(Montréal) Les dispersants chimiques utilisés pour faciliter la dissémination des hydrocarbures en cas de déversement accidentel en mer présentent une menace potentielle pour la vie aquatique aussi grave que le pétrole lui-même, préviennent de nouvelles études réalisées par des chercheurs canadiens.

Les professeurs Valérie Langlois, de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), et Craig Purchase, de l’Université Memorial à Terre-Neuve, ont notamment démontré que le capelan est particulièrement vulnérable en cas de déversement à proximité de son aire de reproduction.

Le capelan est un poisson de fourrage dont se nourrissent plusieurs autres animaux. Il est d’autant plus menacé que sa période de reproduction ne dure qu’environ deux semaines au début du mois de juillet, près des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador.

« Si un déversement coïncide avec cette période-là, qui est extrêmement critique pour cette espèce, ça va être désastreux pour tout le cycle de la chaîne alimentaire », a assuré Mme Langlois.

Le Canada autorise l’utilisation de ces dispersants en mer seulement depuis 2016, mais chaque usage doit faire l’objet d’une autorisation au cas par cas en cas de déversement.

Les dispersants contiennent des solvants et des surfactants qui fractionnent le pétrole en minuscules gouttelettes, ce qui permet aux micro-organismes de mieux le biodégrader. Lors de la marée noire Deepwater Horizon en 2010, plus de 1,8 million de gallons de dispersants ont été employés.

Impact sur la reproduction

Les professeurs Langlois et Purchase ont publié deux études sur la question, la première en octobre et la deuxième le mois dernier.

Celles-ci démontrent que les dispersants diminuent de manière importante la fertilisation des œufs chez le capelan lors de la période de reproduction, même quand les spermatozoïdes des mâles n’avaient été exposés que quelques secondes au produit.

Les chercheurs croient que les dispersants brisent la membrane cellulaire des spermatozoïdes de la même manière qu’ils fractionnent les hydrocarbures.

« Il faut comprendre qu’un spermatozoïde est une cellule et il sera très sensible à la présence du dispersant (dans l’eau), donc les risques de fertilisation de l’œuf sont diminués », a rappelé Mme Langlois.

De plus, a-t-elle expliqué dans un communiqué, les dispersants permettent d’augmenter la fraction des hydrocarbures biodisponibles pour affecter les organismes aquatiques. Certaines concentrations d’un mélange de pétrole et de dispersant tuaient les embryons après dix heures, a-t-elle dit.

Les dispersants seuls ont démontré un niveau similaire de toxicité chez les embryons, selon le professeur Purchase.

En eau douce

La professeure Langlois s’est aussi intéressée à l’impact que pourrait avoir sur la faune aquatique un déversement de bitume dilué (ou dilbit) issu des sables bitumineux albertains et transporté par pipeline.

Lors de tests en laboratoire, elle a constaté qu’une exposition au dilbit entraîne des malformations accrues chez les larves de poissons tels que ceux de la perchaude.

« Ça fait des années qu’on utilise [du dilbit], mais on ne sait pas ce que ça fait si ça arrive dans l’environnement en eau douce », a déploré Mme Langlois.

Une deuxième étude publiée en décembre corrobore ces résultats. Elle indique que les embryons de grenouilles montrent aussi une sensibilité à une contamination au dilbit en cas de déversement.

Mme Langlois souhaiterait maintenant que les grandes entreprises d’hydrocarbures fassent preuve d’une plus grande ouverture lors de déversements, pour permettre aux scientifiques d’en mesurer les effets dans la nature et non seulement en laboratoire.

« En écotoxicologie, il faut arrêter de penser qu’il y a des bons et des méchants, a-t-elle dit. On travaille tous pour le bien commun. »