Ce nouveau modèle de production a le vent dans les voiles. Et la métropole québécoise n’est pas étrangère à sa popularité. Le cégep de Victoriaville y a offert pour la première fois cette année son programme de techniques en agriculture urbaine, alors que d’inspirantes initiatives citoyennes continuent de germer.

Étudier l’agriculture urbaine… en ville

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Les élèves Marie-Danielle Coulombe, Camille Hétu et Marie-Ève Brais

Pour la première fois cette année, le cégep de Victoriaville a offert son programme de techniques en agriculture urbaine à… Montréal. L’engouement pour ce programme témoigne de l’intérêt pour ce nouveau modèle de production. La Presse est allée rencontrer des élèves en fin de session.

Stéfannie Picard, 33 ans, n’a pas renouvelé son permis de technologue en radio-oncologie en avril. Ce printemps et à l’été, elle ira plutôt travailler dans une ferme maraîchère biologique de la Montérégie.

« C’est vraiment une réorientation de carrière. J’en avais assez de la bureaucratie du système de santé », explique cette Longueuilloise, mère de trois enfants.

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Stéfannie Picard

Elle songeait à quitter le domaine hospitalier depuis plusieurs années ; la pandémie l’a décidée.

« Aider les personnes malades, c’est super, mais j’aimerais voir grandir de belles choses. »

Stéfannie n’était cependant pas prête à s’installer durant trois ans à Victoriaville, où le cégep est le seul à offrir un DEC avec un profil en agriculture urbaine. C’est l’arrivée du programme à Montréal qui l’a convaincue, comme la plupart des élèves que nous avons rencontrés dans l’édifice de l’École nationale du meuble et de l’ébénisterie, qui appartient au cégep de Victoriaville.

La vingtaine d’élèves de cette première cohorte viennent presque tous de la région métropolitaine. Et pour l’automne prochain, le programme a reçu deux fois plus de demandes d’admission pour Montréal (29) que pour Victoriaville (14), montrent les données des deux premiers tours.

« Beaucoup de possibilités »

Marie-Danielle Coulombe, 29 ans, auparavant intervenante dans un centre pour femmes en situation d’itinérance, a été attirée par l’aspect communautaire de l’agriculture urbaine.

Dans les cours, il y a beaucoup d’ouverture aux partenariats, aux projets à vocation sociale. Même en créant une entreprise, on peut améliorer l’environnement urbain et le communautaire.

Marie-Danielle Coulombe, élève au programme de techniques en agriculture urbaine

Camille Hétu, 28 ans, a perdu son emploi en muséologie durant la pandémie et réalisé qu’elle n’aimait pas le travail de bureau. « Le fait que le programme soit vraiment diversifié m’a attirée. On voit le maraîchage, l’élevage d’insectes, les champignons, l’apiculture », dit celle qui avait déjà un potager sur son balcon et dans sa cour.

« Ça bouge beaucoup, j’ai l’impression qu’il va y avoir beaucoup d’ouvertures. Peut-être que je n’aurai pas besoin de lancer une entreprise pour trouver un emploi qui me convient », constate Marie-Ève Brais, 24 ans, qui s’est inscrite au programme après son baccalauréat en design de l’environnement.

Tristan Lachance, 23 ans, Hugo Bastien, 22 ans, et Florence Hogue, 20 ans, qui s’étaient rencontrés l’an dernier en Colombie-Britannique, se sont inscrits ensemble l’été dernier.

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Les élèves Florence Hogue, Hugo Bastien et Tristan Lachance

Hugo et Tristan comptent sur les stages qu’ils feront à l’été, dans des fermes maraîchères de Dunham et de Frelighsburg, pour décider s’ils poursuivront le programme.

« Ce sera une première expérience : on va mettre les mains dans la terre, littéralement », dit Hugo.

J’ai travaillé sur des fermes avant, j’ai vraiment adoré ça, mais je me demande si je veux en faire une carrière : ce sont de longues heures, tu travailles au soleil, c’est exigeant pour le salaire que tu fais.

Tristan Lachance, élève du programme de techniques en agriculture urbaine

Florence sera aussi en stage à Frelighsburg, mais à l’automne, elle ira plutôt étudier la sexologie à l’UQAM. « Pas parce que je n’aime pas le programme, je trouve ça vraiment pertinent. J’aimerais avoir une ferme éventuellement », précise-t-elle.

Production maraîchère, vente de produits transformés, projets à vocation sociale ou éducative : avec encore deux années d’études devant eux, les élèves rencontrés n’ont pas encore décidé ce qu’ils feront une fois leur diplôme en poche.

« Ça va rester urbain, peut-être pas nécessairement à Montréal, plus en Montérégie. De toute façon, je me rends compte qu’il y a vraiment beaucoup de possibilités », témoigne Stéffanie.

« Il y a beaucoup de nouvelles entreprises. On n’a aucune difficulté à trouver des stages pour l’été », confirme l’enseignant Athanasios Mihou, qui a une longue expérience de l’agriculture urbaine montréalaise.

Deux élèves de la première cohorte ont d’ailleurs déjà quitté le programme pour aller travailler à temps plein dans des entreprises qu’ils avaient approchées pour des stages.

Enseigner l’agriculture en ville

Construit dans un repli de l’avenue De Lorimier, près de la voie ferrée, le bâtiment de l’École du meuble est clairement plus urbain qu’agricole. À l’exception d’une salle de semis, l’essentiel du terrain, dont les travaux en serre, se passe ailleurs. Mais le cégep a de grandes ambitions pour Montréal.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Source : Accès Bio Terre

Il veut installer une ferme-école en milieu on ne peut plus urbain – sur un terrain vague bordé par la voie ferrée du Canadien Pacifique, qui en est propriétaire. Cette parcelle de 1,2 hectare, située entre les arrondissements du Plateau-Mont-Royal et de Rosemont–La Petite-Patrie, est à quelques minutes de l’école.

« Ici, il va y avoir une serre froide, un poulailler et deux conteneurs, l’un réfrigéré, l’autre pour entreposer le matériel », dit John Saywell, conseiller en développement institutionnel au cégep, en désignant le centre du terrain, baptisé cour d’Iberville. Une aire de lavage et de conditionnement, un rucher, un verger et de grands îlots de production maraîchère hors sol sont aussi prévus.

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John Saywell, conseiller en développement institutionnel, et Athanasios Mihou, enseignant, expliquent le projet de ferme-école que le cégep de Victoriaville souhaite créer sur cette ancienne gare de triage du Canadien Pacifique, à Montréal.

Imaginer un espace verdoyant dans cette ancienne gare de triage jonchée de déchets demande un effort, mais l’idée n’a rien d’utopique. La Ville de Montréal et le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec ont accordé une subvention de 100 000 $ à Accès BioTerre, organisme à but non lucratif du cégep qui pilote le projet. Le tiers des espaces de culture seront d’ailleurs réservés à la Corporation de développement communautaire Plateau-Mont-Royal, qui recevra de l’accompagnement pour y produire des aliments.

Il reste à convaincre le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, qui, étant donné qu’il s’agit d’un changement d’utilisation du terrain, exige une étude de caractérisation.

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Un poulailler, une serre d’été et des aires de production et de recherche sont notamment prévus dans cette zone du terrain où le cégep de Victoriaville souhaite établir sa ferme-école.

« Si on le caractérise, c’est sûr qu’on va trouver quelque chose, mais personne ne dépenserait 1 million de dollars pour décontaminer un terrain destiné à faire pousser des carottes », indique M. Saywell. Le cégep prévoit donc cultiver hors sol, dans des îlots remplis d’une épaisse couche de terre saine posée sur une membrane étanche. Le terrain sera loué, et non acheté, et les infrastructures seront non permanentes. BioTerre demande donc plutôt une autorisation pour usage temporaire.

« La ville est occupée à 100 %, les terrains contaminés sont à peu près les seuls qui restent », fait observer M. Saywell.

Si le projet est autorisé d’ici juin, la ferme-école pourra entrer en production le printemps prochain, estime le cégep.

Le ministère de l’Environnement considère pour sa part qu’une utilisation temporaire doit viser une période déterminée. « Un projet de culture maraichère sans période déterminée dans le temps, dans l’attente qu’un promoteur puisse redévelopper un site, correspond à un changement d’usage », nous a mentionné le Ministère par courriel.

27 ans

Moyenne d’âge des élèves qui s’inscrivent au profil « Agriculture urbaine » du DEC Gestion et technologies d’entreprise agricole

Source : cégep de Victoriaville

Profession : fermier de rue

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Réal Migneault, fondateur de La Ferme de rue Montréal

L’agriculture urbaine n’est pas qu’une affaire de toit ou de serres. À cinq minutes à pied du métro Sauvé, dans le quartier Ahuntsic, le maraîcher Réal Migneault entame sa deuxième saison de production dans la cour arrière d’une église.

« Je suis le seul maraîcher qui prend deux heures et demie pour vendre une courge à 1 $ », blague Réal Migneault en désignant le passage piétonnier le long du terrain qu’il cultive, derrière l’église Saint-Jude. « Les gens ont accès visuellement au jardin et au jardinier, ils sont intéressés, ils viennent nous parler. »

  • Lors de notre visite du terrain derrière l’église Saint-Jude, dans Ahuntsic, à la fin d’avril, l’ail planté l’automne dernier commençait déjà à sortir.

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    Lors de notre visite du terrain derrière l’église Saint-Jude, dans Ahuntsic, à la fin d’avril, l’ail planté l’automne dernier commençait déjà à sortir.

  • La grelinette, utilisée pour travailler le sol, est un instrument emblématique de l’agriculture biologique de petite surface.

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    La grelinette, utilisée pour travailler le sol, est un instrument emblématique de l’agriculture biologique de petite surface.

  • Un habitué de La Ferme de rue, qui a grignoté des choux l’été dernier. « Techniquement, je ne suis pas censé l’aimer, mais je me suis attaché. C’est quasiment une mascotte », dit Réal Migneault.

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    Un habitué de La Ferme de rue, qui a grignoté des choux l’été dernier. « Techniquement, je ne suis pas censé l’aimer, mais je me suis attaché. C’est quasiment une mascotte », dit Réal Migneault.

  • Réal Migneault utilise ce rouleau marqueur pour tracer ses sillons.

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    Réal Migneault utilise ce rouleau marqueur pour tracer ses sillons.

  • L’espace est utilisé au maximum. Des plants de haricots et de concombres grimperont aux filets suspendus à la clotûre, et au pied de laquelle Réal Migneault a planté des arbres à kiwis. Le fermier urbain utilise aussi des pots, des bacs en bois et des jardinières.

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    L’espace est utilisé au maximum. Des plants de haricots et de concombres grimperont aux filets suspendus à la clotûre, et au pied de laquelle Réal Migneault a planté des arbres à kiwis. Le fermier urbain utilise aussi des pots, des bacs en bois et des jardinières.

  • Réal Migneault nous fait une démonstration, à vide, de ce qu’il appelle son « semoir de course ». Un équipement « simple et d’une efficacité redoutable », dit-il.

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    Réal Migneault nous fait une démonstration, à vide, de ce qu’il appelle son « semoir de course ». Un équipement « simple et d’une efficacité redoutable », dit-il.

  • En plus de l’église, qui prête le terrain sans frais, des partenaires financiers commanditent des espaces de culture, dont une partie de la production est retournée à la communauté.

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    En plus de l’église, qui prête le terrain sans frais, des partenaires financiers commanditent des espaces de culture, dont une partie de la production est retournée à la communauté.

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M. Migneault ne s’en plaint pas, la transmission des connaissances est au cœur de la mission de son entreprise, La Ferme de rue Montréal.

« Je suis content quand je vends mes tomates, mais je suis bien plus content quand quelqu’un part avec le plant. Là, je suis généreux de mes conseils en titi ! »

Passion de longue date

L’agriculture est une deuxième carrière, mais une passion de longue date pour M. Migneault. À 50 ans, il a quitté son poste d’associé et directeur du développement durable de la firme d’architectes Lemay pour suivre une attestation d’études collégiales en agriculture à distance. L’avant de sa maison d’Ahuntsic, depuis longtemps transformé en potager, a servi aux travaux pratiques.

  • Réal Migneault cultive aussi l’espace devant sa maison d’Ahuntsic, notamment pour produire de l’aïl.

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    Réal Migneault cultive aussi l’espace devant sa maison d’Ahuntsic, notamment pour produire de l’aïl.

  • La grelinette, utilisée pour travailler le sol, est un instrument emblématique de l’agriculture biologique de petite surface.

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    La grelinette, utilisée pour travailler le sol, est un instrument emblématique de l’agriculture biologique de petite surface.

  • Un habitué de La Ferme de rue, qui a grignoté des choux l’été dernier. « Techniquement, je ne suis pas censé l’aimer, mais je me suis attaché. C’est quasiment une mascotte », dit Réal Migneault.

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    Un habitué de La Ferme de rue, qui a grignoté des choux l’été dernier. « Techniquement, je ne suis pas censé l’aimer, mais je me suis attaché. C’est quasiment une mascotte », dit Réal Migneault.

  • Réal Migneault utilise ce rouleau marqueur pour tracer ses sillons.

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    Réal Migneault utilise ce rouleau marqueur pour tracer ses sillons.

  • L’espace est utilisé au maximum. Des plants de haricots et de concombres grimperont aux filets suspendus à la clotûre, et au pied de laquelle Réal Migneault a planté des arbres à kiwis. Le fermier urbain utilise aussi des pots, des bacs en bois et des jardinières.

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    L’espace est utilisé au maximum. Des plants de haricots et de concombres grimperont aux filets suspendus à la clotûre, et au pied de laquelle Réal Migneault a planté des arbres à kiwis. Le fermier urbain utilise aussi des pots, des bacs en bois et des jardinières.

  • Réal Migneault nous fait une démonstration, à vide, de ce qu’il appelle son « semoir de course ». Un équipement « simple et d’une efficacité redoutable », dit-il.

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    Réal Migneault nous fait une démonstration, à vide, de ce qu’il appelle son « semoir de course ». Un équipement « simple et d’une efficacité redoutable », dit-il.

  • En plus de l’église, qui prête le terrain sans frais, des partenaires financiers commanditent des espaces de culture, dont une partie de la production est retournée à la communauté.

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    En plus de l’église, qui prête le terrain sans frais, des partenaires financiers commanditent des espaces de culture, dont une partie de la production est retournée à la communauté.

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« C’est ici que j’ai sorti pas loin de 300 livres de concombres et là, 225 têtes de salade. Une année, j’ai produit à peu près 250 livres de tomates », raconte-t-il en montrant son terrain, à l’angle des rues Saint-Denis et Prieur.

Il a commencé à vendre des légumes au voisinage puis, voyant que sa production ne suffisait pas à la demande, a convaincu l’église Saint-Jude de lui laisser cultiver son terrain de quelque 6000 pi2, inutilisé depuis un demi-siècle.

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Sur le stationnement de sa maison, Réal Migneault a installé les bacs roulants qu’il a conçus pour les terrasses de restaurants et les immeubles à bureaux. Fabriqués en bois récupéré, ces bacs sont pourvus d’un large rebord permettant de s’asseoir autour des petits fruits, laitues et autres fines herbes qui poussent au centre.

Après avoir passé l’année 2020 à défricher et à aménager l’espace, La Ferme de rue est entrée en production l’an dernier.

L’église a décidé d’actualiser sa mission avec les enjeux du jour, c’est un bail sans frais.

Réal Migneault, maraîcher

C’est ainsi qu’une partie de la récolte de l’été dernier est allée à des organismes d’entraide locaux, et que des activités éducatives ont été offertes à la communauté, notamment à des enfants de l’école primaire voisine.

La vente de légumes aux particuliers n’est pas suffisante pour soutenir un tel modèle, reconnaît le maraîcher urbain.

« Résilience économique et sociale »

En 2021, des commanditaires comme le Fonds de solidarité FTQ, la caisse Desjardins du Centre-Nord et PME Montréal ont parrainé des espaces de culture, et M. Migneault a vendu des semis au Rona du quartier. Cette année, la ferme deviendra fournisseur du resto-boulangerie La Bête à Pain, offrira des ateliers sur la transformation de produits et continuera à chercher des partenaires financiers.

« On fait le pont entre l’entreprise privée et l’impact dans la communauté », explique M. Migneault en faisant valoir le rôle de l’agriculture urbaine dans « la résilience économique et sociale ».

« C’est une bonne thérapie contre l’écoanxiété, une source de plaisir qui est satisfaisante, mais aussi apaisante sur le plan psychologique. Les gens sentent qu’ils sont utiles, ils ont fait un geste, et leur estomac les en remercie. »

La Ferme de rue a reçu au début de mai un prix Novae, qui récompense les projets à impact répondant à des enjeux sociaux et environnementaux.

Consultez le site de La Ferme de rue Montréal  Consultez le site de Cultiver Montréal