Une période creuse due à la pandémie et des rouleaux de tissu qui prennent la poussière : il n’en fallait pas plus à l’entreprise de vêtements pour enfants Deux par Deux pour confectionner des marionnettes. Conscients de la pollution générée par l’industrie du textile, des entrepreneurs tentent de réduire leur empreinte écologique. Tour d’horizon.

« C’est à petite échelle », lance Zacharie Elmaleh, copropriétaire de Deux par Deux. L’entreprise québécoise a fabriqué à la main une centaine de polichinelles comme Romilda la Renarde et Antonin le Lapin. « On avait plein de rouleaux de tissu qu’on trimballait depuis des années, alors on s’est dit qu’on allait faire un concept pour [les] réutiliser », raconte-t-il.

Comme pour de nombreuses entreprises, la pandémie a ralenti les activités de Deux par Deux. Le projet de marionnettes faites de tissu recyclé est né afin d’éviter de supprimer les postes d’employés de longue date. « C’est un peu une famille ici », précise Claude Diwan, l’autre copropriétaire, en regardant son fils Zacharie Elmaleh.

Dès qu’elles ont été mises en vente sur le site de l’entreprise, toutes les marionnettes ont trouvé preneur en moins de 48 heures. « Mais ce n’est pas un succès fou », nuance Mme Diwan, qui rappelle le petit nombre de polichinelles créés.

De la bouteille au tissu

Si les marionnettes ne sont qu’un projet « réalisé pour le plaisir », Claude Diwan estime que le véritable geste environnemental de Deux par Deux est de se servir de tissu fabriqué à partir de bouteilles de plastique usagées dans ses collections de vêtements.

La moitié des habits de neige, « produit phare » de l’entreprise, sont faits à partir de cette fibre, souligne Zacharie Elmaleh, en désignant les vêtements aux couleurs vives derrière lui.

C’est plus cher. Il faut que le consommateur accepte de jouer le jeu et de payer le prix. C’est pour ça qu’on ne l’offre pas partout.

Zacharie Elmaleh, copropriétaire de Deux par Deux

La fibre synthétique recyclée procure la même qualité qu’on retrouve chez les autres habits de neige de Deux par Deux, réputés pour être chauds et résistants.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Dans ses collections, Deux par Deux utilise du tissu fabriqué à partir de bouteilles de plastique recyclées.

Depuis quelques années, l’utilisation de fibres synthétiques recyclées gagne en popularité parmi les entreprises de vêtements. S’il est louable de vouloir recycler ces matières, il ne faut pas oublier qu’elles sont fabriquées à partir de pétrole, soutient Marie-France Turcotte, professeure au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’Université du Québec à Montréal.

À chaque lavage, des particules de plastique se détachent et finissent dans l’océan, renchérit Alice Friser, professeure de management et responsabilité sociale à l’Université du Québec en Outaouais. « Elles finissent dans les rivières, dans l’océan et même dans ce qu’on va boire », résume-t-elle. Heureusement, on lave rarement un habit de neige, contrairement à bien d’autres vêtements.

Coton et consommation d’eau

Outre les fibres synthétiques, chaque matière utilisée par l’industrie a une répercussion environnementale. « Aucune solution n’est carboneutre », tranche Alice Friser. Pour limiter la consommation de pétrole, certaines entreprises se rabattent sur les fibres naturelles, comme le coton.

« Le coton aussi est problématique, soutient Mme Friser. C’est l’une des cultures qui nécessite le plus d’eau au monde. » Sans compter les engrais chimiques souvent utilisés, qui rendent les terres non cultivables au bout de quelques années.

Si certains types de coton consomment moins d’eau, il reste que cette matière requiert beaucoup d’énergie lors du séchage, poursuit Alice Friser. Sur ce plan, les fibres synthétiques gagnent des points, soutient Marie-France Turcotte. « Elles vont sécher plus vite, et certaines peuvent être très solides », fait-elle valoir.

Bambou : une lueur d’espoir

Il existe toutefois une lueur d’espoir : les fibres synthétiques fabriquées à partir de bambou. En plus d’éviter d’utiliser du pétrole, ces tissus sont faits à partir de plantes qui poussent rapidement et consomment moins d’eau. Ces fibres sèchent aussi plus rapidement, explique Alice Friser.

Mais là encore, ces tissus ne sont pas une solution miracle, puisque leur problème réside dans la confection. « Les procédés avec lesquels ils sont transformés génèrent beaucoup de gaz à effet de serre et peuvent être toxiques », prévient Mme Friser.

Acheter moins, acheter mieux

S’il n’existe pas de choix totalement écologique, la meilleure solution est d’acheter moins de vêtements, mais de qualité, et d’acheter mieux. Les friperies sont une solution « très intéressante », d’autant qu’elles connaissent un succès fulgurant depuis la pandémie, souligne Mme Friser. Les habits de neige peuvent quant à eux être transmis d’un enfant à l’autre, dans les fratries ou entre cousins et amis.

Les vêtements usagés sont si populaires que les grandes surfaces comme Simons doivent maintenant en offrir parmi leurs rayons. « Le problème aujourd’hui, c’est le manque de main-d’œuvre pour trier tous ces vêtements, soutient Alice Friser. Ils continuent de s’accumuler dans des sacs. »

Avec l’énorme quantité de vêtements produits par la mode express (fast fashion), les magasins de seconde main ne peuvent pas éponger tout le surplus. « Il y en a une bonne partie qui termine dans le dépotoir », dit Marie-France Turcotte.

20 %

Proportion du gaspillage d’eau causé par la production mondiale de vêtements

Source : rapport de l’ONU, 2019

8 %

Proportion des gaz à effet de serre émis par la production de chaussures et de vêtements

Source : Rapport de l’ONU, 2019