C’est un effet inattendu de la COVID-19 : les élèves qui ont terminé leur secondaire au plus fort de la pandémie ont obtenu leur diplôme en plus grand nombre que lors des années précédentes. Une « augmentation marquée » due au fait que les examens du Ministère ont été annulés pendant deux ans, observe Québec.

Après cinq ans au secondaire, le taux de diplomation des cohortes de 2015 et de 2016 était respectivement de 76,2 % et de 77,0 %, soit environ 4 points de pourcentage de plus que ce qu’il était deux ans avant.

« Les élèves de la cohorte de 2015 […] étaient en 5e secondaire lors de l’année scolaire 2019-2020. En raison de l’annulation des épreuves uniques en juin 2020, ces élèves n’ont pas eu à passer ces examens », écrit Bryan St-Louis, porte-parole du ministère de l’Éducation.

Sans ces examens obligatoires, le taux de diplomation n’est « pas un indicateur très fiable des apprentissages des jeunes », estime Simon Larose, professeur titulaire au département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de l’Université Laval.

« C’est un peu artificiel : on a laissé des passe-droits, le passeport pour transiter vers le cégep a été plus facile pendant la pandémie, parce qu’on a levé des obligations », dit M. Larose, qui croit qu’il faudra porter une attention particulière aux résultats des prochaines évaluations obligatoires.

« Pas de diplômes au rabais »

Professeure au département de didactique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Isabelle Plante croit elle aussi qu’il ne faut pas « sauter de joie trop rapidement » face à cette augmentation du taux de diplomation.

« Ce n’est pas une mauvaise nouvelle qu’ils aient leur diplôme, mais on ne voudrait pas donner de diplômes au rabais », dit Mme Plante. « Peut-être qu’on fait du nivellement par le bas », ajoute-t-elle.

PHOTO FOURNIE PAR ISABELLE PLANTE

Isabelle Plante, professeure au département de didactique à l’UQAM

L’hypothèse la plus probable, c’est que les élèves ne se sont pas améliorés pendant la pandémie. Le taux de diplomation qui augmente, ça ne veut pas dire qu’ils sont meilleurs qu’ils étaient.

Isabelle Plante, professeure au département de didactique à l’UQAM

Les examens du Ministère ne sont pas parfaits, mais ces épreuves permettent de mesurer les « niveaux minimaux » que doivent atteindre les élèves à la grandeur du Québec.

« Ça veut dire quoi, des étudiants qui sont qualifiés ? Comment sont-ils diplômés ? », abonde Nicole Mooney, professeure au département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).

Comme les modalités d’évaluation des examens du Ministère ont été revues en 2021-2022, elle s’attend à ce que les taux de diplomation augmentent encore.

Un taux de diplomation calculé sur sept ans

Alors que les études secondaires durent normalement cinq ans, Québec calcule le taux de diplomation en comptant sept années après le début de parcours d’un élève.

Au ministère de l’Éducation, on dit qu’on cible les élèves de 20 ans et moins. Si on calcule sur sept ans, ajoute son porte-parole Bryan St-Louis, c’est pour « inclure le plus d’étudiants possible ».

Avec cette méthode de calcul, le taux de diplomation augmente. À titre d’exemple, pour la cohorte entrée au secondaire en 2014, 82,1 % des élèves ont obtenu leur diplôme après sept ans. Or, ce taux baisse à 72,7 % en prenant en compte uniquement les élèves qui ont terminé leur secondaire en cinq ans.

Le taux de diplomation inclut aussi davantage d’élèves que ceux qui ont obtenu leur diplôme d’études secondaires (DES). On y trouve ceux qui ont obtenu un diplôme d’études professionnelles (DEP), mais aussi une dizaine d’autres qualifications.

Celles-ci « noient » un peu les chiffres sur la diplomation au secondaire, dit le professeur Simon Larose, de l’Université Laval.

« Est-ce qu’on l’a fait pour améliorer les chiffres ? Si c’est ça, c’est une mauvaise raison », dit-il.

Dans son rapport 2022 sur la diplomation des élèves, le Ministère observe en effet qu’en 2007-2008, « l’arrivée de nouveaux types de qualifications […] a eu un effet positif sur le taux de diplomation et de qualification par cohorte au secondaire ».

Pour avoir des statistiques claires, il ne faudrait pas mélanger les types de diplômes, « surtout si on veut se comparer à d’autres provinces ou à d’autres pays », estime M. Larose.

Il cite en exemple le « certificat de formation préparatoire au travail (CFPT) » qui est inclus dans le taux de diplomation global au Québec. « Ça n’a rien à voir avec le diplôme du DES », dit-il.

« Ça peut être des gens qui, en mathématiques, sont à un niveau de 6e année ou de 1re secondaire. Ils font des stages dans des entreprises de services, dans des pharmacies ou des restaurants, par exemple », explique Simon Larose.

Plus d’un élève sur cinq décroche

Pour la professeure Nicole Mooney, de l’UQAC, la véritable inquiétude suscitée par les chiffres du Ministère, c’est que 23 % des élèves ne terminent pas leurs études secondaires en cinq ans. « C’est beaucoup, c’est un problème », dit Mme Mooney.

De même, les garçons sont encore moins nombreux à obtenir leur diplôme du secondaire que les filles. Pour la cohorte 2014, l’écart de diplomation entre les deux est de 9,2 points de pourcentage.

Les causes du décrochage des garçons dépendent de plusieurs facteurs, dit la professeure Isabelle Plante, qui est aussi titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les différences de genre à l’école (CRÉGÉ).

Il faut se demander pourquoi les garçons décrochent davantage, mais aussi ce qu’ils font lorsqu’ils quittent l’école avant d’avoir obtenu leur diplôme.

« Quand les filles n’ont pas de DES, elles gagnent vraiment moins de l’heure. C’est comme si les emplois qui les attendent étaient plus précaires, moins payants », observe Mme Plante. Les hommes, eux, trouveront plus facilement des emplois dans la construction ou le secteur minier, cite-t-elle en exemple.

Isabelle Plante estime qu’il faudrait aussi s’attarder aux taux de réussite en français, où les filles font généralement mieux. « Ça nuit profondément aux garçons de certains milieux défavorisés », dit la professeure.

Avec la collaboration de Pierre-André Normandin, La Presse

De plus en plus d’élèves handicapés ou en difficulté

Les élèves qui sont handicapés ou en difficulté (EHDAA) ont un taux de diplomation « significativement inférieur » aux autres. Pour la cohorte de 2014, les élèves ordinaires affichent un taux de près de 87 % après sept ans, comparativement à 57,5 % pour les EHDAA. Le nombre d’élèves EHDAA inscrits en 1re secondaire est en constante augmentation dans le réseau public, note Québec. Entre 2005 à 2014, la proportion de ces élèves est passée de 19,3 % à 27,3 %.