Les élèves québécois ont-ils pris du retard pendant la pandémie ? On ne sait pas. C’est le constat qu’a fait la vérificatrice générale du Québec dans son rapport déposé mercredi. Elle met ainsi le doigt sur un problème relevé depuis des années dans le réseau : quand il est question d’éducation, il est souvent difficile d’avoir un portrait juste.

Pendant la pandémie, le Québec s’est privé deux années de suite d’un outil précieux : les examens du Ministère, que passent les élèves du primaire et du secondaire. Ces épreuves permettent de savoir où en sont les élèves dans leurs apprentissages en français, en mathématiques, mais aussi en anglais et en histoire, par exemple.

Or, « un mémoire au Conseil des ministres de novembre 2020 recommandait pourtant de tenir les épreuves ministérielles 2020-2021 », mais de diminuer leur pondération, note le rapport déposé mercredi.

Les examens ont malgré tout été annulés. Pourquoi ? Le ministère de l’Éducation n’a pas été en mesure de « fournir d’analyse justifiant cette décision » à la vérificatrice générale Guylaine Leclerc.

Pas question de niveler par le bas, disait alors le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, mais il fallait « être bienveillants ».

Retirer ces examens a certes « enlevé une pression sur les enseignants, mais on voit aujourd’hui ce que ça a comme implication », dit Isabelle Plante, professeure au département de didactique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

On n’a pas de mesures comparatives. Sans dire qu’on ne peut pas faire confiance aux enseignants pour l’évaluation, on n’a pas d’épreuves communes.

Isabelle Plante, professeure au département de didactique de l’UQAM)

Dans ce contexte, comment savoir quels élèves vont bien à l’école ? Lesquels sont à risque de décrocher ?

Pour pallier de potentiels retards scolaires, 88 millions de dollars ont été investis dans un programme de tutorat visant à contrer les retards d’apprentissage. Or, les sommes ont été distribuées aux centres de services scolaires en tenant notamment compte du nombre d’élèves, et non pas des difficultés qu’ils pourraient avoir à l’école.

« Données à l’appui, on aurait pu injecter les fonds là où on en a réellement besoin. C’est décevant pour un gouvernement : on répartit 88 millions, sans preuve claire », dit Isabelle Plante.

De l’information qui ne se rend pas au Ministère

En septembre 2001, alors qu’il était ministre de l’Éducation dans le gouvernement péquiste, François Legault promettait en entrevue avec La Presse une « révolution » pour favoriser la réussite des élèves. Il souhaitait une transparence accrue, qui aurait mené les écoles à dévoiler leur plan de réussite et des statistiques sur la performance.

Face aux protestations des écoles, le ministère de l’Éducation avait finalement reculé.

Deux décennies plus tard, la transparence tant souhaitée se fait encore attendre, parfois au sein même du ministère de l’Éducation. Les journalistes qui doivent multiplier les demandes d’accès à l’information pour tenter d’obtenir des données sur le système d’éducation le savent bien.

On les renvoie souvent aux 72 centres de services scolaires et commissions scolaires, auxquels il faut reposer la question.

Un « tableau de bord »

« L’éducation est suradministrée, mais ses administrations ne produisent pas de l’information pertinente, ou ne la partagent pas », dit Julien Prud’homme, professeur et directeur du département des sciences humaines de l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Un exemple : quand le gouvernement a entrepris de documenter la pénurie enseignante, en septembre, le bilan hebdomadaire qu’il diffusait sur le web était la plupart du temps très incomplet, des centres de services n’ayant même pas pris la peine de répondre au questionnaire du ministère de l’Éducation, dont ils relèvent directement.

« Le Ministère n’a pas encore montré le leadership pour réunir ces informations et se donner une base qui pourrait guider ses politiques », dit M. Prud’homme, qui évoque la « timidité historique » du Ministère à demander des comptes aux centres de services scolaires.

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a dévoilé l’été dernier le « tableau de bord » du réseau de la santé, qui dresse par exemple le portrait des urgences, les listes d’attente en chirurgie, les délais pour obtenir une évaluation à la DPJ. Le nouveau ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, dit qu’il souhaite s’en inspirer.

Son ministère a cessé de diffuser le nombre d’élèves absents des écoles il y a quelques mois. Quant au bilan sur les postes d’enseignants à pourvoir, il n’est pas mis à jour depuis la mi-octobre.

Faute de données du Ministère, écrit la vérificatrice générale, des mesures de rattrapage efficaces ne pourront être mises en œuvre pour combler les retards causés par la pandémie.

Si c’est le cas, ces lacunes dans l’éducation des élèves « risquent d’avoir un impact sur leur cheminement scolaire, de les mener à l’abandon et de les priver de l’obtention d’un diplôme ».

Recueillir des données, les analyser et s’en servir pour mettre en place des mesures efficaces, « c’est essentiellement une question de volonté politique », dit le professeur Julien Prud’homme.

En attendant, ce sont les élèves qui risquent d’en subir les conséquences.