était ministre de l’Environnement dans le gouvernement Charest entre 2003 et 2006. « C’est un environnementaliste singulier et attachant. Il n’est pas là pour lui-même. Il se bat sans relâche pour la préservation des écosystèmes et des milieux naturels depuis des décennies. Sa détermination, son expérience et son expertise sont hors pair. »

« Son histoire est vraiment remarquable », lance Massimo Iezzoni, qui est aujourd’hui directeur général de la CMM.

Il est très persévérant et il amène les choses de façon très convaincante. Il est aussi très crédible grâce à son travail sur le terrain.

Massimo Iezzoni, directeur général de la CMM, à propos de Tommy Montpetit

« Plusieurs gestionnaires de la faune m’ont souvent dit qu’on ne pouvait pas en passer une à Tommy Montpetit », ajoute Louis-Gilles Francœur, qui a aussi été vice-président du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement entre 2012 et 2017. « Sur le terrain, j’étais toujours renversé par ses connaissances. Il était aussi intéressant qu’un biologiste. »

« La rainette me fascinait »

Tommy Montpetit avait 6 ans la première fois qu’il a entendu chanter une rainette faux-grillon. Il habite alors rue Laurier, dans un quartier de Longueuil qu’on surnommait déjà le Bronx, en référence au quartier de New York longtemps notoire pour son taux de criminalité élevé et sa pauvreté.

Il tombe sous le charme de cette petite grenouille qui mesure moins de 3 cm, et dont le chant peut être entendu sur des centaines de mètres. « La rainette, elle est tellement petite, ça me fascinait, dit-il en entrevue avec La Presse. Mais il n’y avait pas juste la rainette, mais aussi toute la nature en général. »

Il faut dire qu’à la fin des années 1970, le terrain de jeu du petit Tommy était immense. Le boisé Du Tremblay s’étendait alors jusqu’au chemin de Chambly. Le jeune garçon n’a pas à aller très loin pour découvrir les secrets de la nature. Mais deux ans plus tard, il vit son premier bouleversement.

IMAGE FOURNIE PAR LE GOUVERNEMENT DU QUÉBEC

Carte de Longueuil au début des années 1970. Au centre, en rouge, le chemin de Chambly.

Des maisons sont construites en face de chez lui. « On allait tuer les grenouilles, détruire la forêt, ç’a été un choc pour moi », se rappelle-t-il. Il est d’autant plus choqué qu’il avait entendu au cours d’une conversation un conseiller municipal affirmer que ce secteur ne serait jamais loti. « J’ai compris qu’il nous avait menti. Je n’ai pas aimé ça. Je n’aime pas le mensonge. »

Selon Louis-Gilles Francœur, la rainette faux-grillon est l’une des rares espèces menacées que l’on peut encore observer dans le Grand Montréal. « Le sort de cette espèce est important puisque sa survie touche à plusieurs autres enjeux : l’étalement urbain, la protection des milieux humides et des milieux naturels. »

Le saut à Ciel et Terre

Après 10 ans à militer bénévolement pour l’environnement, Tommy Montpetit quitte son emploi comme réparateur de photocopieur pour travailler à temps partiel à l’organisme Ciel et Terre. C’est là, en 2004, qu’il réalise ses premiers inventaires pour la rainette faux-grillon en compagnie de la biologiste Isabelle Picard. Il apprend vite et, surtout, il sent qu’il est à sa place.

Rapidement, il se fait remarquer. En 2005, il se retrouve dans l’équipe de rétablissement de la rainette faux-grillon, groupe d’experts formé par le gouvernement. En 2006, la Société Provancher et la Fondation de la faune du Québec lui remettent le prix « Gens d’action » pour son travail pour la protection des milieux humides en Montérégie. Deux ans plus tard, il est nommé Héros canadien par le magazine Green Living. En 2012, il est fait membre honoraire de l’Association des biologistes du Québec.

Depuis 2004, il a rencontré presque tous les ministres de l’Environnement à Québec, de Thomas Mulcair à Benoit Charette en passant par Claude Béchard et Daniel Breton. Dans plusieurs villes, son nom est bien connu et parfois même redouté.

Mais l’homme ne court pas après les honneurs. À la blague, il se plaint que ce portrait dans La Presse va lui valoir plusieurs demandes d’entrevue. « Je ne fais que mon travail. Toi, ton travail, c’est d’écrire. Le mien, c’est de sauver le monde », lance-t-il, avec un air déterminé, entre deux bouffées de cigarette. S’il est éloquent, il est aussi reconnu pour son franc-parler. Il ne se gêne pas d’ailleurs pour lancer un « tabarnak » bien senti quand l’occasion se présente.

À ses débuts, il était régulièrement la cible de moqueries. « Toi et ta grenouille… », disait-on souvent. Le discours a changé, remarque-t-il. Les gens sont plus sensibilisés à la protection des milieux naturels.

La petite grenouille ne fait plus rire d’elle. Elle est même devenue un symbole. C’est la seule espèce menacée au Canada qui a eu droit à deux décrets d’urgence du gouvernement fédéral.

Tommy Montpetit, directeur de la conservation de l’organisme Ciel et Terre

Vingt-huit ans plus tard, ironie du sort, c’est Massimo Iezzoni qui a piloté le projet de règlement de contrôle intérimaire de la CMM, qui a été adopté le 28 avril. « Je ne l’ai pas vu souvent, mais quand je le croisais, il me disait en riant que j’étais un maudit fatigant », se souvient Tommy Montpetit.

« Il a tout mon respect. J’admire ce qu’il a fait, signale le DG de la CMM. C’est une personne très inspirante. Et s’il y avait un temple de la renommée pour la protection de la rainette, il serait le premier à y être admis ! »

En savoir plus
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    Moins du quart des populations de rainettes faux-grillons qui subsistent à ce jour « seraient capables de se maintenir à moyen terme si les conditions demeuraient telles quelles », selon un rapport du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec réalisé au printemps 2021.
    Source : ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec