(Ottawa) Le ministre fédéral de l’Environnement, Jonathan Wilkinson, semble prêt à négocier avec les partis de l’opposition pour faire adopter au cours de la prochaine année son projet de loi pour un pays carboneutre.

La mesure forcerait le Canada à atteindre ses objectifs quinquennaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) à compter de 2035 et à atteindre un bilan net nul d’ici 2050.

En entrevue avec La Presse Canadienne, le ministre Wilkinson s’est dit ouvert aux modifications proposées par l’opposition pour imposer des redditions de compte dès la prochaine décennie.

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Le ministre fédéral de l’Environnement, Jonathan Wilkinson

Le plus difficile, en fait, sera l’atteinte de la carboneutralité d’ici le milieu du siècle.

Pour ce faire, il faudra trouver un moyen d’éliminer ou de capter plus de 24 millions de tonnes d’émissions de GES par an — l’équivalent de retirer environ cinq millions de voitures de la circulation chaque année —, et ce, pour les trois prochaines décennies.

Tout cela dans un pays qui promet de réduire ses émissions depuis plus de 30 ans, mais qui ne l’a jamais vraiment fait.

« Ça va demander beaucoup d’efforts et beaucoup d’investissements. Mais c’est ce que nous devons faire pour arrêter le réchauffement climatique », rappelle Taryn Fransen, chercheuse principale du programme climatique de l’Institut des ressources mondiales. « Il n’y a pas d’autre solution. »

Atteindre la carboneutralité exige d’éliminer des émissions de GES et de capter celles qui sont encore générées plutôt que de les laisser dans l’atmosphère, où elles contribuent à retenir la chaleur et à accélérer le réchauffement planétaire.

Limiter le réchauffement à 1,5 degré Celsius

L’accord de Paris, adopté lors de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques de 2015, reconnaît qu’il faut limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degré Celsius par rapport aux niveaux préindustriels pour éviter le pire et, surtout, ne pas le laisser dépasser les 2 degrés Celsius.

L’objectif de 1,5 degré Celsius exige que les pays les plus riches et les plus grands émetteurs atteignent des émissions nettes nulles d’ici 2050.

En vertu de l’accord de Paris, le Canada s’est engagé à n’émettre plus que 511 millions de tonnes de GES en 2030. Mais dans les cinq années qui ont suivi la signature de l’accord, ses émissions ont plutôt augmenté.

Le vice-président à la recherche de l’Institut canadien pour des choix climatiques, Dale Beugin, espère que, cette fois, le Canada passera bel et bien à l’action.

« Pour la première fois, au niveau fédéral, il y a des politiques qui correspondent à notre ambition, à notre rhétorique », relève-t-il.

M. Beugin évoque le plan climatique de 15 milliards de dollars dévoilé plus tôt ce mois-ci, qui comprend une hausse du prix du carbone ainsi que des investissements en énergies propres et en technologies à zéro émission.

Le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques de 2016 aurait au mieux permis au Canada d’atteindre les deux tiers de son objectif d’ici 2030. Le nouveau plan vise un peu plus haut — sur papier, du moins — avec une cible de 503 millions de tonnes.

Au Canada, plus de huit tonnes de GES sur dix proviennent de la combustion de combustibles fossiles, comme lors des déplacements en automobile et lors de l’extraction, le raffinage et le transport des carburants nécessaires pour le faire.

Mais la carboneutralité ne signifie pas que la vie changera du tout au tout, explique M. Beugin.

Il faudra par exemple mieux isoler les bâtiments publics, aider les gens à acheter des voitures électriques et construire des réseaux de recharge pour les convaincre qu’ils ne finiront pas coincés sur le bord de la route avec une batterie à plat.

Transition vers des énergies plus propres

Introduire et élargir l’utilisation de sources d’énergie sans émissions, telles que l’hydrogène et l’énergie nucléaire, s’imposera aussi.

Des changements majeurs seront de mise dans le secteur pétrolier, particulièrement en Alberta. Les activités d’extraction de pétrole et de gaz naturel ont représenté à elles seules près d’un sixième des émissions du Canada en 2018.

La transition vers des énergies plus propres est déjà entamée : le charbon sera progressivement éliminé en tant que source d’électricité au cours de la prochaine décennie, remplacé par du gaz naturel ou des énergies renouvelables comme l’hydroélectricité et l’énergie éolienne.

Et dans les cas d’utilisation continue du charbon, les émissions devront être captées et stockées, un système qui est déjà en place au barrage Boundary en Saskatchewan. Cette technologie est coûteuse et peu répandue pour l’instant, mais le plan du ministre Wilkinson, qui verrait le prix du carbone tripler entre 2022 et 2030, la rendra plus attrayante, affirme Michael Bernstein, directeur général du groupe de réflexion à but non lucratif Clean Prosperity.

M. Bernstein fait valoir que l’augmentation proposée de 15 $ par an de la taxe carbone permettrait au Canada de parcourir 60 % du chemin vers la carboneutralité.

Rendre le fait de polluer plus coûteux et inciter les entreprises à investir dans des technologies plus vertes, ce n’est pas rien, souligne M. Bernstein.

Mais il y a un hic : la loi et la joute politique.

Les politiciens conservateurs détestent presque unanimement la taxe sur le carbone. Le chef conservateur fédéral Erin O’Toole s’engage à l’abolir, et l’Alberta, la Saskatchewan et l’Ontario sont devant les tribunaux pour s’en débarrasser. La Cour suprême devrait se prononcer sur cette question l’année prochaine.

Le plan du ministre Wilkinson pour réaliser l’objectif de 2030 dépend pourtant en bonne partie de cette taxe. Il se dit d’ailleurs convaincu que le plus haut tribunal du pays tranchera en faveur du gouvernement fédéral.

Il croit aussi fermement que le Canada et le reste du monde ont franchi un certain cap en matière de lutte contre les changements climatiques. Même s’il n’y a pas de consensus sur la manière de le faire, on reconnaît dorénavant la nécessité d’agir, se réjouit-il.